Les néo-banques? Partenaires potentiels plutôt que concurrents

Yves Hulmann

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Pour Christoph M. Mueller, fondateur de CreditGate24, il ne subsistera, à terme, plus que deux ou trois plateformes de «crowdlending» en Suisse.

Basée à Rüschlikon près de Zurich, CreditGate24 est une plateforme spécialisée dans le financement de crédits personnels et de crédits commerciaux. Avec environ 70% de parts de marché dans le domaine du crowdlending en Suisse, CreditGate24 est la première plateforme de ce type en Suisse. Cette année, CreditGate24 a renforcé sa position sur ce marché en rachetant la société fintech zurichoise Advanon, spécialisée dans la mise à disposition à court terme de liquidités aux entreprises en échange de leurs créances. Juriste de formation au bénéfice de plusieurs années d’expérience dans le secteur bancaire, Christoph M. Mueller, directeur de CreditGate24, a fondé la société en 2015 en Suisse. Quelle est aujourd’hui l’importance de cette forme de financement pour les PME et les particuliers? Le point avec Christoph M. Mueller.

Comment fonctionne le modèle d’affaires de CreditGate24 et quel est le profil des investisseurs qui mettent à disposition des liquidités à court terme aux entreprises via votre plateforme?

C’est surtout le modèle d’affaires d’Advanon qui était spécialisé dans la mise à disposition de liquidités à très court terme pour les entreprises. S’agissant de CreditGate24, la durée moyenne des prêts accordés via notre plateforme est de 72 mois. Environ 80% des fonds prêtés proviennent d’investisseurs institutionnels et 20% de privés. Et dans cette seconde catégorie, 10% des fonds se rapportent à des mandats pour des clients, alors qu’une part de 10% est issue de particuliers. En d’autres termes, les prêts financés par la foule, ou «crowd» comme on le dit en anglais, ne constituent qu’une très petite partie des fonds mis à la disposition d’emprunteurs personnels ou commerciaux. Cela ne correspond certes pas tout à fait à l’idée initiale que l’on se fait du crowdlending mais il s’agit d’un processus d’octroi de crédits organisé de manière efficace et qui permet à de nombreux particuliers ou petites entreprises d’avoir un accès rapide à un financement.

«Avec une part de marché d’environ 70% dans le crowdlending en Suisse,
nous ne craignons pas vraiment les plateformes concurrentes.»
Selon une étude de la Haute Ecole de Lucerne, il existe près d’une trentaine de plateformes de financement participatif qui sont actives en Suisse. Anticipez-vous une consolidation dans ce domaine ou, au contraire, une intensification de la concurrence?

Il faut distinguer entre, d’un côté, les nombreuses plateformes de financement participatif actives dans le domaine du «crowdfunding», au sens large, et, de l’autre, le segment, plus spécifique, dit du «crowdlending» dans lequel nous sommes présents. Dans ce dernier segment, il existe encore 11 plateformes de ce type en Suisse – à l’avenir, il ne subsistera vraisemblablement plus que deux ou trois plateformes de crowdlending en Suisse. Avec une part de marché d’environ 70% dans ce domaine, nous ne craignons pas vraiment les plateformes concurrentes – nous voulons plutôt défier les banques elles-mêmes.

Voyez-vous les «néo-banques» aussi comme des rivaux potentiels?

Nous connaissons très bien ces acteurs. Du reste, CreditGate24 est même en négociation avec la société britannique Revolut depuis trois ans. Nous voyons plutôt ces sociétés comme de possibles partenaires. CreditGate24 voit les néo-banques davantage comme une opportunité qu’un risque. En effet, nous pouvons apporter notre expertise dans le domaine du financement de crédits personnels et commerciaux.

Comment les investisseurs intéressés à prêter de l’argent peuvent-ils s’informer à propos de la qualité des dossiers qui leur sont soumis?

Notre processus est hautement automatisé et chaque demande de prêt - avant même d’être présentée aux investisseurs - doit déjà satisfaire à différents critères d’évaluation. Chaque demande est présentée de manière standardisée dans un document appelé «Credit Project Share». Ensuite, les demandes de financement sont regroupées dans une newsletter qui est envoyée aux investisseurs potentiels.

«Nous n’avons encore jamais subi de défaut dans la catégorie AAA.»

