S’ajuster à la nouvelle réalité

Yves Hulmann

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Pour Raphaël Thuin de Tikehau Capital, le marché ne semble pas positionné pour une accélération significative du rythme de resserrement monétaire.

Les marchés des actions ont évolué en demi-teinte en début d’année, sous l’effet notamment des inquiétudes concernant l’inflation et des mesures de réduction du soutien apporté par les banques centrales. Comment se positionner pour la nouvelle année en cours, alors que la saison des résultats va débuter? Le point avec Raphaël Thuin, directeur des stratégies de marchés de capitaux chez Tikehau Capital.

Le FMI, comme de nombreux économistes, anticipent pour 2022 une poursuite de la reprise avec une croissance mondiale qui devrait s’établir autour de 4,9%, contre un taux de 5,9% estimé pour 2021. L’apparition du variant Omicron en novembre dernier risque-t-elle de remettre en question cette prévision durant la première partie de l’année?

Il se peut que l’arrivée de ce nouveau variant freine un peu la croissance au premier trimestre mais cela ne va pas remettre en question le mouvement de reprise dans son ensemble. En comparaison avec 2020, le COVID-19 a moins de poids dans l’équation. Chaque vague de la pandémie a eu moins d’effets sur l’économie que la précédente. Néanmoins certains secteurs devraient continuer à être affectés, notamment en raison des perturbations sur les chaînes d’approvisionnement. L’inflation se maintiendra donc selon nous à des niveaux plus élevés qu’avant la pandémie.

«Nous nous sommes assez tôt alarmés du retour de l’inflation, et de son caractère durable. Cette hausse des prix est plus structurelle qu’il n’y paraît.»
Au sujet de l’accélération de l’inflation observée dans de nombreux pays en 2021, en particulier aux Etats-Unis, il y a eu un long débat entre les experts qui estiment qu’elle ne sera que «transitoire» et ceux qui estiment qu’elle présente un caractère plus durable. Quelle est votre analyse de la situation?

Chez Tikehau Capital, nous nous sommes assez tôt alarmés du retour de l’inflation, et de son caractère durable. Cette hausse des prix est plus structurelle qu’il n’y paraît et ceci en raison de plusieurs facteurs. Le facteur démographique tout d’abord. La taille de la population en âge de travailler est en diminution continue à travers le monde. Cette évolution pourrait exercer une influence long terme aux conséquences inflationnistes, non seulement sur le coût du travail mais aussi sur la consommation.

Deuxième facteur: la transformation du modèle économique chinois. Le modèle chinois de ces dernières décennies a été centré sur une activité exportatrice soutenue et le maintien d’une monnaie dépréciée. Il a abreuvé les économies mondiales de biens peu onéreux, produits à faibles coûts à l’aide d’une main d’œuvre bon marché. Aujourd’hui, le pouvoir en place convertit à marche forcée cette économie vers un modèle davantage tourné vers la demande intérieure et son économie domestique. Ce pivot devrait avoir un impact sur les prix à long terme.

«Il semblerait que nous soyons à la fin d’un modèle de suroptimisation économique, fiscale, financière. Cela aura un impact sur l’inflation.»

Troisième facteur: la mondialisation, qui a probablement atteint son point d’inflexion. Le retour de barrières douanières aux frontières, la remontée générale des taux d’imposition et le rapatriement croissant des chaines de production devraient là-aussi engendrer des coûts de production supplémentaires, qui se refléteront dans les prix. En d’autres termes, il semblerait que nous soyons à la fin d’un modèle de suroptimisation économique, fiscale, financière. Cela aura un impact sur l’inflation. 

Dans une note publiée en novembre 2021, Tikehau Capital estimait que les politiques monétaires étaient désormais «fermement engagées dans une phase de resserrement». Une telle phase risque-t-elle d’accroître la volatilité sur les marchés - ou cette phase d’adaptation des politiques monétaires a-t-elle déjà été largement anticipée par ceux-ci?

Les banquiers centraux à travers le monde sont désormais fermement engagés, à des niveaux divers, dans une dynamique de resserrement monétaire. Après avoir longtemps adopté une attitude attentiste, minimisant le risque que le retour de l’inflation puisse perdurer sur le long terme, beaucoup de banques centrales sont dans l’obligation d’accélérer. 2022 devrait être une année de remontée des taux directeurs, et de diminution de la taille de bilan des banques centrales. La volatilité observée sur les marchés ces dernières semaines et la rotation qui prend corps entre différents segments, témoignent de la nécessité pour certaines classes d’actifs de s’ajuster à cette réalité.

Le net recul des marchés survenu durant la première semaine de janvier suite à la publication des minutes de la Fed atteste-t-il d’une plus grande nervosité sur les marchés?

Le marché ne semble pas positionné pour une accélération significative du rythme de resserrement monétaire de la part des banques centrales. Un sentiment de surprise domine, comme en témoignent la remontée rapide des taux d’intérêt depuis quelques semaines, ainsi que la rotation au profit des valeurs davantage cycliques, et au détriment des valeurs croissantes et de hauts multiples. Cette tendance selon nous pourrait être amenée à perdurer, avec en particulier un potentiel de hausse sur les taux qui reste important, et une correction sur les actions chèrement valorisées qui ne semble qu’à ses débuts.

«En combinant à la fois des entreprises de qualité et qui affichent des multiples pas trop chers, vous réduisez alors fortement les risques pour vos investissements en actions.»
Une hausse des taux représente toujours un risque pour les obligations. Est-ce aussi le cas pour les actions?

