Choc sur les prix et contre-choc inflationniste

Florian Roger, Exane Solutions

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L’indice total des prix à la consommation US atteint +5% en mai: flambée des prix des matières premières et des biens durables.

©Keystone

L’accélération de l’inflation s’est révélée plus forte qu’anticipé aux Etats-Unis. L’indice total des prix à la consommation a atteint +5% en mai, tandis que l’indice sous-jacent (hors énergie et alimentation) est ressorti à +3,8%. Si une hausse de l’inflation était prévue par le consensus du fait des effets de base sur la composante énergie, les surprises quant à son ampleur proviennent principalement de l’accentuation des tensions sur les prix automobiles (+17,3% sur les véhicules d’occasion en deux mois). Les enquêtes de confiance menées auprès des directeurs d’achats du secteur manufacturier suggèrent que ce phénomène devrait s’étendre à un large spectre de biens durables du fait des dislocations des chaînes de production.

Dans un contexte où les créations d’emplois s’avèrent plus faibles qu’attendu, les marchés commencent à craindre que les tensions sur les prix des matières premières et des biens durables nuisent au pouvoir d’achat des ménages et altèrent les perspectives de demande. De ce fait, la courbe des swaps d’inflation s’est inversée et les taux longs ont reflué. Ces phénomènes ont été accentués par les attitudes très accommodantes des banques centrales. 

Les banques centrales veillent à ne pas reproduire
l’erreur de politique monétaire de la BCE de 2011.

La Fed devrait certes réviser à la hausse ses prévisions de croissance nominale en juin mais argue que les tensions sur les prix ne seront que passagères et constate que le taux de chômage risque de dépasser son objectif de 3,5% en fin d’année 2023. De son côté, la BCE affiche une prévision d’inflation de moyen terme toujours nettement en-dessous de sa cible de 2%, ce qui la contraint à maintenir son effort de reflation, sous peine de perdre en crédibilité.

De manière générale, les banques centrales des pays développés ne veulent pas durcir leur politique monétaire en réaction à un choc de prix provenant de l’offre et dont les conséquences sont négatives pour la demande. En 2011, la BCE avait commis une telle erreur de politique monétaire. Après avoir relevé par deux fois ses taux directeurs pour contrer un choc d’offre sur les prix, elle avait dû opérer une volte-face monétaire complète seulement trois mois plus tard, face à la dégradation des perspectives de demande. 

Si la prudence actuelle des banques centrales est compréhensible dans une période aussi incertaine que troublée, nous pensons que la demande va résister à la hausse des prix et qu’une dynamique d’inflation rampante va émerger.

Comparé au début des années 2010,
la politique budgétaire est beaucoup plus favorable à la demande.

Tout d’abord, comme l’a montré l’enquête de l’université du Michigan, la confiance des ménages continue de s’améliorer malgré les tensions sur les prix, portée par l’avancée de la vaccination et les perspectives de sortie de crise sanitaire. Après des mois de privation et d’accumulation d’épargne, les ménages manifestent une préférence pour le présent et un désir de consommer. Par ailleurs, comparé au début des années 2010, la politique budgétaire est beaucoup plus favorable à la demande. Les gouvernements de la plupart des pays développés ont déployé des stratégies keynésiennes pour stimuler la consommation et éviter que le populisme ne se nourrisse de la situation. Aux Etats-Unis, la stratégie budgétaire de J. Biden répond clairement à ces objectifs. Des chèques fiscaux ont été versés aux ménages les moins aisés. Or, ce dispositif arrive à échéance dans de nombreux Etats et ne devrait pas être reconduit car il est décrit comme étant un frein au retour à l’emploi. Selon nous, il va être supplanté par une hausse du salaire minimum comme cela avait été initialement envisagé en début d’année.

De manière générale, nous prévoyons que les pays développés vont procéder à des augmentations de salaires administrés au S2 2021 pour prévenir d’éventuelles tensions sociales (surtout si des échéances électorales se profilent). Des augmentations de salaires pourraient également être observées au niveau des entreprises car de nombreux dirigeants constatent une hausse de la productivité et se disent davantage disposés à accorder des hausses de salaires pour remobiliser les équipes en sortie de crise sanitaire. Cela est de nature à créer des boucles prix-salaires.

Selon nous, plusieurs facteurs rendent ainsi le contexte actuel plus inflationniste dans le monde développé, d’autant que les taux réels négatifs entretiennent le dynamisme des prix immobiliers. Aux Etats-Unis, nous estimons que les indices totaux et sous-jacents d’inflation reflueront nettement plus lentement qu’anticipé par le consensus, demeurant encore vers 4,5% et 4% en fin d’année. Cette persistance de l’inflation, conjuguée à une demande résiliente favorable à l’emploi, devrait amener les banques centrales à s’orienter vers des phases de normalisation monétaire au T4 2021. Nous estimons de ce fait que le reflux récent des rendements obligataires ne sera que transitoire et qu’une nouvelle phase de hausse des taux longs interviendra, conduisant le taux US 10 ans vers 1,75% en fin d’année.

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