Chine-USA: une opportunité manquée à Bali

Stephen S. Roach, Université de Yale

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Au lieu de produire une trajectoire de compromis, la rencontre entre Xi Jinping et Joe Biden s’est limitée à un exercice de déclarations politiques.

©Keystone

Une rencontre entre deux chefs d’Etat est toujours considérée comme le summum de la diplomatie. Ce même espoir entourait la réunion de Bali entre le président américain Joe Biden et son homologue chinois Xi Jinping, le 14 novembre, à la veille du rassemblement annuel du G20.

Mais au-delà de la photographie d’une poignée de main entre deux présidents radieux, qui ont ensuite échangé durant trois heures, le sommet de Bali n’a abouti qu’à peu de choses. Comme l’on pouvait s’y attendre, les paroles ont été nombreuses. Biden a «absolument» exclu toute hypothèse de nouvelle guerre froide, tandis que Xi a insisté sur la nécessité de replacer sur de bons rails la relation entre les Etats-Unis et la Chine. A l’issue du sommet, les déclarations de conclusion des deux camps se sont caractérisées par les platitudes habituelles autour de discussions franches, directes et sincères entre vieux amis.

Or, le conflit entre les Etats-Unis et la Chine s’étant considérablement accentué ces cinq dernières années – passant d’une guerre commerciale à une guerre technologique, jusqu’aux premiers accrochages d’une nouvelle guerre froide – le sommet de Bali a remarquablement manqué à produire des résultats. La relation bilatérale s’était encore davantage détériorée durant les trois mois ayant précédé le sommet – avec la visite de Nancy Pelosi à Taïwan, l’adoption du CHIPS and Science Act par le Congrès américain, ainsi que les très agressives sanctions à l’exportation imposées par l’administration Biden sur les semiconducteurs de pointe à destination de la Chine. L’approche ferme de l’Amérique vis-à-vis de la Chine s’inscrivait ainsi sur une trajectoire de collision avec l’intransigeance de plus en plus musclée de Pékin.

Des droits de douanes élevés demeurent appliqués des deux côtés de la relation commerciale la plus importante de la planète.

Les beaux discours formulés lors de la rencontre Biden-Xi n’ont rien changé à cela. Des droits de douanes élevés demeurent appliqués des deux côtés de la relation commerciale la plus importante de la planète. Et voici désormais que l’administration Biden bâtit une nouvelle «coalition de volontaires» avec le Royaume-Uni, l’Europe (en particulier l’Allemagne), et plusieurs pays d’Asie (notamment le Japon), qui sont invités à se joindre à la campagne américaine d’asphyxie des efforts chinois en matière d’intelligence artificielle et d’informatique quantique – domaines essentiels aux avancées de la Chine en direction de l’innovation autochtone.

Par ailleurs, si les inquiétudes autour de Taïwan se sont apaisées, l’accalmie pourrait être de courte durée, le probable prochain speaker de la Chambre, Kevin McCarthy, ayant promis d’effectuer un rapide déplacement à Taipei, faisant fi de la plus importante «ligne rouge» diplomatique formulée par Xi à Bali. La réfutation de toute guerre froide, dans les déclarations des deux chefs d’Etat à l’occasion du sommet, ne correspond pas exactement à la réalité des faits.

Cette déconnexion entre discours et réalité n’est pas inhabituelle dans le kabuki de la diplomatie, encore moins lorsque la résolution d’un conflit est confiée à des dirigeants     dans leur individualité, par définition contraints par la politique de la projection respective de leur puissance. Bali a offert à Xi la scène idéale pour exposer l’extraordinaire concentration du pouvoir chinois, au lendemain du 20e Congrès du Parti, qui s’est tenu au mois d’octobre. Dans le même temps, Bali a conféré à Biden l’opportunité de remobiliser une défense active à l’appui d’une démocratie fragile, après une surprenante démonstration de résilience de son parti à l’issue des élections américaines de mi-mandat.

Le sommet de Bali constitue un exemple classique de mise en scène diplomatique, qui souligne le net contraste entre deux systèmes politiques très différents. La désescalade du conflit entre deux régimes politiques aux antipodes nécessite en fin de compte une dépersonnalisation des politiques et des actions de la part de chaque camp. Cet exercice était quasiment impossible sous l’ancien président américain Donald Trump. Il demeure complexe sous Biden. Et il s’avère encore plus difficile en présence du Chine centrée sur Xi.

Les politiques personnalisées doivent être optimisées par un cadre institutionnalisé de gestion de la relation – un secrétariat Etats-Unis/Chine.

