Les matières premières se sont enfin remises du choc

Cyril Gomez

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Elles ne se contenteront pas de recouvrer la santé et représenteront une source majeure d’inflation négative, selon David-Michael Lincke de Picard Angst.

Le sort des matières premières cette année sera étroitement lié à trois grandes sources de risque. Émetteur de fonds et produits structurés liés aux matières premières, l’asset manager suisse Picard Angst estime d’abord que les cours pourraient être soutenus après des années de sous-investissement dans les capacités de maintenance et d’expansion au sein des industries de l’extraction. Deuxième support, un rebond attendu de la demande résultant des plans de relance budgétaire et des programmes d’investissement public. Enfin, un risque macroéconomique sous la forme d’une hausse de l’inflation et d’une poursuite de la tendance baissière du dollar, nous explique David-Michael Lincke, Head of Portfolio Management chez Picard Angst.

Quel bilan dresser de l’évolution des matières premières en 2020?

Si l’on regarde les sous-indices d’un benchmark tel que le Bloomberg Commodity Index, l’on voit que la majorité des secteurs ont relativement bien progressé depuis le creux de mars. Les métaux précieux, après avoir tiré parti de leur statut d’actif refuge, ont par la suite bénéficié de la baisse soutenue des taux réels et de la dépréciation du dollar. L’énergie, pour les raisons que l’on connaît, ainsi que le bétail sont les seuls secteurs affichant une nette sous-performance. À court terme, toutefois, une reprise des cours du pétrole s’observe actuellement après que l’Arabie Saoudite a unilatéralement décidé de baisser encore un peu plus sa production. Le sort du secteur des énergies fossiles sera étroitement lié à la normalisation de l’économie globale. Quant au bétail, il subit les restrictions à l’importation et à l’exportation de viande aux États-Unis, tandis que la Chine a fermé ses frontières pour les importations en provenance de plusieurs régions dans le cadre de sa lutte contre une expansion de la pandémie au sein de ses usines d’emballage de viande. Mais, partout ailleurs, on est globalement en hausse.

Le café est le seul secteur à afficher d’importantes
surproductions, mais cela pourrait changer.
Quelles sont les forces ayant soutenu cette dynamique, alors qu’il reste encore pourtant tant d’incertitudes sur le plan macroéconomique mais également sanitaire?

Selon moi, cette résilience reflète la vitesse de récupération de l’économie chinoise, dont le taux de croissance est revenu à un niveau plus ou moins similaire à celui qui précédait la pandémie. Les plans de stimulation qui y ont été mis en place ont clairement soutenu la demande, en particulier la demande pour les métaux industriels.

Dans le cas du secteur agricole, on observe également de fortes progressions positives de cours. À quoi les attribuer?

Les prix y ont été largement soutenus par les hausses des stocks un peu partout dans les principales zones de consommation. Le covid a fait prendre conscience aux pays producteurs de l’intérêt à accumuler des réserves stratégiques face à la vulnérabilité de la chaîne logistique internationale. D’importants excédents de graines, telles que le blé, le maïs et le soja, par exemple, ne sont donc pas acheminés sur les marchés mais stockés. C’est le cas de nombreux pays du Moyen-Orient, fortement dépendants des importations de graines, qui ont dû subir l’arrêt brutal des livraisons et la suspension du transport maritime dès les premières phases de la pandémie. Côté offre, les rendements des récoltes se sont avérés globalement décevants. En Europe, la récolte de blé n’a pas été bonne, quant à la production de sucre, celle-ci peine à suivre la demande. En réalité, le café est le seul secteur à afficher d’importantes surproductions, mais cela pourrait changer.

Le meilleur pronostiqueur de l’inflation
est l’inflation elle-même.
Comment vous-positionnez-vous à moyen ou long terme par rapport aux matières premières agricoles après leurs récentes progressions?

Nous restons globalement positifs, compte tenu de leur massive sous-performance des trois ou quatre dernières décennies. À première vue, on est en droit d’attendre une réponse de l’offre, afin de stabiliser le déficit de production. Ce regain de production devrait s’accompagner d’une correction des prix, toutes choses par ailleurs restant constantes. Néanmoins, nous avons observés d’importantes perturbations climatiques associées à La Niña dans le Pacifique capables d’entraver les récoltes durant l’année 2021. Si nous savons que l’impact de La Niña sera important, nous ignorons toujours à quel moment se produira cet impact, pendant combien de temps il s’étalera et quelles régions seront touchées. C’est pourquoi nous pensons qu’il y a encore de la marge de progression des cours des matières premières agricoles, en raison du facteur climatique.

Est-ce que les matières premières seront-elles des sources d’inflation durable à court, moyen ou long terme?

Prédire l’inflation est un exercice extrêmement délicat. Les experts se trompent plus souvent qu’ils n’ont raison. Comme les économistes le disent, le meilleur pronostiqueur de l’inflation est l’inflation elle-même. C’est cependant un scénario que nous prenons très au sérieux. Après le choc déflationniste de la première moitié de l’année, celui-ci s’est dissipé durant la seconde moitié parallèlement à la reprise de l’économie mondiale. Reprise qui n’est plus seulement stimulée par les banques centrales mais également par les gouvernements. Ce qui constitue une grande différence par rapport à ce que nous avons vécu depuis la Grande Crise Financière (GFC). Cette fois, ce ne sont plus seulement les prix des actifs financiers qui pourraient être amenés à augmenter mais également les prix au sein de l’économie réelle. Pratiquement personne ne parle plus d’austérité budgétaire au sein de la classe politique, celle-ci estimant que la situation d’urgence justifie une telle orientation. D’où le fonds d’urgence européen de 750 milliards d’euros ou le vaste programme de dépenses budgétaires de plus de 2000 milliards de dollars aux États-Unis. Programmes qui, en attendant leur extension, ont provoqué une hausse des revenus des ménages durant la récente récession. Ce qui ne s’était jamais vu auparavant. Le fait que les banques centrales financent désormais la dette des États ne fait que renforcer les pressions inflationnistes. Les précédents plans d’assouplissement quantitatifs visant à répondre à la GCF n’ont pas donné lieu à une création de crédit. C’est différent aujourd’hui.