Les signaux émis par les indices de volatilité incitent à la prudence

Yves Hulmann

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Pour Guillaume Bourquenoud d’Alquant, l’analyse d’indices tels que le VIX aide à détecter à temps l’apparition de tensions sur les marchés.

La volatilité est un aspect essentiel pour analyser l’évolution des marchés. Comment interpréter la situation actuelle des marchés et de quelle manière peut-on intégrer cette dimension dans l’analyse des portefeuilles? Entretien avec Guillaume Bourquenoud, co-fondateur et directeur d’Alquant, une société spécialisée dans la gestion d’actifs quantitative fondée en 2018.

Comment a été créé Alquant et dans quel but?

J’ai obtenu un master en finance quantitative auprès de l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ). Avec une dizaine d’étudiants, nous avons suivi un programme de gestion de portefeuille au sein duquel nous avons pu développer notre propre stratégie d’investissement. Ce programme, qui est proposé par l’Université de Zurich en collaboration avec la fondation P&K Pühringer et ZZ Vermögensberatung (Schweiz) AG, permet à des étudiants de tester des stratégies d’investissement – avec la particularité que l’on investit avec du vrai argent. Cela permet de tester des stratégies non pas de manière conceptuelle mais avec des montants réels. Sur la base de ces premiers tests, j’ai pensé qu’il était possible de se lancer dans la gestion d’actifs quantitative et qu’il y avait une place à prendre dans ce domaine.

Pratiquement, quelles ont été les recommandations apportées par votre approche d’investissement – avez-vous des exemples?

Lors de la forte correction survenue entre fin janvier et début février 2018, par exemple, notre indicateur avait bien anticipé les tensions qui étaient alors apparues. Cela a également été le cas au début de 2020 lorsque les inquiétudes autour du Covid-19 ont commencé à grandir. Le 28 février 2020, nous sommes «sortis» du marché, avant d’y revenir le 23 mars.

Sur la base de quels signaux aviez-vous pris cette décision le 28 février – en fonction de l’évolution d’indices de volatilité tels que le VIX?

Nous ne nous basons pas directement sur les variations des indices de volatilité eux-mêmes, tels que le VIX. Nous analysons plutôt la courbe des futures sur indices, qui représente la structure des prix des futures pour différentes échéances. Nous procédons à une analyse des différents points sur la courbe, afin d’estimer le niveau et la pente de la courbe. Sur cette base, notre algorithme indique si l’on est en mode «business as usual» ou si, au contraire, on entre en mode panique.

Le rythme auquel les marchés boursiers ont progressé depuis le début du mois d'octobre, sans presque aucune baisse, est probablement peu durable.
Cela peut-il s’interpréter sur la seule base de l’observation de ces courbes?

Il faut tenir compte de plusieurs signaux. Le premier d’entre eux est celui de la pente. Si tout va bien, le deuxième future du VIX doit être plus élevé que le 1er future du VIX et la pente est montante. Il s’agit d’une situation dite de «contango», comme l’on l’appelle aussi dans domaine des matières premières, notamment. En revanche, si la pente de ces points est descendante, il s’agit alors d’une situation plus risquée, car il s’agit d’une situation de «backwardation». Ensuite, outre la pente, nous prenons également en compte le niveau, la courbure, ainsi que d'autres dynamiques de la courbe. En prenant en considération l’ensemble de ces aspects, on obtient une analyse de «patterns» assez complexes mais qui permettent d’établir une évaluation du niveau de risque et de volatilité d’un marché.

Est-ce que cette analyse permet de détecter, ou du moins d’anticiper, la survenance de certains événements?

On ne cherche pas à prédire quoi que ce soit ! Notre approche n’a pas l’ambition d’anticiper à l’avance ce qui va se passer ou non. Pour nous, il est complètement égal de savoir quelle était l’origine ou la raison qui a fait qu’une partie des investisseurs ont cherché à se protéger. Par exemple, dès la mi-décembre 2019, on avait déjà observé qu’il y avait des gens qui se «hedgaient» pas mal. Pourquoi ces investisseurs cherchaient-ils à protéger leurs positions? C’est très difficile à dire – peut-être que certaines personnes savaient que quelque chose se passait à Wuhan. Ce n’est qu’un exemple de tendances que l’on a pu détecter. Cela dit, le modèle ne permet pas – et ne prétend pas – d’indiquer la source d’où vient un problème potentiel. En revanche, dès qu’on voit qu’un certain nombre de personnes cherchent à protéger leurs positions, c’est un signal dont il faut tenir compte.