Comme je le propose dans mon dernier livre, il est davantage nécessaire que soit mis en place un nouveau cadre de l’engagement sino-américain. Les politiques personnalisées, fruits des échanges de chef d’Etat à chef d’Etat, doivent être optimisées par un cadre institutionnalisé de gestion de la relation – un secrétariat Etats-Unis/Chine.

Ce secrétariat poursuivrait un vaste mandat. Il se concentrerait sur les sujets litigieux, de l’économie jusqu’au commerce et à la technologie, en passant par les politiques industrielles de subventions étatiques, les droits de l’homme et la cybersécurité. Il tenterait de résoudre ces problématiques de manière collaborative, grâce aux efforts de professionnels chinois et américains de haut niveau, travaillant en équipes fusionnées, plutôt qu’en groupes compartimentés spécifiques à chacun des deux pays. Basé dans une région neutre, le secrétariat se consacrerait à temps plein à tous les aspects de la relation, remplaçant ainsi les démarches ponctuelles de composition d’équipes assemblées à la hâte à l’approche de sommets spécifiques, comme pour Bali, ou les démarches préalables telles que le Dialogue stratégique et économique Etats-Unis/Chine.

Le secrétariat Etats-Unis/Chine endosserait quatre responsabilités:

  • Elaboration du cadre de la relation: Des livres blancs pourraient être conjointement rédigés concernant les politiques, en parallèle de la création d’une base de données conjointe, ainsi que d’un examen de la qualité des statistiques de la double plateforme. Ces activités seraient destinées à soutenir des rencontres régulières entre dirigeants et hauts responsables politiques des deux pays, ainsi qu’à appuyer les discussions d’armée à armée.
  • Rassemblement: Le secrétariat rassemblerait des réseaux existants d’expertise autour de la relation, issus des deux pays, notamment universitaires, think tanks, associations commerciales et d’entreprises, et groupes engagés dans des dialogues dits de diplomatie parallèle. L’objectif consisterait à créer un vivier de talents, dans lequel puiser pour résoudre des problématiques d’intérêt mutuel. Des efforts collaboratifs dans les premières phases de la pandémie de COVID-19 aurait ici constitué un exemple évident et important.
  • Supervision et conformité: Cette tâche consisterait à assurer la mise en œuvre et la conformité des accords existants et nouveaux entre les Etats-Unis et la Chine. Les désaccords s’annonçant inévitables, le secrétariat Etats-Unis/Chine, en charge d’une mission transparente de repérage et de résolution des conflits, pourrait constituer un premier lieu d’expression des doléances.
  • Portée: Le secrétariat soutiendrait une plateforme en ligne transparente et ouverte, accompagnée d’une version publique de la base de données sino-américaine, de travaux publiés par les chercheurs du secrétariat, ainsi que d’un examen trimestriel corédigé autour des problématiques de la relation entre les Etats-Unis et la Chine.

En somme, l’existence d’un secrétariat Etats-Unis/Chine permettrait d’élever la relation bilatérale au niveau d’importance qu’elle mérite dans la gouvernance des deux pays. Un tel secrétariat présenterait l’avantage supplémentaire d’un espace de travail partagé, propice à un climat de rapprochement entre les individus. La construction de la confiance débute souvent par de petits pas.

Le rassemblement de Bali s’est limité à des séances photos, aux déclarations toujours ambigües qui caractérisent la diplomatie, à davantage de battage médiatique autour du prochain déplacement du secrétaire d’Etat américain Antony Blinken à Pékin, ainsi qu’à de vagues promesses de groupes de travail sur le climat et la sécurité alimentaire. Tout au plus, il s’est agi d’un effort de relations publiques visant à mettre brièvement en pause l’inquiétante progression de l’escalade du conflit. Aucune substance en revanche, pas de stratégie, aucune trajectoire de désescalade. Ce sommet personnalisé, entre un chef d’Etat et son homologue, a été le symbole de cette dynamique sur laquelle prospèrent les autocraties, et à laquelle s’accrochent les démocraties précaires. Au lieu de produire une trajectoire de compromis, il s’est limité à un exercice de déclarations politiques.

Un secrétariat Etats-Unis/Chine aurait permis d’exploiter le sommet de Bali comme l’opportunité collaborative d’une résolution du conflit. Il aurait pu présenter un programme riche, dépersonnalisé, désamorçant les questions litigieuses et les faux discours qui divisent les deux superpuissances – de l’économie jusqu’aux droits de l’homme, en passant par la santé mondiale et le changement climatique. Enlisés dans leur plus grave conflit depuis 50 ans, les Etats-Unis et la Chine ont plus que jamais besoin d’un nouveau cadre d’engagement.

 

Traduit de l’anglais par Martin Morel

Copyright: Project Syndicate, 2022.
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