Les gardiens de l’euro se retrouvent dans une position de «quitte ou double», observe Ludovic Subran, chef économiste d’Allianz.
La baisse surprise des taux directeurs aux Etats-Unis en raison du coronavirus met la Banque centrale européenne (BCE) sous pression alors qu’elle a déjà déployé d’énormes efforts pour soutenir l’économie ces dernières années.
Il y a quelques semaines encore, les spécialistes de la BCE s’attendaient à un statu quo pour ce début d’année sur le front monétaire, avec un institut lancé dans une refonte de sa stratégie et «à court de munitions» tant il semble avoir épuisé ses instruments.
C’était compter sans l’épidémie du Covid-19, qui a plongé les marchés financiers dans la tourmente et poussé la Réserve fédérale américaine (Fed) à baisser ses taux de 0,5 point mardi, sans même attendre sa réunion des 17 et 18 mars.
Ce geste a incité la Banque du Canada à baisser le lendemain son propre taux, alors que les banques centrales australienne et malaisienne avaient précédé la Fed en diminuant les leurs.
«L’effet immédiat a été un affaiblissement du dollar», constate sur Twitter Vitor Constancio, l’ex-vice-président de la BCE. Mais loin de rassurer les marchés, cette décision rapide les a plutôt confortés dans la crainte «d’un ralentissement économique ou même d’une récession».
De son côté, la BCE a seulement promis lundi soir des mesures «appropriées et ciblées», mais ne compte en discuter concrètement que lors de sa réunion de politique monétaire du 12 mars.
Les gardiens de l’euro se retrouvent dans une position de «quitte ou double», observe Ludovic Subran, chef économiste d’Allianz, joint par l’AFP.
Soit les 25 membres du conseil des gouverneurs «se sentent acculés à agir par la Fed», soit ils s’abstiennent «pour laisser de la place aux mesures budgétaires - jugées plus rapides et plus efficaces - et montrer qu’ils peuvent rester au-dessus de la mêlée», ajoute-t-il.
De fait, la BCE doit compter avec 19 Etats aux santés économiques variées, très diversement touchés à ce stade par l’épidémie. Prendre le temps de se décider «peut aussi être une bonne chose», juge M. Subran.
L’institut de Francfort dispose de surcroît de marges de manoeuvre très limitées: son principal taux est à zéro, tandis que celui frappant les dépôts confiés par les banques est déjà négatif, à -0,50%, pénalisant depuis des années la rentabilité des établissements financiers.
De nombreux économistes tablent néanmoins sur une nouvelle baisse des taux jeudi prochain, par exemple à -0,6% pour le taux sur les dépôts, relevait en début de semaine Carsten Brzeski, de la banque ING.
La BCE pourrait aussi améliorer encore sa campagne de prêts géants aux banques (TLTRO), déjà accordés à des conditions très favorables.
Pour Frederik Ducrozet, de Pictet Wealth Management, l’institut monétaire pourrait également épauler «les entreprises non-financières les plus touchées» par les conséquences du Covid-19 en les aidant à boucler leurs fins de mois.
«Il existe des précédents de mesures de soutien régionales et ciblées dans des pays frappés par des catastrophes naturelles», observe-t-il, même si un tel instrument est complexe à mettre en oeuvre en zone euro.
Enfin, la BCE pourrait augmenter le rythme de ses rachats de dette sur le marché, réactivés depuis novembre 2019 à raison de 20 milliards d’euros par mois.
De manière générale, les analystes jugent cependant l’effet d’un soutien monétaire limité, tant la crise appelle plutôt une intervention des Etats.
Les «instruments politiques, pour pallier le manque de liquidités à court terme des entreprises et soutenir des mesures de chômage partiel, semblent à privilégier», estime auprès de l’AFP Fritzi Köhler-Geib, cheffe économiste à la KfW.
La présence à la tête de la BCE de Christine Lagarde, qui a été ministre des Finances de la France, tombe d’ailleurs «au bon moment car nous sommes à un point où la politique monétaire touche ses limites et où d’autres types de politiques deviennent plus décisives», juge Mme Köhler-Geib.