Les leçons de la 10e hausse des taux de la BCE

Emmanuel Garessus

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Christine Lagarde change de stratégie, selon Samy Chaar, de Lombard Odier, lequel prévoit une stabilité des taux jusqu’en juin 2024. 

Lors d’une réunion au sort très incertain, