Potentiel certain pour les actions

Salima Barragan

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La phase de surchauffe peut encore durer quelques années estime Samy Chaar de la banque Lombard Odier.

 

Les cycles économiques se terminent toujours à cause de politiques monétaires trop restrictives. Mais nous n’en sommes pas encore là; une phase de surchauffe peut durer quelques années estime Samy Chaar, chef économiste de la banque Lombard Odier.

Après l’ère des «Goldilocks», une croissance confortable sans inflation, comment envisagez-vous l’évolution du cycle économique aux États-Unis?

Il y a des signes très perceptibles que les États-Unis sont passé d’une phase Goldilocks à une phase d’accélération du cycle. Ce changement de régime crée des incertitudes et c’est, je crois, la principale raison pour laquelle nous observons un retour de la volatilité sur les marchés. Les premiers signes de surchauffe sont apparus notamment sur le marché de l’emploi et dans le comportement des ménages américains, qui drainent leur épargne en anticipation des hausses de salaire futures. Cette phase de maturité tend aussi vers une pleine utilisation des capacités. Les taux d’intérêt commencent, bien sûr, à monter mais le coût du capital reste raisonnable. La croissance économique est toujours présente car nous sommes dans une période d’embellie économique. Ceci dit, en fin de cycle, les politiques monétaires régressives ne sont pas favorables à la croissance des profits des sociétés. Mais dans notre approche, nous sommes encore confiants dans leur capacité à générer des bénéfices.

«C’est la banque centrale américaine qui renversera
le cycle économique en allant trop loin dans ses hausses de taux.»
Qu’en est-il d’un risque de récession?

Une phase de surchauffe peut durer encore plusieurs années. C’est la banque centrale américaine qui renversera le cycle économique en allant trop loin dans ses hausses de taux. Aujourd’hui la courbe des taux américains se situe à 50 points de base, un niveau similaire à ceux de 2005, 1988 ou 1997. Dans chaque cas, aucune crise ne s’est déclarée dans les deux années qui ont suivi.. La courbe des taux s’aplatit à mesure que le cycle mûrit, mais nous n’observons pas encore d’inversion de la courbe qui signalerait une récession imminente. La zone de risque se rapprochera lorsque les États-Unis atteindront la fin de cycle. Aujourd’hui, nous ne voyons pas de précondition à une crise même si nous ne pouvons pas exclure l’apparition d’un signal de récession d’ici quelques trimestres. Quoi qu’il en soit, nous nous tenons prêts à réagir.

Les craintes inflationnistes aux États-Unis ont engendré des tensions sur les marchés en ce début d’année. Ces craintes sont-elles injustifiées?

Oui, car il n’y a aucune raison que l’inflation dépasse 2,5%. La FED la maintient sous contrôle et d’ailleurs, sur un période de 25 ans, l’inflation sous-jacente n’a jamais dépassé cette borne de fluctuation! Nous n’avons pas connu d’inflation de surchauffe ces 25 dernières années car nous vivons dans un contexte mondialisé où une démographie vieillissante et l’impact technologique pèsent négativement sur l’inflation.

«Que le 10 ans américain se réveille
ne signifie pas que c’est la fin!»
A partir de quel niveau, les hausses de taux d’intérêt américains auront-ils des répercussions négatives sur l’environnement économique et financier?

Pour répondre à cette question il faut considérer trois facteurs. Premièrement, les taux réels. Aux États-Unis, ils sont actuellement de 0,4% ce qui n’est pas prohibitif. Je deviendrais nerveux à partir d’un taux réel supérieur à 1% mais cette éventualité est encore lointaine. Deuxièmement, la règle de Taylor indique qu’avec des taux sous les 2%, la Fed n’est pas encore restrictive. Enfin, il faut prendre en compte l’activité économique. La croissance nominale américaine est à 4,8% alors que les taux à 10 ans sont à 3%.  Pour simplifier, cela veut dire que l’économie américaine «gagne» 1,8% de plus que ce qu’elle paie en charge d’intérêt.  Nous avons donc encore de la marge. Que le 10 ans américain se réveille ne signifie pas que c’est la fin! Ces trois éléments convergent vers un message identique: les conditions de ralentissement de l’économie ne sont pas remplies.

Quelles sont les régions que vous surpondérez?

Nous nous intéressons en général aux pays en retard sur le cycle économique mondial mais deux belles histoires se dégagent: l’Europe et les pays émergent. Il y a plus de 4 ans, sur les 15 pays que comptaient la zone euro, 4 économies étaient en quasi-faillite. Les comptes courants de l’Espagne, de la Grèce, du Portugal et de l’Irlande affichaient des déficits entre 7 et 15%. Aujourd’hui, sur les 19 pays de cette même zone, aucun n’est en faillite. Au contraire, la situation de solvabilité s’est améliorée et aucun compte courant est déficitaire. La reprise économique est convaincante. Nous y voyons de la valeur car une croissance à 2% impliquerait une croissance des bénéfices de 10 à 15%. Nous surpondérons aussi les pays émergents qui connaissent une histoire analogue mais dont le cycle plus jeune est en phase d’expansion. Ces pays avaient été impactés par la baisse des cours des matières premières qui avaient affaibli leurs devises et importé de l’inflation. Aujourd’hui le baril s’est stabilisé à un prix soutenable de 70 dollars grâce au jeu de l’offre mais ces devises restent clairement sous-évaluées de 20% en parité de pouvoir d’achat.

«Le point crucial sera d’identifier et de gérer
la fin du cycle économique aux États-Unis.»
Comment percevez-vous le monde d’aujourd’hui et comment le voyez-vous évoluer dans le futur?

Contre intuitivement, le monde est dans sa meilleure forme économique des 10 dernières années. A l’exception des États-Unis, nous sommes toujours en période de «Goldilocks». Les 45 économies formant l‘OCDE sont en phase de croissance – bien que dans des phases de cycle différentes – et aujourd’hui, Venezuela mis à part, aucune économie majeure n’est en crise. Le point crucial sera d’identifier et de gérer la fin du cycle économique aux États-Unis.

Ce qui va caractériser l’évolution de la mondialisation d’ici 5 à 10 ans est l’émergence de la Chine et de ses projets commerciaux de la route de la Soie 2.0, de l’union de l’Eurasie et la lutte des États-Unis pour maintenir leur leadership au dépend de cette même Chine. Ces tensions vont engendrer des changements dans les rapports géopolitiques et aboutir à un monde multipolaire peut-être plus équilibré. Mais un monde multipolaire est aussi plus volatile.