Mobilité: investir au-delà des véhicules

Yves Hulmann

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La communication améliorée et la numérisation sont deux aspects clés pour la mobilité du futur, estime George Saffaye, gérant chez BNY Mellon.

La transformation numérique affectera autant la mobilité que d’autres domaines d’activité. Le point avec George Saffaye est stratège en investissement chez Mellon, une société qui appartient à BNY Mellon Investment Management, où il est responsable d’un fonds dédié à l’innovation dans le domaine de la mobilité.

Avant l’épidémie de COVID-19, vous avez encore eu l’occasion de vous rendre au Consumer Electronic Show de Las Vegas. Quelles ont été les tendances les plus intéressantes que vous avez pu y observer en rapport avec la mobilité?

De manière générale, la tendance la plus importante est celle de la transformation numérique, qui affecte autant la mobilité que d’autres domaines. Les développements en lien avec les systèmes d’assistance avancés à la conduite automobile, ou «Advanced Driver Assistance Systems» (ADAS) en anglais, continuent de s’accélérer. Les systèmes d’information présents dans les véhicules vont, à l’avenir, constituer une part toujours plus importante de la valeur ajoutée au sein de chaque véhicule. La transformation numérique des véhicules entraînera à son tour de multiples autres changements. D’une part, car elle permettra le développement de toute une offre de services supplémentaires, par exemple dans le domaine du divertissement. Dès qu’il sera possible de «déléguer» à votre véhicule la conduite durant certaines parties des trajets, cela permettra au conducteur de s’occuper d’autres tâches, par exemple de réserver une table dans un restaurant ou de répondre à des courriels. D’autre part, les systèmes ADAS constituent en quelque sorte l’ossature de base qui ouvre la voie aux véhicules semi-autonomes et, au final, entièrement autonomes. Les systèmes d’aide à la conduite contribuent à améliorer la sécurité lorsque vous conduisez la nuit, lorsqu’il pleut ou ils vous avertissent quand un autre véhicule s’approche à vitesse élevée d’une intersection, etc. Aujourd’hui, tous ces nouveaux équipements font peu à peu leur entrée dans le parc automobile existant.

La conduite des véhicules autonomes nécessite de pouvoir gérer d’immenses
quantités de données, lesquelles doivent pouvoir être traitées en temps réel.
Les systèmes d’aide à la conduite (ADAS) ouvrent-ils progressivement la voie aux véhicules semi- ou entièrement autonomes – ou s’agit-il de concepts encore entièrement différents?

Il y a une continuité entre ces différents développements. Je ne pense pas qu’il y aura une année X où l’on ne présentera d'un coup plus que des voitures autonomes dans les grands salons automobiles. Non, les choses évolueront certainement étape par étape. Le grand défi n’est en effet pas seulement de fabriquer des véhicules autonomes – ceux-ci existent déjà en tant que tel – mais surtout d’adapter l’ensemble de l’infrastructure qui permettra à ces véhicules de fonctionner.

La conduite des véhicules autonomes nécessite de pouvoir gérer d’immenses quantités de données, lesquelles doivent aussi pouvoir être traitées en temps réel. Il faut en outre que les données des différents véhicules soient aussi synchronisées entre elles. Compte tenu de ces impératifs, il y a encore un long chemin à parcourir jusqu’à l’adoption des véhicules conduits de manière entièrement autonome.

Quelles seront ces étapes?

On distingue généralement entre six types de conduite. Premièrement, au niveau zéro, y a le fait de conduire sans aucune forme d’assistance à la conduite ou d’automation. Deuxièmement, il y a différents systèmes d’aide à la conduite, tels qu’ils sont déjà déployés dans beaucoup de véhicules commercialisés actuellement. Ceux-ci incluent plusieurs niveaux d’assistance qui augmentent graduellement, passant du niveau 1 avec une simple aide de base à la conduite au niveau 3 avec une automation conditionnelle. Ces systèmes de conduite accordent une certaine autonomie au véhicule mais le conducteur doit néanmoins être prêt à reprendre le contrôle du volant à tout moment en cas de besoin.

