Les valeurs technologiques passées au crible de la durabilité

Yves Hulmann

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Pour Jeroen Bos, expert chez NN IP, les critères de l’investissement responsable s’appliquent aussi aux géants de la tech.

Les valeurs technologiques et l’investissement durable sont-ils compatibles ? Le point avec Jeroen Bos, directeur de l’investissement responsable chez NN Investment Partners (NN IP).

La forte présence d’entreprises actives dans l’économie numérique est l’une des particularités de votre fonds durable global en actions. Parmi les principales positions qui y figurent, on trouve plusieurs géants américains de la tech comme Microsoft, Amazon ou Alphabet. Y a-t-il des défis spécifiques à prendre en compte du point de vue de l’investissement durable lorsque l’on investit dans l’économie numérique? 

Je ne pense que pas que l’on puisse séparer complètement l’économie numérique des autres secteurs d’activité. Désormais, la numérisation intervient dans toutes sortes de secteurs qui vont bien au-delà de la IT ou du e-commerce. La numérisation a affecté toutes sortes de domaines comme l’alimentation, la logistique ou les transports. Tous les secteurs sont concernés par la numérisation. C’est pourquoi les critères de durabilité s’appliquent désormais aussi aux géants de la tech, tout comme c’est le cas pour d’autres secteurs.

Si vous prenez, par exemple, une société comme Microsoft, le fabricant de logiciels s’est donné pour objectif d’atteindre la neutralité carbone dans toutes ses activités. Cela veut dire que toutes sortes d’aspects, allant de l’approvisionnement en énergie aux systèmes de refroidissement, doivent être analysés en fonction de leur impact énergétique. Microsoft est devenue aujourd’hui une entreprise très différente de celle qu’elle était au début des années 2000.

Maintenant, nous ne tenons pas compte seulement du «E» mais aussi du «S» parmi les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). Cela signifie que nous allons, par exemple, regarder quelles sont les conditions de travail des opérateurs qui sont employés en Inde par les géants de la tech. Une société comme Amazon, qui a fait l’objet de critiques au sujet des conditions de travail dans ses entrepôts, a dû adapter ses pratiques lorsque c’est devenu un sujet débattu publiquement.

«Facebook ne figure pas dans notre fonds global. Cette entreprise a toujours
eu une réponse très lente aux critiques qui lui ont été adressées.»
Vous tenez donc compte de l’évolution de l’attitude des entreprises, pas seulement de leur situation initiale d’un point de vue ESG?

Oui, les améliorations effectuées sont aussi un aspect qui est pris en compte. Nous regardons quelles sociétés s’adaptent à ces critères et quelles sociétés les ignorent. C’est pourquoi Facebook, par exemple, ne figure pas dans notre fonds global. Cette entreprise a toujours eu une réponse très lente aux critiques qui lui ont été adressées, notamment au sujet des manipulations des votes. Et elle a toujours fait preuve d’une certaine intransparence. C’est pourquoi nous avons jusqu’ici évité ce titre, même lorsqu’il présentait un certain attrait sur le plan purement financier.

Nous accordons aussi beaucoup d’importance à la manière avec laquelle les entreprises organisent l’ensemble de leur chaîne d’approvisionnement. Par exemple, une société comme Bakkafrost, basée dans les Îles Féroé et spécialisée dans l’élevage de saumons, a réussi à mettre en place une utilisation optimale de ses sources d’énergie et elle s’est beaucoup engagée pour réduire son empreinte carbone.

D’un point de vue ESG, peut-on analyser de la même manière des entreprises de petite à moyenne taille actives dans des secteurs bien spécifiques, d’un côté, et des grands conglomérats largement diversifiés, de l’autre? 

Bien sûr, plus la taille d’une entreprise augmente, plus il est difficile de tirer un bilan d’ensemble de ses activités. Au sein d’un grand groupe, vous pouvez avoir des activités très respectueuses de l’environnement et d’autres qui ne le sont pas. Mais, malgré tout, nous appliquons la même méthodologie, quelle que soit la taille d’une entreprise.

«Dans l’ensemble, nous n’avons pas beaucoup
modifié les positions dans notre fonds.»
NN IP a développé son propre indicateur de durabilité, le NNIP ESG Corporate Indicator. Cela signifie-t-il que vous effectuez l’ensemble du processus d’analyse vous-même - ou recourrez-vous aussi à des agences externes? 

Oui. Nous créons notre indicateur ESG grâce au travail de nos analystes, et nous utilisons aussi les services d’agences telles que Sustainalytics ou Refinitiv. Cela dit, nous n’utilisons pas l’ensemble des données qui sont mises à disposition par ces sociétés mais seulement les données pertinentes pour notre processus d’analyse.

Dans le fonds durable en actions pour l’Europe de NN IP, Nestlé figure parmi les principales positions. Comment analysez-vous la multinationale vaudoise en fonction des critères de durabilité? 

Il y a quelques décennies, Nestlé avait été critiquée à la suite de différentes controverses, notamment celle concernant le lait en poudre pour les bébés ou l’approvisionnement en chocolat. Puis, sous l’ère de Peter Brabeck, les relations étaient aussi parfois tendues avec les investisseurs. A cette époque, je dirais que Unilever était en comparaison beaucoup plus engagée socialement. Entretemps, Nestlé a largement recentré son portefeuille d’activités et l’entreprise tient beaucoup plus compte des critères de durabilité.

Avez-vous procédé à des changements importants dans votre portefeuille d’actions européennes au cours des dernier mois?

Dans l’ensemble, nous n’avons pas beaucoup modifié les positions dans notre fonds. Nous avons certes réduit nos positions dans des entreprises comme CTS Eventim, spécialisée dans les systèmes de billetterie, ou dans Informa, active dans l’édition scientifique, deux sociétés qui évoluent dans un marché vraiment très difficile. A l’inverse, nous avons ajouté des sociétés comme Scout24 à notre portefeuille. Par ailleurs, nous avons aussi procédé à quelques remplacements de titres à l’intérieur de certains secteurs. Dans les techniques médicales, Stratec a par exemple été remplacé par l’entreprise suisse Tecan.