Une analyse systématique de l’impact

Nicolette de Joncaire

3 minutes de lecture

Décarbonisation et inclusion sont les deux piliers de l’investissement d’Asteria. Entretien avec Katia Coudray. 

L’investissement à impact gagne du terrain1. Défini par le GIIN2 comme un investissement «réalisé avec l’intention de générer un retour positif, ayant un impact social et environnemental mesurable, tout en assurant un rendement financier», il exige des outils d’analyse de nouvelle génération car les données à traiter sont si vastes que le cerveau humain n’y suffit pas. Autorisé par la Finma il y a un an seulement, Asteria Investment Managers veut utiliser le capital comme un agent de changement, avec la double ambition de concilier performance et contribution sociale et environnementale. Entretien avec sa directrice Katia Coudray, en marge du Geneva Forum for Sustainable Investment (GFSI) où la société était représentée par son CIO, Guido Bolliger.

Systématiser l’analyse d’impact n’est pas une proposition simple. Comment vous y prenez-vous?

Il faut d’abord distinguer l’investissement à impact de l’investissement ESG. Un bon comportement ESG n’est pas synonyme d’impact positif comme en témoignent les notations favorables de certains fabricants de tabac ou d’énergie fossile. Ce qui nous intéresse est d’investir dans des entreprises qui ont un effet positif en termes d’Objectifs de Développement Durable3.

Notre première stratégie vise l’impact environnemental. Nous ciblons des entreprises dont les produits et services permettent de décarboniser – dans le sens où ils évitent les émissions de CO2 – ou de dépolluer. En d’autres termes, des sociétés réparatrices des dommages faits à l’environnement.

Notre approche méthodologique a été d’abord de découper l’économie en 400 secteurs d’activités et d’identifier les 60 à 65 secteurs dont l’effet est positif et les 50 secteurs pour lesquelles il est négatif. Puis nous récupérons les données financières et non financières de quelques 3000 sociétés cotées et en effectuons un mapping sur les 60 secteurs positifs en fonction de la part de leur chiffre d’affaires dédié à ces secteurs. Un exercice qui nécessite d’analyser jusqu’à 30 ou 40 lignes de l’activité de certaines entreprises. Toute société qui a plus de 5% de son chiffre d’affaires dans un secteur négatif est éliminée d’office. Pour donner un exemple de sociétés retenues, 30% des activités de Siemens sont consacrées à l’un ou plusieurs des secteurs positifs (pour un total de 41 milliards d’euros). Donc même si Siemens n’est pas un pure player, son rôle pèse considérablement dans la balance.  

L’objectif est une optimisation du couple impact/performance pour un niveau de risque donné.

En fin de ce processus, il reste 250 titres que nous soumettons à un modèle multifactoriel pour en extraire les meilleurs et obtenir un portefeuille de l’ordre de 120 valeurs dont nous rebalançons l’allocation mensuellement. L’objectif est une optimisation du couple impact/performance pour un niveau de risque donné.

Compte tenu de ce que vous expliquez, aucune société productrice d’énergie fossile n’est éligible par votre processus.

C’est effectivement le cas. Notre stratégie est d’évitement de la production de CO2 car diminuer la production de CO2 nous a paru insuffisant. Notez toutefois que nous ne nous engageons pas dans le nucléaire.

L’investissement d’impact exige de mesurer les résultats. Comment comptez-vous les obtenir?

Dès octobre, grâce à une collaboration avec le laboratoire d’économie urbaine et de l’environnement de l’EPFL, nous serons capables de produire un rapport quantifié du CO2 évité et des ressources dépolluées par les sociétés en portefeuille. Cette vérification faite, nous pourrons, au fil de l’eau, examiner l’évolution de ces résultats.

Ces investissements seront-ils porteurs?

Ces titres offrent des perspectives de croissance intéressante. La productivité des secteurs positifs augmente régulièrement. Malgré un prix du CO2 encore trop faible.

Avez-vous en portefeuille des entreprises de captage du carbone?

Pas encore car aucune n’est profitable et les technologies sont encore balbutiantes mais nous monitorons une importante base de données de tous les brevets autour de ces technologies.

La méthode de mesure des résultats n’est pas encore terminée. Nous la finaliserons avec un partenaire; peut-être avec l’EPFL ou avec une autre institution.
Votre autre grande stratégie est celle d’une société plus inclusive. Qu’en est-il?

Cette stratégie à impact sociétal s’articule autour de trois axes. Pour éviter toute ambiguïté, précisons d’entrée que nous ne sommes pas impliqués dans le financement du développement. Le premier axe sur lesquels nous travaillons est l’amélioration de la santé et du bien-être. Il existe de grandes disparités entre les compagnies pharmaceutiques en matière de prix et de distribution, Dans la mesure où nous visons l’équité sociale, nous ciblons les fabricants de médicaments abordables et les entreprises qui offrent l’accès aux vaccins dans les pays en développement. Avec, par exemple, Johnson & Johnson qui cible les maladies tropicales, le sida et la tuberculose, en partenariat avec l’Unicef, ou Sensient dont les colorants et extraits naturels permettent de baisser la teneur en sucre de boissons et autres produits alimentaires. Le deuxième axe est la satisfaction de l’approvisionnement vital. Un bon modèle est celui du distributeur Jeronimo Martins dont le réseau comprend des magasins dans les zones démunies comme en Colombie. Enfin nous encourageons la diversité et de l’inclusion avec des sociétés comme Chegg, une plateforme digitale qui offre l’accès à une éducation de qualité à faible coût. Dans ce domaine, nous avons un basket de sociétés avec un impact neutre ou positif qui promeuvent la diversité de genre au sein du management.

En matière d’habitudes de consommation en particulier, alimentaires, il existe beaucoup de théories et de contre-théories.

Il y a effectivement dans ce domaine un débat de convictions. Reste qu’il vaut mieux cibler les entreprises qui favorisent le sport, les circuits courts et les habitudes de consommation saine, en évitant par exemple certaines grandes compagnies de l’agro-alimentaires qui gavent les populations les plus démunies de sucre.

Mesurez-vous l’impact de cette stratégie comme vous le faites pour l’impact environnemental?

Cette stratégie est encore jeune. La méthode de mesure des résultats n’est pas encore terminée. Nous la finaliserons avec un partenaire; peut-être avec l’EPFL ou avec une autre institution.

 

2 Le GIIN ou Global Impact Investing Network rassemble les différents acteurs qui s’intéressent à l’impact.
3 Les 17 objectifs de développement durable définis par les Nations-Unies pour 2030 répondent aux défis mondiaux, notamment ceux liés à la pauvreté, aux inégalités, au climat, à la dégradation de l’environnement, à la prospérité, à la paix et à la justice.

A lire aussi...