Finalement, les deux phases les plus avancées peut être distinguées de la manière suivante: le niveau 4, celui de l’automatisation élevée, permet une conduite sans interaction humaine mais qui est restreinte à des situations connues, tandis qu’il y a toujours siège réservé pour le conducteur et un volant à disposition pour le conducteur si nécessaire.

Il faut que les consommateurs, les pouvoirs publics et les entreprises
puissent assurer l’usage d’une infrastructure continue reposant sur la 5G.

L’étape ultime, le niveau 5, est considérée comme une autonomie complète où le conducteur n’a plus besoin d’être préparé à reprendre le contrôle du véhicule – et dans ce cas, il n’y plus même de siège réservé pour le conducteur, ni de volant.

Quand vous évoquez les investissements nécessaires dans les infrastructures, pensez-vous surtout aux télécoms?

Oui, il faut notamment que les consommateurs, les pouvoirs publics et les entreprises puissent assurer l’usage d’une infrastructure continue reposant sur la 5G. L’amélioration du temps de réponse est un aspect essentiel: le délai actuel de l’ordre de 30 à 100 millisecondes est trop long dans le domaine des véhicules autonomes. Avec le réseau 5G, ce délai pourra être ramené à moins d’une milliseconde.

Parmi quatre domaines liés à l’innovation dans la mobilité – à savoir la connectivité, les véhicules autonomes, l’électrification et le partage de véhicules -, le «car sharing» n’est-il pas en train de subir un arrêt brutal en raison de la crise du COVID-19? Les gens préfèrent à nouveau utiliser leur propre véhicule…

A très court terme, il y aura certainement un usage accru des véhicules individuels. Mais je ne pense pas que cela remettra en question la tendance de fond allant en direction du partage des véhicules. Aujourd’hui, le fait d’acheter votre propre véhicule est certainement le pire investissement que vous puissiez faire compte tenu de la dépréciation rapide de la valeur d'une voiture. De plus, vous payez pour votre voiture même lorsque vous ne l’utilisez-pas – par exemple, lorsque vous la garez à l’aéroport. Et c’est le cas aussi pour les assurances. Un autre moteur qui favorisera cette évolution est que les entreprises peuvent aussi collecter beaucoup d’informations au sujet des véhicules partagés, celles-ci peuvent ensuite être utilisées pour améliorer la sécurité des usagers et être mises en valeur commercialement.

La communication améliorée et la numérisation
sont deux aspects clés pour la mobilité du futur.
En matière d’électrification du parc automobile, pensez-vous que les Etats limiteront les mesures de soutien au développement des véhicules électriques, par faute de moyens financiers - ou vont-ils au contraire les renforcer dans le cadre de mesures de relance budgétaires?

Concernant l’Europe, nous sommes confiants sur le fait que l’Union européenne maintienne des normes strictes pour réduire les émissions de polluants et de CO2. La crise du coronavirus ne va pas changer ce qui a déjà été mis en place dans ce domaine sur le plan politique. Au niveau individuel, les gens vont à mon avis adopter davantage les véhicules électriques non pas pour des raisons environnementales en premier lieu - mais avant tout parce qu’ils s’aperçoivent que les véhicules électriques impliquent, sur la durée, des coûts nettement inférieurs à ceux des moteurs à combustion. Il y a de nombreux avantages qui vont favoriser la «migration» des véhicules à combustion vers les véhicules électriques.

Quels sont les critères clés que vous évaluez lorsque vous choisissez d’investir dans des entreprises en lien avec l’innovation dans la mobilité?

Nous nous concentrons sur ce qui va au-delà du véhicule. Nous investissons aussi bien dans des entreprises totalement nouvelles dans le secteur de la mobilité que dans des groupes qui ont déjà une longue histoire dans l’automobile. La communication améliorée et la numérisation sont deux aspects clés pour la mobilité du futur. Et je pense que la crise du COVID-19 contribuera même à accélérer les changements qui étaient déjà en cours auparavant.

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