Contre toute attente, l’Europe résiste

Philippe Ferreira, Kepler Cheuvreux Solutions

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L’Union européenne reste sous pression, pourtant les marchés se portent bien.

«E pur si muove!» La fameuse expression attribuée à Galilée, qui avait été forcé devant l’inquisition d’abjurer sa théorie, s’applique bien à la situation de l’Europe aujourd’hui. Malgré la guerre en Ukraine et la crise énergétique, malgré l’inflation et le resserrement monétaire, malgré la crise politique en Italie et le départ de Mario Draghi, force est de constater que l’Europe continue de tourner et de déjouer les pronostics. Selon les premières estimations, la croissance en zone euro au deuxième trimestre 2022 a dépassé les attentes, portée par le secteur des services et le retour des touristes dans les capitales européennes. Sur les marchés financiers, les actions européennes surperforment depuis trois mois par rapport aux actions internationales en rendement total.

Pourtant, rien n’a vraiment changé. Les tensions avec la Russie restent vives et les flux de gaz vers l’Allemagne se sont quasiment taris. L’inflation a encore dépassé les attentes en juillet, pour s’inscrire à 8,6% par rapport à juillet 2021. La BCE a dû remonter les taux de 50 pb, un mouvement inédit depuis la fin des années 90. Son nouvel «instrument de protection de la transmission», vise à limiter l’écartement des spreads souverains au sein de la zone euro. Il marque une avancée dans la capacité à prévenir les crises mais porte aussi en soi les stigmates de la crise souveraine en zone euro de 2010-2012. Enfin, les données publiées par nos équipes ETF (fonds indiciels) signalent une décollecte marquée des actions européennes au cours des dernières semaines. Personne n’y croit et pourtant elle tourne.

La dépréciation de l’euro et la valorisation des actions

Malgré les signaux négatifs de l’environnement macroéconomique, deux éléments soutiennent le marché actions européen. D’une part, la valorisation est particulièrement déprimée. Le ratio cours sur bénéfices attendus au cours des douze prochains mois du Stoxx Europe 600 traite actuellement à 12x, avec une décote non négligeable par rapport à sa moyenne long terme (14x). Du point de vue des secteurs, certains d’entre eux tel que l’énergie ou l’automobile traitent à des niveaux historiquement bas. Si ce dernier subit des changements structurels qui peuvent expliquer un de-rating du secteur, l’énergie est au cœur de la transition énergétique pour les décennies à venir.

Les entreprises européennes ont réussi à préserver leurs marges malgré le défi de la hausse des coûts et des tensions sur les chaînes d’approvisionnement.

D’autre part, la saison des résultats qui touche à sa fin a encore montré que les entreprises européennes ont réussi à préserver leurs marges malgré le défi de la hausse des coûts et des tensions sur les chaînes d’approvisionnement. Certes, les résultats de nombreuses entreprises ont également été soutenus par la dépréciation de la parité euro/dollar. Selon nos estimations, une baisse de 10% de la devise donne lieu à une surperformance des actions européennes (MSCI Europe vs. MSCI monde) de 3%. La baisse de l’EURUSD de plus de 15% depuis le début de l’année a donc été un facteur de soutien non négligeable pour le marché européen.

La guerre en Ukraine reste un facteur d’incertitude

Les investisseurs ont pourtant raison d’être prudents sur l’Europe. La guerre en Ukraine et la tension sur l’offre de matières premières liée aux sanctions contre la Russie est un facteur qui risque de peser à l’approche de l’hiver. Cette dernière continue d’utiliser l’arme énergétique pour exercer une pression considérable sur les occidentaux. Mais les Etats-Unis sont quasi-indépendants sur le plan énergétique, et donc tout le poids des mesures de rétorsion de Moscou repose sur l’Europe. Les pays baltes connaissent par exemple une inflation qui dépasse 20%, l’Allemagne se prépare à des rationnements énergétiques cet hiver et sans énergie l’industrie allemande tourne au ralenti. Le risque de stagflation au cours des prochains trimestres est donc réel en Europe.

Quels choix d’investissement dans ce contexte?

Nous avons privilégié depuis quelques mois une approche défensive concernant notre allocation sectorielle au sein des actions européennes: secteur de la santé et de la communication, industrie alimentaire et des boissons, énergie. Du côté des secteurs cycliques, nous maintenons uniquement un biais positif sur l’immobilier et dans une moindre mesure sur la technologie (neutre), dans un contexte où nous tablons sur des taux longs dont le potentiel de progression haussier est désormais limité. Un de nos axes d’investissement a été de sélectionner des valeurs à fort dividende et de ce point de vue il est possible de limiter la prise de risque sans pour autant renoncer à la performance.

Le sentiment général vis-à-vis de l’Europe de la part des investisseurs reste dégradé, et le remplacement de l’énergie russe sera long et coûteux. Mais l’Europe dispose de champions internationaux qui sont autant d’opportunités d’investissement pour peu que le risque soit maîtrisé.

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