Baisse des inégalités dans le monde

Emmanuel Garessus

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Selon de nouveaux travaux, qui évitent certains pièges méthodologiques, les inégalités sont en recul entre et au sein des pays depuis une décennie.

Face à l’accumulation des déficits publics, de nombreux gouvernements sont à la recherche de nouvelles recettes. Les appels à taxer davantage les hauts revenus, ou même la classe moyenne, se multiplient des deux côtés de l’Atlantique. Les arguments s’appuient fréquemment sur l’idée d’un creusement des inégalités. A l’approche de l’élection présidentielle américaine par exemple, lors de son discours sur l’état de l’union, Joe Biden a promis d’augmenter les impôts des milliardaires et des entreprises. Ce débat conduit souvent à la dissémination d’informations erronées, tant en politique que dans les médias. C’est l’occasion de faire le point sur la pauvreté et les inégalités dans le monde. Il est d’autant plus intéressant de s’y intéresser que de nouveaux travaux de recherche émanant des plus grands experts contredisent l’opinion la plus répandue.

Pour le président américain, il n’est pas normal que les milliardaires soient soumis à un taux moyen d’imposition de 8,2% alors qu’un salarié moyen est imposé à un taux de 25%. Selon l’agence Reuters, les taux d’imposition cités proviennent des services de recherche de la Maison Blanche. Sur son blog, Chris Edwards, spécialiste de la fiscalité auprès de l’institut Cato, s’étonne de l’emploi de ce taux de 8% puisque les statistiques du bureau du Congrès (CBO) et des autorités fiscales (IRS) indiquent des taux très supérieurs. Selon les estimations du Trésor américain pour 2024, les plus hauts revenus (Top 1%) devraient être soumis à un taux de 31,5%, contre 10 à 12% pour la classe moyenne et 0% pour les 20% les plus pauvres. Une autre étude du CBO révèle que le Top 1% des revenus est soumis à un taux d'environ 30% depuis 4 décennies. 

«Joe Biden a promis d’augmenter les impôts des milliardaires et des entreprises»

Sous-estimation des revenus

Sur ce thème, un travail de recherche majeur vient d’être publié, mais ne corroborant pas les discours en vogue, il est passé sous silence. Son titre est: «Inequality is falling: Underreporting-Robust Estimates of World Poverty, Inequality and the Global Distribution of Income (NBER Working Paper 32203, mars 2024) . Il s’agit d’une étude réalisée par 4 économistes, dont le plus connu est sans doute Xavier Sala-i-Martin, de l’Université Columbia, à New York. Les autres participants sont deux chercheurs de la Fed de New York et un autre économiste de l’Université Columbia. 

Les études sur les inégalités souffrent d’un défaut méthodologique majeur. Elles sont généralement fondées sur des sondages auprès des ménages. Or ces derniers, riches et pauvres, ont coutume de sous-estimer leurs revenus. Si les estimations sont trop basses, il y a fort à parier que l’on découvre des distorsions de la distribution des revenus. De plus, ce biais évolue potentiellement avec le temps. 

Thomas Piketty avait pris une autre piste pour évaluer les inégalités, celle des impôts (World Inequality Database). Mais, pour Sala-i-Martin et ses collègues, les données fiscales ne concernent qu’une infime partie de la population de nombreux pays émergents (0,5% en Chine et 2% en Inde).

Après avoir développé un modèle qui tient compte de cette sous-estimation, de la progressivité et de ce biais et de son évolution avec le temps, et en se fondant sur les données régionales des comptes nationaux, les chercheurs montrent qu’en réalité les inégalités diminuent dans le monde. Elles baissent non seulement entre les différents pays -ce qui n’est pas une surprise - mais aussi au sein des pays - ce qui contredit les discours officiels.  

«La pauvreté a diminué respectivement de 30 et de 50% depuis 1990».

Emergence d’une grande classe moyenne

Les conclusions sont majeures: Tandis que la moitié la plus pauvre des revenus a déclaré une plus grande partie de ses revenus, en 1980, que les 10% les plus riches, l’inverse est vrai en 2019. Les 50 % les plus pauvres représentent en 2019 une fraction plus importante de la sous-déclaration globale du revenu disponible que leur part de revenu dans l’enquête. Il en ressort donc que les inégalités globales de revenu ont diminué et que cette réduction traduit une baisse à la fois des inégalités entre les pays qu’au sein des différents pays. Le recul s’est produit surtout depuis les années 2010 et il ramène l’écart à son niveau du début des années 1990.

La baisse des inégalités se retrouve au sein des pays les plus peuplés. En Chine, elles avaient augmenté entre 1990 et 2007, mais elles ont ensuite baissé à partir de 2007 et jusqu’en 2019. En Inde, sur la base du nouveau modèle, les inégalités ont plus fortement augmenté jusqu’en 2007 et ont ensuite plus fortement diminué. Le recul observé durant la dernière décennie se retrouve aussi dans d’autres pays fortement peuplés, soit l’Indonésie, le Pakistan, le Brésil et le Nigeria. 

La pauvreté a elle aussi davantage diminué dans le monde. En utilisant les 2 mesures de pauvreté de la Banque Mondiale (3,65 dollars par jour et par habitant et 6,85 dollars par jour) la pauvreté a diminué respectivement de 30 et de 50% depuis 1990. Il en résulte que, pour les auteurs, au lieu de parler d’une situation de précarité mondiale, mieux vaudrait dorénavant parler d’une grande classe moyenne globale. 
Si les inégalités sont plus faibles que l'on le dit, les projets de hausse des impôts des hauts revenus seront-ils annulés?

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