Un scénario de hausse des taux pénaliserait le segment obligataire et en premier les obligations souveraines et de notation «investment grade» qui sont davantage sensibles aux taux d’intérêt. Dans ce contexte, les emprunts à haut rendement («high yield») seraient à favoriser, car leur performance est davantage portée par l’évolution des primes de risque de crédit. Dans une économie en croissance, et dans un marché où les liquidités sont abondantes, ce risque crédit nous semble plus attractif que le risque de taux. Quoiqu’il en soit, il semble indiqué de maintenir dans son portefeuille une sensibilité au taux d’intérêt raisonnablement faible, c’est-à-dire de privilégier les stratégies à duration courte. Enfin, sur le segment obligataire, nous continuons d’être investi sur le segment des subordonnées financières européennes, dont le secteur est bien positionné pour 2022 et qui présente une décote de marché attractive.

Dans la perspective d’une hausse des taux, quels types d’actions faudrait-il privilégier ou au contraire éviter?

Les titres d’entreprises à privilégier dans un marché inflationniste sont ceux de grande qualité, disposant d’une forte capacité à imposer leurs prix («pricing power»), d’une faible base d’actifs, et d’un matelas de profitabilité confortable. Par ailleurs, les valeurs chèrement valorisées étant davantage sensibles à la dynamique des taux d’intérêt, mieux vaudrait se concentrer sur les titres de sociétés qui affichent des multiples peu élevés. En combinant à la fois des entreprises de qualité et qui affichent des multiples pas trop chers, vous réduisez alors fortement les risques pour vos investissements en actions.

Dans quels domaines trouve-t-on justement des actions qui combinent à la fois une grande qualité tout en étant valorisées avec des multiples raisonnables?

On peut trouver des entreprises attrayantes avec des valorisations encore raisonnables par exemple dans le segment des biens de consommation et des produits de base. Des entreprises telles qu’Unilever, Colgate, Reckitt Benckiser, Procter & Gamble ou encore Pepsi sont capables de tirer leur épingle du jeu. Ce sont des sociétés qui bénéficient justement d’un «pricing power» élevé et qui sont en mesure de répercuter d’éventuelles hausses de leurs coûts de production à leurs clients. Par exemple, si Pepsi venait à augmenter le prix de ses bouteilles de 5 ou 10 centimes, les consommateurs ne se tourneraient pas pour autant vers d’autres marques de soda.

Les avis sont très partagés au sujet des valorisations dans le secteur des technologies. Qu’en pensez-vous?

L’attention des médias et du public se concentre sur les actions des valeurs technologiques les plus chères. Pour autant, il y a certaines entreprises à l’intérieur du secteur des technologies qui nous semblent intéressantes. C’est le cas, par exemple, de certains fournisseurs de services dans l’informatique du cloud. C’est un secteur en forte croissance et qui compte relativement peu d’acteurs. On peut également citer le segment de la publicité en ligne, largement dominé par une poignée d’acteurs tels que Google ou Facebook, et qui en termes de valorisation coûtent moins cher que les actions de l’indice S&P 500 en moyenne.

Vous avez lancé l’an dernier le fonds Tikehau Impact Credit qui investit principalement dans des titres à haut rendement («high yield») mais aussi dans les obligations d’entreprises investment grade, les obligations vertes («green bonds») et les obligations durables. Pourquoi ces différents types d’emprunts sont-ils réunis dans un seul fonds?

Chez Tikehau Capital, nous avons à cœur d’accompagner les entreprises dans leurs projets de croissance, tout en soutenant leur transition vers des modèles plus durables d’un point de vue environnemental, social et de gouvernance. Cette approche tient compte de critères de performance financière classiques – qui dans un univers «high yield», permettent de générer des rendements supérieurs à 4% -, combinés à des critères de performance extra-financière. Le fonds Tikehau Impact Credit a pour objectif de contribuer à la transition vers une économie net zéro carbone.

«Nous incluons aussi des titres d’entreprises qui ne sont pas encore nécessairement ‘vertes’ mais qui ont déjà entamé des démarches importantes pour réduire leur empreinte carbone.»

Il comprend trois catégories d'investissements et/ou d'émetteurs. La première, qui représente 20% de ses investissements est constituée de pure players, comme les fabricants d'éoliennes et de panneaux solaires, ou d’obligations dites vertes. La deuxième catégorie est consacrée aux émetteurs qui ont déjà manifesté un appétit pour mieux faire en signant un grand accord international sur le climat. Nous connaissons depuis longtemps ces entreprises et nous pouvons leur fournir une grille de lecture pour les aider dans leur transition vers un développement plus durable. La dernière catégorie s'intéresse aux sociétés disposant d'un potentiel de réduction significative des émissions de CO2. Nous disposons également d'une bonne connaissance de leur modèle de développement et pouvons leur fournir un chemin de croissance durable. Nous pensons pouvoir les aider dans leur démarche afin de mettre en place un cercle vertueux.

Les obligations d’entreprises faisant partie de ces deux dernières catégories sont-elles suffisamment «vertes» pour entrer dans la composition d’un fonds d’impact?

Nous incluons aussi en effet des titres d’entreprises qui ne sont pas encore nécessairement «vertes» mais qui ont néanmoins déjà entamé des démarches importantes pour réduire leur empreinte carbone, et qui ont signé un véritable engagement dans ce sens. Enfin, nous investissons aussi dans des entreprises qui n’ont, certes, pas encore signé un engagement formel mais qui ont mis en place des mesures importantes pour réduire leur empreinte carbone. Tikehau Impact Credit entend diminuer l’intensité carbone des titres détenus en portefeuille de 5% chaque année. Les entreprises du fonds sont donc engagées à s’améliorer dans la durée quant à leur impact environnemental.

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