Quels investisseurs ou gérants sont intéressé à utiliser ces signaux?

Quelle que soit la catégorie d’actifs concernée – actions, obligations, devises –, il y a toujours des investisseurs qui cherchent à être soit «short» sur la volatilité, soit à être «long» sur celle-ci. Il y a différentes manières d’utiliser cette information. Être «long» sur la volatilité coûte très cher – c’est un peu comme une assurance que l’on paie. Il est difficile de savoir si le jeu en vaut la chandelle.

Une autre façon d’utiliser ces indications est de les employer comme un outil de timing, une sorte de couche supplémentaire servant d’aide à la décision.

Ce n'est jamais un bon signe lorsque le marché boursier et le VIX augmentent en même temps, comme nous l'avons vu au début du mois de novembre.
Un investisseur orienté à très long terme, un investisseur «value» par exemple, a-t-il besoin de ces informations?

Quel que soit le style d’investissement, le timing est important. Si un investisseur perd 50% sur le montant qu’il a placé, il ne faudra pas seulement que cette position regagne 50% pour revenir au point initial – mais une hausse de 100% sera nécessaire. Donc, il y a de toute manière un grand intérêt, pour n’importe quel investisseur, d’éviter un «drawdown» trop important.

Qui utilise le plus les indicateurs de volatilité que vous avez développé?

Jusqu’à présent, il s’agit surtout de gérants indépendants, de family offices ou de personnes ultra-fortunées (UHNWI), soit avant tout des services qui s’adressent à des investisseurs qualifiés. A l’avenir, nous prévoyons aussi de lancer un fonds UCITS qui sera distribué en Suisse, tout en étant compatible avec le format européen. Le but est de rendre accessible une solution de placement de type «long vol» à la clientèle privée. La demande d’enregistrement est en cours auprès de la Finma et nous attendons encore d’obtenir la licence.

Si l’on revient à la question des niveaux de volatilité, peut-on dire qu’à partir d’un certain seuil – par exemple au-delà de 20 points pour l’indice VIX – il faut vraiment commencer à être attentif?

Evidemment, lorsqu’un indice tel que le VIX atteint des niveaux dépassant les 50 ou 60 points, alors, oui, il est sûr qu’il est très difficile de continuer à investir dans un tel environnement. En revanche, à 20, 25 voire même 30 points, on ne peut pas simplement dire qu’il faut se comporter de telle ou telle manière.

Beaucoup de stratèges anticipent maintenant un «rallye de fin d’année». Qu’en pensez-vous sur la base de vos indicateurs?

Entre le 5 octobre et le 22 novembre, nos indicateurs étaient plutôt haussiers, mais depuis le 22 novembre, nos indicateurs sont plutôt «risk-off» et le sont toujours au moment de la rédaction de cet article (8 décembre). Cependant, comme déjà mentionné, nos indicateurs ne font pas de prédictions sur plusieurs jours. Il m'est donc impossible de donner un pronostic précis sur l'évolution de la situation. Toutefois, je conseillerais aux investisseurs d'être plus prudents qu'ils ne l'étaient au début du mois d'octobre. Ce n'est jamais un bon signe lorsque le marché boursier et le VIX augmentent en même temps, comme nous l'avons vu au début du mois de novembre (signe d'un «melt-up» et d'achats de panique).

Qui compose l’équipe d’Alquant?

Elle est constituée actuellement de six personnes. D’une part, il y a les trois co-fondateurs qui ont étudié à l’EPFL ou EFPZ, dont deux personnes issues de la finance quantitative et une qui est issue de la science informatique. S’y ajoutent encore trois employés qui, par exemple, sont spécialisés dans la recherche quantitative, la gestion des risques et la science des données.