La valse européenne

Présélection prix Turgot

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Elie Cohen et Richard Robert, Editions Fayard.

 

L'avis du Club de présélection du prix Turgot
Jean-Jacques Pluchart  

La valse européenne constitue le nouvel ouvrage de référence de l’histoire récente de l’Union européenne et de l’Eurozone. Le livre est construit suivant un rythme ternaire. Son titre évoque les trois temps de la valse, ceux des incertitudes face aux crises puis des réveils et des espoirs. Sa structure présente trois dimensions: historique, avec des analyses approfondies des crises des subprimes, du marché interbancaire, de la Grèce, puis de l’Italie et de l’Espagne, de l’euro, des immigrés, du Brexit, de la concurrence chinoise, de l’isolationnisme américain  et de la pandémie; théorique, avec des questionnements sur les modèles économiques et monétaires qui ont été successivement appliqués depuis le traité de Rome; prospective, avec des hypothèses sur les dispositifs de relance de la dynamique européenne après la pandémie. Les auteurs relèvent trois paradoxes dans les approches de l’Union européenne: les européens critiquent l’euro mais ne peuvent s’en passer; les réflexes nationaux s’effacent lorsque les crises deviennent critiques; l’Union ne se construit que dans les crises, qui «ont ceci de salutaires qu’elles rappellent aux européens les avantages pratiques du marché unique, et plus largement, d’une culture de coopération politique sans équivalent sur la planète».

La rétrospective historique met en lumière les difficultés rencontrées par les gouvernants européens et nationaux pour résoudre les crises qui se sont succédées à un rythme accéléré au sein de l’Union. Les difficultés résultent de la complexité des institutions instaurées par le traité de Maastricht et des divergences entre les politiques économiques des pays du nord et du sud. Les auteurs analysent les rôles respectifs exercés par les protagonistes des crises (chefs d’Etat, présidents de la Commission européenne et de la BCE, directeur général du FMI.

Les réflexions théoriques sont éclairantes. La zone euro est une construction basée sur le modèle des «zones monétaires optimales», conçu par Robert Mundel au cours des années 1960, qui est bâti sur un «triangle d’incompatibilité». En cas de choc asymétrique, touchant différemment les Etats-membres de l’eurozone, la BCE ne peut prendre des mesures adaptées à chaque pays. Le modèle favorise les échanges entre les économies nationales mais il ne peut assurer leur convergence. Il contribue à creuser les écarts entre les pays du nord et du sud. Les soutiens aux pays les plus vulnérables encouragent les passagers clandestins.  Le cas de la crise grecque et des menaces du Grexit est emblématique. Il a révélé «les trous et fissures du tissus institutionnel européen». La «mise sous tutelle de la Grèce» par la Commission et le FMI a été décidée après de longues controverses, car elle a été considérée comme la condition de survie de l’eurozone, mais elle n’a été qu’une expérience de «fédéralisme d’exception». 

Les auteurs examinent ensuite les risques respectifs du Brexit mais aussi, d’un Italexit, d’un Frexit et d’un Dexit. Le leave anglais est d’autant plus surprenant que «c’est au nom du libre-échange» et d’un global britain mythique que le Royaume Uni se sépare de ses principaux partenaires commerciaux. Le retrait de l’Italie est jugé improbable malgré ses faiblesses, car elle est too big to fail et too big to save. Les séparations de la France et de l’Allemagne sont impensables, car elles marqueraient la mort de l’Union européenne. Les auteurs analysent notamment le discours du président Macron à la Sorbonne et constatent que son message a été faiblement entendu par les partenaires de la France, mais que l’euroscepticisme semble reculer au sein des mouvements populistes, car les programmes basés sur l’abandon de l’euro conduiraient à des impasses économiques. Les auteurs estiment que «l’alliance franco-allemande est sur-jouée», car si les allemands sont attachés à la règle et à la responsabilité, les français en ont une perception relative, étant plus attachés à la solidarité.

Elie Cohen et Richard Robert constatent que les think tanks ont multiplié les propositions de réforme. La plupart conseillent d’achever l’union bancaire, de doter la Commission d’un budget d’investissement, de mutualiser certaines dettes publiques (à l’instar des coronabonds) et de renoncer au Pacte de stabilité. Stiglitz suggère de créer un «euro fort» dans les pays du nord et un «euro faible» dans ceux du sud. Le think tank Brughel propose de créer une Europe des clubs (Euro, Shengen, Sécurité-Défense…). Ils concluent en ouvrant une «dizaine de portes pour l’Europe», afin que L’Union ne devienne pas une «Europe allemande» mais plutôt une «fédération d’exception face aux crises». Les gouvernants doivent désormais préférer une «meilleure intégration» à une «grande intégration».