Vers une architecture financière décentralisée

Nicolette de Joncaire

3 minutes de lecture

La Capital Markets & Technology Association publiait hier sa norme DACS. Entretien avec Jacques Iffland et Jean-Philippe Aumasson.

Fondée début 2018 par Lenz & Staehelin, Swissquote et Temenos avec le soutien de l’EPFL, la toute jeune Capital Markets & Technology Association (CMTA) compte désormais 29 membres, tous acteurs majeurs des secteurs financier, technologique et juridique en Suisse. Créée dans le but de définir des normes d'utilisation de la blockchain sur les marchés de capitaux, l’association publiait hier un standard ouvert pour la conservation et la gestion des actifs digitaux, le DACS ou Digital Assets Custody Standard. Entretien avec Jacques Iffland, président de la CMTA et associé de Lenz & Staehelin, et Jean-Philippe Aumasson, président du Comité Technologique de l’association et co-fondateur de Taurus Group.

Pouvez-vous brièvement nous rappeler l’objectif de vos travaux et en particulier ceux des standards que vous venez de publier?

L’objectif de notre association est d’assister l’industrie financière suisse dans l’adoption de standards communs facilitant l’usage des technologies dites de « registres distribués » et des actifs digitaux qui en découlent. Notre standard, le DACS, a pour vocation d’aider l’ensemble des acteurs concernés, des dépositaires aux auditeurs, à mieux contrôler les actifs sur les registres distribués et fournit également des recommandations sur la façon dont les clés privées peuvent être générées, stockées et récupérées de façon sécurisée. Précisons que nous entendons ici tous les actifs digitaux – c’est-à-dire toute valeur tokenisée – et non juste les cryptomonnaies.

Comment fonctionne la CMTA et comment a été établi le DACS?

Sans employés et sans revenus. La contribution des membres se fait essentiellement en temps et en expertise. Le DACS est le fruit d’un consensus bâti sur l’expertise des membres et les expériences recueillies auprès de sociétés externes dont certaines firmes d’audit.

Les nouvelles technologies vont permettre
un accès moins couteux aux marchés de capitaux.
Existe-t-il des initiatives concurrentes, en Suisse en particulier?

Pas à notre connaissance. La Crypto Valley Association s’est plutôt donnée un rôle de promotion économique, de défenseur de l’industrie crypto. Notre intérêt est tout autre: il est de définir les procédures et process qui permettront au secteur financier de mieux gérer les registres décentralisés car nous pensons que ces technologies vont permettre d’abaisser les barrières d’entrée aux marchés des capitaux.

Qu’entendez-vous par là?

Toute l’architecture financière actuelle est fondée sur une logique de dépôt central - une séquence de registres uniques -, qui exige des moyens techniques lourds et onéreux. Nous sommes convaincus que les nouvelles technologies vont permettre un accès moins couteux aux marchés de capitaux, permettant aux petites et moyennes entreprises de se financer plus facilement et à moindre coût. Elles permettront également d’élargir l’accès aux intermédiaires plus petits de type fintech, au-delà des institutions qui ont aujourd’hui accès aux dépôts centraux (BNS et SIS par exemple). Pensez qu’il existe plus de 550'000 entreprises en Suisse  et que la bourse SIX n’en compte que 215. Idem sur le marché de la dette. Aujourd’hui, des opérations du marché des capitaux ne peuvent guère se faire au-dessous de 100 millions de francs. Pour la CMTA, le principal bénéfice de la blockchain est un accès aux capitaux simple, fluide et bon marché.

Pourquoi ne pas adopter des standards existants?

Parce qu’il n’existe pas de standards formels de conservation au niveau international. Toutes les initiatives de standardisation existantes concernent principalement le trading individuel. La raison d’être du DACS est que, justement, les acteurs institutionnels n’ont pas encore de cadre à respecter ou de standard dédié. Mais attention, notre but n’est pas d’énoncer des règles mais des critères et des recommandations.

A propos de SIX, pourquoi ne sont-ils pas intégrés à votre projet?

L’approche du groupe SIX est un peu différente. Il développe son propre projet de blockchain permissionnée et a du faire des choix technologiques. Ce n’est pas notre cas. La CMTA est agnostique en termes de technologie. Ceci dit, nous sommes en contact avec SIX, en particulier par le biais de l’Association Suisse des Banquiers.

Ce qui peut être plus long à mettre en place sont les changements
en termes de procédure et de formation du personnel.
Le DACS augure-il d’un label ou d’une accréditation?

Oui, c’est la direction dans laquelle nous pensons évoluer: un régime de marque, un label soumis à certification. Comme il n’existe pas d’autre point de repère, le DACS peut rapidement devenir la référence. Les règles restent à préciser et le processus de certification à mettre en place mais, à terme, les sociétés pourraient se prévaloir d’un sigle CMTA, une fois certifiées de manière indépendante.

En quoi la conservation des actifs digitaux diffère-t-elle de celle des autres titres financiers?

Les actifs digitaux ne nécessitent pas de dépositaires centraux et sont accessibles à travers de clés privées. Ces clés privées sont générées différemment des identifications traditionnelles – les mots de passe par exemple – et l’information concernant les actifs est distribuée dans plusieurs endroits. Tout comme les autres actifs, ceux-ci sont vulnérables – notamment via la perte, le vol, ou le piratage de clés privées - et les recommandations du DACS abordent la manière dont doivent se comporter les dépositaires pour en assurer une protection efficace.

Dans votre document, vous abordez plusieurs méthodes de conservation. Pouvez-vous les résumer?

Résumons-les à deux méthodes principales: le dépôt collectif (pooled Digital Ledger Accounts) et le dépôt ségrégé (allocated Digital Ledger Accounts). Dans le premier cas, les actifs sont agrégés au sein d’un même compte (adresse) sur la blockchain et alloués à chaque client dans un registre interne, propre au custodian. Dans le second, ils sont directement enregistrés individuellement au nom de chaque client sur la blockchain.

L’adoption de l’approche distribuée sera-t-elle couteuse pour les institutions bancaires?

Elle exigera un investissement, en termes de logiciels et de composants informatiques, même si certains éléments, comme les serveurs sécurisés, sont déjà utilisés. Il faudra aussi l’intégrer au réseau bancaire traditionnel. Ce qui peut être plus long à mettre en place sont les changements en termes de procédure et de formation du personnel.

Lire le communiqué de presse