Se positionner pour la transition

Salima Barragan

3 minutes de lecture

Sebastien Galy de Nordea AM: «les marchés devraient réagir positivement dans les mois à venir».

Des classes d’actifs simultanément à la baisse, une inflation vertigineuse alors que les économies se remettaient à peine d’une pandémie, une guerre déconcertante en Europe: 2022 a été difficile, mais aussi surprenante. Des points d'interrogation subsistent à l’heure des prévisions pour le nouvel an: quels défis occuperont les marchés financiers? Comment la conjoncture et le renchérissement évolueront-ils? De quelles façons les experts positionnent-ils les portefeuilles pour les mois à venir? Autour de 5 questions clés, l’équipe d’Allnews vous souhaite une heureuse année 2023.

Dans ce second volet, Sébastien Galy de Nordea Asset Management pointe du doigt les banques centrales, dont la lenteur des réponses monétaires résulte de leurs modèles ankylosés dans le passé. «Apprendre seulement de l’histoire, c’est attendre sans tout comprendre», formule le stratégiste macroéconomique qui s’attend à ce que les marchés des taux, puis de crédit, et de plus en plus des actions, réagissent positivement dans les mois à venir.

Quelle leçon retenez-vous de 2022?

La réponse à cette crise figurait en première page du Wall Street Journal, qui rapportait d’importants problèmes dans les chaines d’inventaire. Figées dans leurs modèles et leur compréhension, les banques centrales ont été très lentes à comprendre l’existence et l’ampleur du problème du choc de l’offre et de la demande combiné au COVID-19. Leurs modèles, qui suggèrent toujours des retours à l’équilibre, étaient incapables d’intégrer assez rapidement cet amalgame de faits en développements complexes. Paul Krugman était l’un des rares économistes à avoir prévu le choc inflationniste qui découlerait d’une politique monétaire et fiscale ultra-expansionniste. La perte du Congrès pour les Démocrates en est la conséquence politique.

Un cycle court de réduction des taux aux États-Unis ainsi qu’une pause dans la zone euro semblent le scénario le plus probable.
Sommes-nous rentrés dans un nouveau régime d’inflation?

Non, pour autant que les banques centrales continuent à faire leur travail. Mais si le prix du renchérissement s’avère trop élevé, les populations pourraient demander des transferts fiscaux, ce qui propulserait la dette à un niveau exagéré. C’est sans doute le cas en Italie, mais l’impact demeurera limité pour la Banque centrale européenne. Tandis qu’aux États-Unis, une contraction fiscale demeure plus probable sous l’égide des Républicains, ce qui pourrait créer des mouvements sociaux ainsi que d’éventuelles séquelles politiques.

Quand pensez-vous que le pivot de la Fed aura-t-il lieu, et comment l’anticipez-vous?

Il y’a parfois de l’arrogance à exprimer ce qu’on ne peut dire, car on y cherche des évidences simples et des messages clairs, alors que la vérité demeure cachée pour un temps. On peut penser que le pivot de la Fed se fera à la fin de cette année, mais les anticipations naissantes reviendront souvent. Pour l’instant, la Fed les rejette suggérant plutôt un ralentissement prévisible de la montée de taux. La Banque Centrale européenne est sans doute dans la même situation, mais cette dernière fait face à des chocs énergétiques incertains. Un cycle court de réduction des taux aux États-Unis ainsi qu’une pause dans la zone euro semblent le scénario le plus probable.

La Fed, comme l’a noté le Wall Street Journal, fait face à une demande robuste des ménages les plus riches. En opposition, ceux aux revenus les plus bas souffrent même s’ils ont parfois changé d’emploi pour un meilleur. Il en résulte une forte montée des inventaires dont les marges sont souvent trop élevées. Ces dernières prennent en général du temps à chuter. Il est probable que les sociétés américaines continuent de surestimer la demande sous-jacente et essaient de protéger leurs marges en laissant le temps à leurs surplus d’inventaire de s’écouler. Ceci devrait ralentir le moment où la Fed cesse de monter ses taux.

Quelles sont vos perspectives pour 2023 et comment les marchés réagiront-ils?

Le consensus suggère une récession aux États-Unis et une encore plus profonde en Europe. L’on s’attend à ce scénario depuis quelques mois suite au choc inflationniste, mais sa réalisation pourrait mettre en lumière des problèmes structurels dans l’économie ou spécifiques à des noms particuliers. Typiquement dans une récession, l’on découvre des problèmes qui sont lentement montés à la surface comme la vulnérabilité de certaines entreprises: on peut penser par exemple au scandale de Worldcom. Entre 1999 et 2002, cette entreprise a manipulé ses comptes financiers pour maintenir le prix de ses actions. Ce type de choc après une longue période d’exubérance reste possible et le cas de Luckin Coffee, dont le prix a chuté de 90%, soulève aussi des questions. Tout ceci suggère l’analyse approfondie des bilans et de la gestion des émetteurs de dette.

Cependant, le marché commence de plus en plus à anticiper le rebond éventuel des économies européenne et américaine. On passe donc davantage de la gestion du risque au placement pour le long terme. Ceci m’amène à dire que les marchés des taux, puis du crédit, et de plus en plus des actions, devraient réagir positivement dans les semaines et les mois qui viennent.  

Comment positionnez-vous les portefeuilles pour les mois à venir?

Nous préférons les obligations couvertes de petite et de plus en plus longue duration en tant qu’actif sûr. Du côté des actions, nous favorisons les actions de bonne qualité avec des profits suffisamment prévoyables et des marges décentes. Parmi celles-ci, nous sélectionnons généralement les actions peu onéreuses.

Au fil du temps, nous devrions voir un marché focaliser de plus en plus vers un horizon à long terme, passant du crédit aux actions. Comment se positionner pour cette transition complexe? La gestion du risque requiert de se protéger contre les risques d’une récession sévère. L’investissement demande de trouver les points d’entrée, incertains qu’ils sont, face à un futur qui se développe. Par exemple, la croissance allemande se montre plus robuste qu’attendu face à un choc énergétique et une faible croissance chinoise. L’art sera de se positionner pour un futur difficile à appréhender dans notre compréhension d’aujourd’hui et de demain. Face à la transition climatique et à l’évolution de l’intelligence artificielle, je m’attends à voir de nouveaux styles et facteurs apparaitre.

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