Un niveau d’incertitude extraordinairement élevé

Yves Hulmann

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Pour Stefan Gerlach, économiste en chef chez EFG, il faut être attentifs aux risques géopolitiques, pas seulement macroéconomiques.

La Banque nationale suisse (BNS) a maintenu sa politique monétaire inchangée jeudi en dépit d’anticipations d’inflation revues à la hausse pour 2022. Le point sur la situation avec Stefan Gerlach, économiste en chef chez EFG International qui s’exprime aussi sur les risques pour la conjoncture européenne en lien avec la crise en Ukraine.

Jeudi matin, la Banque nationale suisse (BNS) a maintenu son taux directeur à -0,75%, tout en relevant nettement sa prévision d’inflation, soit à 2,1% pour l’année 2022. Qu’est-ce qui pourrait conduire la BNS à modifier sa politique monétaire au cours des prochains trimestres ou l’an prochain?

Il faut d’abord rappeler que cela fait maintenant sept ans que la BNS a laissé sa politique monétaire inchangée. Pour que la BNS modifie ses taux directeurs, la seule raison possible serait qu’il y ait une hausse marquée et durable de l’inflation.

«Même si l’indice des prix à la consommation en Suisse grimpait encore un peu au-delà de 2%, cela ne signifierait pas que la BNS serait obligée d’intervenir immédiatement.»
En février, l’indice des prix à la consommation (IPC) en Suisse a augmenté de 2,2%, soit son niveau le plus élevé depuis 2008. La BNS prévoit une inflation de 2,1% pour cette année, soit le double de ce qu’elle anticipait pour 2022 en décembre dernier. Est-ce une manière de préparer les investisseurs à un éventuel resserrement de sa politique monétaire plus tard dans l’année ou en 2023?

Non, je ne pense pas qu’il y ait quoi que ce soit de stratégique dans les prévisions d’inflation présentées jeudi. C’est la manière habituelle de travailler de la BNS. Si le fait que la prévision d’inflation de la BNS soit passée, en quelques mois seulement, de 1% à 2,1% concernant l’année 2022 peut apparaître comme un grand ajustement pour certaines personnes, en réalité ce n’est pas un si grand changement. En effet, l’objectif de stabilité défini par la BNS consiste à faire que l’inflation se situe quelque part entre 0% et 2%. Une progression de 2,1% n’est pas si éloignée de cette fourchette. Il faut aussi se rappeler qu’il y a eu 6 trimestres durant lesquels l’inflation s’est située en dessous de zéro. Même si l’indice des prix à la consommation en Suisse grimpait encore un peu au-delà de 2%, cela ne signifierait pas que la BNS devrait se sentir obligée d’intervenir immédiatement – pour que ce soit le cas, il faudrait que l’inflation grimpe à 3, 4 ou 5% en Suisse. On en est encore très loin.

La politique monétaire de la BNS, c’est bien connu, est étroitement liée à celle de la Banque centrale européenne (BCE). Qu’attendez-vous du côté de Francfort ces prochains mois?

Pas grand-chose. En effet, même si la BCE a, d’un côté, été quelque peu mise sous pression pour relever ses taux directeurs au cours des derniers mois, l’éclatement de la guerre en Ukraine a rappelé qu’il y avait toujours un risque important de baisse de l’activité économique en Europe si les choses devaient continuer à empirer. Que se passerait-il, par exemple, si des actions militaires étaient menées à l’encontre de la Pologne pour freiner les livraisons d’armes des pays occidentaux à l’Ukraine? Ce n’est qu’un exemple des risques qui pèsent sur l’économie en Europe. Je pense que la BCE va garder cela à l’esprit au cours des prochains mois. J’espère que les responsables de la politique monétaire en Europe soient conscients des différents types de risques qui sont liés à l’évolution de la situation en Ukraine. C’est pourquoi, à mon avis, la BCE ne va pas modifier grand-chose à sa politique monétaire au cours de cette année.

«L’Allemagne et l’Autriche dépendent par exemple beaucoup plus du gaz russe que la Suisse.»
Les risques ne se situent-ils pas en premier lieu au niveau de l’évolution des prix de l’énergie – le franchissement d’un certain seuil des prix du pétrole pourrait-il devenir dangereux pour les économies en Europe?

Il est très difficile de définir un seuil donné pour les prix du pétrole qui serait capable de mettre en péril la poursuite de la reprise en Europe. En effet, chaque pays dépend d’une façon différente des importations de gaz et de pétrole en provenance de Russie. A ce sujet, la hausse des prix du gaz représente un plus grand risque pour de nombreux pays européens que l’augmentation des cours du pétrole. L’Allemagne et l’Autriche dépendent par exemple beaucoup plus du gaz russe que la Suisse.

Récemment, certains politiciens ont mis en garde contre un embargo sur le pétrole russe, capable d’entraîner une récession dans la zone euro. Est-ce un risque?

Les risques de ralentissement de l’économie pouvant résulter d’un embargo sur le pétrole doivent être mis en relation avec d’autres risques sur le plan géopolitique. Dans les années 1930, l’Europe n’a pas fait de bonnes expériences avec la politique d’apaisement avec l’Allemagne qui était alors menée. S’il devait y avoir une extension du conflit avec l’Ukraine, cela entraînerait vraiment un changement radical de la situation, aussi sur le plan économique. Aujourd’hui, certains économistes discutent de la crise en Ukraine comme s’il s’agissait seulement d’un risque de baisse dans un cycle économique. Il y a toutefois beaucoup plus de choses qui sont en jeu dans la situation présente.

Quel est votre meilleur pronostic concernant l’évolution du PIB en Suisse en 2022?

Je ne fais jamais ce genre de pronostics – qui s’avèrent le plus souvent de toute façon faux. Comme l’a aussi formulé la BNS jeudi matin, je pense qu’il est utile de rappeler que le niveau d’incertitude est aujourd’hui extraordinairement élevé. Il faut en tenir compte. Dans l’ensemble, même si je suis quelque peu inquiet à propos des perspectives macroéconomiques globales, mon scénario principal reste celui d’une poursuite de la croissance et d’une inflation qui s’atténuera l’an prochain.

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