Pas de ligne du parti

Nicolette de Joncaire

3 minutes de lecture

«En cas de repentification de la courbe, l’engouement pour les valeurs phare actuelles se dégonflerait» estime Marc Renaud de Mandarine Gestion.

Fondateur et président de Mandarine Gestion, maison française et indépendante créée en 2008, Marc Renaud se définit lui-même comme un gérant actions «value». Mais chez Mandarine Gestion, il n’y a pas de «ligne du parti», toutes les tendances sont représentées pour autant qu’elles soient fondées sur une gestion de conviction. Et son spectre de produits actions s’étend sur toutes les tailles de capitalisations, en Europe et à l’international et depuis un an sur une stratégie globale dédiée à la transition climatique. La société a revendiqué très vite de se tourner vers une finance utile à l’économie réelle et a créé, il y a déjà plus de 10 ans, un fonds d’investissement non-coté, spécialisé dans les entreprises sociales et solidaires avec des capitaux institutionnels. Après une forte croissance dans ses premières années d’existence, ensuite perturbée par un environnement adverse aux actions européennes, la société a à présent retrouvé son élan, avec le lancement de nouveaux produits et des recrutements. Entretien.

Comment Mandarine Gestion a-t-elle supporté la crise?

Personne ne peut se vanter de l’avoir bien vécue mais nous ne sommes pas à plaindre. La Bourse est au plus haut, notre métier se prête au télétravail et à la délocalisation et notre plan de continuité a été à la hauteur des attentes. Nous avons appris à travailler digitalement à distance et c’est aujourd’hui un acquis. La collecte de fonds s’est reprise et la performance est au rendez-vous, notamment vis-à-vis des inquiétudes du mois de mars. Après quelques années au ralenti dans un environnement adverse aux actions européennes, dernier actif que recherchaient les investisseurs internationaux, nous voyons se dessiner une dynamique porteuse depuis que nous sommes sortis d’Europe, notamment avec un fonds global sur la transition climatique mais aussi avec notre stratégie petites et moyennes valeurs européennes qui continue à intéresser les investisseurs. Nos encours se montent à près de 3 milliards d’euros et notre équipe compte 35 personnes, dont deux nouveaux arrivés dans l’équipe Gestion.

«Nous menons des visio-conférences avec 80 à 200 clients
deux fois par mois mais rien ne remplace le contact personnel.»
Le télétravail convient donc bien à votre activité?

C’est une formule qui correspond bien à la gestion mais s’adapte moins à l’animation des équipes ou à la prospection. Nous menons des visio-conférences avec 80 à 200 clients deux fois par mois mais rien ne remplace le contact personnel.

Vous semblez avoir une empreinte ISR marquée?

Naturellement, la réglementation nous y pousse aujourd’hui systématiquement. Mais cette démarche responsable s’est inscrite dans notre comportement depuis bien plus longtemps et nous sommes allés très tôt au-delà des exigences régulatoires avec notre portefeuille non-coté solidaire. Concrètement, la moitié de notre gamme de produits est aujourd’hui labellisée ISR avec les contraintes associées. Mais, plus largement, deux de nos collaborateurs sont des spécialistes ESG, indépendants de la gestion, et nous usons d’une approche ESG intégrée pour l’ensemble des portefeuilles même ceux qui ne sont pas labellisés ISR. 

La demande est-elle forte?

A l’heure actuelle, ce qui est ESG collecte 90% des actifs et ce qui ne l’est pas subit une décote. Ce qui explique pourquoi l’analyse ESG doit faire partie intégrante des processus de gestion. Mais attention, ce qui répond aux critères ESG n’est pas forcément de l’ISR où l’impact doit être le cœur de process. C’est pourquoi, malgré une démarche ESG généralisée à toutes nos expertises actions, tous nos produits ne sont pas labellisés ISR. Certains processus de gestion ciblent des univers d’investissement très spécifiques, qui se verraient trop réduits en appliquant un filtre ISR strict.

Pandémie, vaccins, de quoi sera fait demain?

Cette crise me parait être d’abord une crise sociale. A l’exception de certains secteurs très endommagés, le tissu industriel a été peu compromis et l’Etat a sauvé la trésorerie des sociétés. En France, on constate une épargne forcée de l’ordre de 200 milliards d’euros et il s’agira désormais de préserver le tissu social. Avec les vaccins et le retour du printemps, espérons une reprise robuste. 

«Nous allons sortir d’un monde sans inflation et presque tous les actifs
en souffriront à l’exception des banques et des matières premières.»
Et sur le plan du marché?

Il n’y a pas un marché mais deux. Avec d’une part des valeurs beaucoup trop chères, dans les secteurs de la tech ou du luxe par exemple. Et de l’autre, des pans entiers de la cote qui ont été massacrés. C’est vrai en particulier des valeurs bancaires ou pétrolières. Nous sommes dans une situation étonnante: si les taux restent à zéro, il devient impossible d’attribuer un prix à Nestlé et la capitalisation d’Apple égale la totalité de la capitalisation allemande. Une bulle clairement visible. Une repentification de la courbe signifierait un retour des primes de risque. Et l’engouement pour les valeurs phare d’aujourd’hui se dégonflerait. Nous ferions en quelque sorte le trajet inverse de celui que nous avons parcouru il y a 10 ans. Mais qui dit reprise du risque, dit aussi risque d’Inflation avec une hausse des salaires nécessaire pour réduire les inégalités. Nous allons sortir d’un monde sans inflation et presque tous les actifs en souffriront à l’exception des banques et des matières premières. La gestion de style value a très bien repris. Nous observons déjà une très forte rotation sectorielle du marché depuis quelques semaines, rotation qui confirme une reprise cyclique et une repentification potentielle de la courbe. Cette crise, très atypique, n’a rien à voir avec la précédente dans la mesure où elle a été bien gérée par les banques centrales et par les Etats – tout au moins du point de vue boursier. Il s’agit toutefois d’un trou d’air violent qu’il ne faut en aucun cas minimiser. Mais si la croissance redémarre aussi vite qu’elle s’est arrêtée, la compensation devrait être rapide.

Comment vous profilez-vous sur le marché Suisse?

Avec notre bureau de Genève ouvert depuis trois ans, nous nous sommes d’abord profilés sur le marché romand, avec un biais en faveur des gérants indépendants qui sont très internationaux mais pour lesquels une implantation locale est importante. Depuis, nous avons diversifié la clientèle en nombre et en actifs. Nous songeons bien sûr à ouvrir à Zurich et à nous adresser à une clientèle plus institutionnelle. Le marché suisse est colossal, hyper concurrentiel, très professionnel et très ouvert. Il faut y être bon.

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