La chute du yuan, atout à double tranchant pour la Chine

AWP

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La monnaie chinoise a fondu de 7%, tombant lundi à 6,85 yuans pour un dollar, au plus bas depuis mai 2017.

L'effondrement du yuan offre un soutien bienvenu aux exportateurs chinois, en pleine guerre commerciale avec les Etats-Unis. C'est aussi un casse-tête pour Pékin, hanté par le risque de déstabilisation financière et qui pourrait tenter d'enrayer le repli de la monnaie, à rebours des accusations de Washington.

Entre mi-juin et début août, la monnaie chinoise a fondu de 7%, tombant lundi à 6,85 yuans pour un dollar, au plus bas depuis mai 2017.

Fustigeant cette «chute libre», le président américain Donald Trump a accusé mi-juillet Pékin «de manipuler (sa) monnaie» pour «miner la compétitivité» des Etats-Unis, ce que le régime communiste a aussitôt nié vigoureusement.

Certes, après l'imposition par Washington de droits de douane punitifs sur 34 milliards de dollars de biens chinois, et alors que la Maison-Blanche s'apprête à élargir ses sanctions, les exportateurs du géant asiatique peuvent se réjouir.

Un yuan déprécié «rend le prix des exportations chinoises meilleur marché», «dopant leur compétitivité», et si 70% des factures des exportateurs chinois sont libellées en dollars, leurs montants s'ajustent promptement, souligne Julian Evans-Pritchard, du cabinet Capital Economics.

Une dépréciation de 7% du yuan est suffisante, sur le papier, pour contrecarrer l'impact des taxes américaines sur 50 milliards de dollars d'importations et «probablement» d'éventuels droits de douane américains sur 200 milliards de dollars, a estimé sur Twitter Olivier Blanchard, ex-chef économiste du FMI.

Laisser-faire

Mais Pékin manipule-t-il à dessein sa devise?

Certes, le yuan n'est pas librement convertible: la banque centrale chinoise (PBOC) fixe quotidiennement un taux autour duquel il peut fluctuer dans une fourchette de 2% face au dollar. Mais l'institution assure tenir étroitement compte des tendances du marché.

Et de l'avis général, la récente glissade s'explique surtout par les pressions des investisseurs.

Elle reflète «les inquiétudes» du marché face à la guerre commerciale, et vis-à-vis de «l'assouplissement monétaire attendu de la PBOC» pour stimuler l'activité, confirme Dariusz Kowalczyk, analyste du Crédit Agricole.

En revanche, pendant tout juillet, les autorités «ont clairement choisi de ne pas empêcher le repli du yuan (...) et pratiquement cessé leurs efforts pour le soutenir», insiste-t-il.

Ainsi, contrairement à une pratique habituelle en cas de décrochage du yuan, la PBOC «n'a pas vendu» le mois dernier de devises étrangères puisées dans ses réserves de changes pour soutenir la monnaie, abonde Oliver Jones, de Capital Economics.

Toutefois, «il serait faux de penser qu'elle n'est pas inquiète», tempère-t-il.

Signe de cette ambivalence: la PBOC a relevé drastiquement vendredi le niveau de réserves que les investisseurs pariant à la baisse sur le yuan doivent immobiliser --afin de les dissuader et soutenir ainsi la monnaie.

L'institution a également enjoint lundi les banques chinoises à «prévenir tout comportement moutonnier» sur le marché des changes, assurant qu'elle disposait d'outils pour «stabiliser» la situation, selon des sources citées par Bloomberg.

Equilibriste

En réalité, l'effondrement du yuan constitue un épineux dilemme: s'il aide les exportateurs, il présente aussi de coûteux désavantages et menace la stabilité financière du pays.

Un yuan affaibli renchérit mécaniquement le coût des biens importés, aggravant l'impact des tarifs douaniers déjà appliqués en représailles par Pékin sur les produits américains. Il alourdit également le fardeau des entreprises chinoises lourdement endettées en dollars.

Surtout, la situation réveille le spectre de la brutale dévaluation de l'été 2015, qui avait provoqué une dévastatrice hémorragie de capitaux hors de Chine.

«Des taux d'intérêts plus élevés aux Etats-Unis, avec l'appréciation du dollar, inciteraient des investisseurs chinois à accroître leurs placements en dollars», plus rémunérateurs, prévient David Qu, analyste d'ANZ.

«Si la confiance vacille, les gens vendront leurs actifs en yuans, des actions, des biens immobiliers, certains secteurs souffriront», assure à l'AFP l'économiste shanghaienne indépendante Ye Tan.

Mais Pékin voudra éviter un tel scénario et «une solution de dernier recours consistera à fermer la porte» aux mouvements de capitaux, juge-t-elle, tout en rappelant cependant qu'«il n'y a encore aucune panique».

Si l'approche du seuil critique de 7 yuans pour un dollar pourrait pousser la PBOC à agir plus activement, les autorités marchent sur des oeufs.

L'effondrement prolongé du yuan risque de «faire dérailler les ambitions économiques de Pékin, ses réformes financières, l'internationalisation du yuan», selon Christy Tan, analyste de National Australia Bank cité par Bloomberg. Mais toute intervention trop ostensible pourrait alarmer les investisseurs et nourrir la défiance générale.

 

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