Ce document contient les critères clés comme l’intérêt proposé, l’échéance du prêt et un rating, à quoi s’ajoute des informations sur l’emprunteur, la nature du projet, etc. Comme on le voit, il s’agit d’un processus déjà très largement standardisé. L’attribution dès le départ d’une notation, basée sur notre propre méthodologie, est aussi importante car certains investisseurs, en particulier des institutionnels, ne veulent d’emblée investir que dans les demandes bénéficiant de la meilleure notation, soit triple A. A ce sujet, il faut aussi souligner que nous n’avons encore jamais subi de défaut dans la catégorie AAA.

La crise du coronavirus va-t-elle remettre en question la solvabilité de certains emprunteurs qui avaient déposé leur demande de financement avant que n’éclate l’épidémie?

Nous avons nous même effectué des tests de résistance pour évaluer la qualité de la solvabilité des demandes de prêts. Dans l’ensemble, il faut garder à l’esprit que le taux de défaut est de toute manière extrêmement bas – ne représentant que 0,3% du total.

Les prêteurs, qu’ils soient institutionnels ou privés, ne vont-ils pas exiger des intérêts plus élevés à l’avenir?

C’est difficile à estimer. Mais, même si des taux d’intérêts plus élevés sont appliqués, cela renforcera l’attrait de notre plateforme pour de nombreux investisseurs qui sont justement à la recherche de rendements plus élevés que ceux que l’on obtient sur les marchés obligataires tout n’encourant que des risques limités. A cet égard, on a pu observer durant la crise que les investisseurs individuels - ceux que l’on désigne sous le nom de «crowd» - ont continué d’investir de manière très constante. Le portefeuille de placement est ainsi resté très stable. Il faut préciser que la somme minimale d’investissement diffère si l’on est un investisseur institutionnel, soit 100’000 francs au minimum, ou un investisseur privé où le seuil minimal est situé à seulement 500 francs.

Les crédits COVID accordés par la Confédération ont-il eu un effet sur la qualité des entreprises qui empruntent de l’argent via CreditGate24?

L’octroi de tels crédits par la Confédération a aussi pour conséquence de maintenir en vie certaines entreprises qui, sinon, n’auraient pas réussi à garder la tête hors de l’eau. De notre côté, nous n’avons pas accepté les demandes de prêts d’entreprises qui n’ont pas une qualité suffisante. Au-delà du rating qui est octroyé à chaque dossier, il faut aussi préciser que chaque dossier est soumis, au préalable, à un processus d’évaluation très précis. Sur 100 demandes de prêts soumises, nous n’en gardons qu’une vingtaine qui sont ensuite effectivement présentées aux investisseurs. Il serait faux de penser que n’importe qui peut remplir un formulaire en ligne et soumettre une demande aux investisseurs.

«Un domaine qui suscite beaucoup d’intérêt auprès
de nos clients est celui du refinancement de factures.»
Côté emprunteurs, comment évolue le profil des utilisateurs de la plateforme?

Un domaine qui suscite beaucoup d’intérêt auprès de nos clients est celui du refinancement de factures. Par exemple, un peintre qui a réalisé des travaux pour une grande entreprise du SMI dotée d’une bonne solvabilité peut soit attendre plusieurs semaines de recevoir l’argent du client, soit revendre cette facture à un investisseur tiers, ce qui lui permet de se refinancer immédiatement. Bien entendu, le peintre pourrait aussi s’adresser à une banque pour obtenir un tel financement mais, dans ce cas, il faudra probablement que la demande passe à travers toute une procédure - avec aussi le risque que ça se termine par un refus. Via CreditGate24, le peintre obtient une décision – qu’elle soit positive ou négative - quasi immédiate de notre plateforme et il peut ainsi percevoir très rapidement une large partie du montant de la facture. Un petit entrepreneur a ainsi la possibilité de se refinancer très rapidement en échange d’une commission. Quant à l’investisseur, il obtient un intérêt attrayant tout en n’encourant que de faibles risques que l’entreprise du SMI ne lui rembourse pas le montant de la facture. La rapidité de nos processus, presque entièrement numérisés, est un de nos atouts les plus importants.

Quelles sont les prochaines étapes de développement de CreditGate24?

Il faut d’abord terminer l’intégration de CreditGate24. Ensuite, nous visons une internationalisation de nos activités, avec une expansion prévue en Allemagne. Dès lors que notre modèle d’affaires a fait ses preuves en Suisse, nous pensons qu’il peut aussi fonctionner sur une échelle plus large en Allemagne.

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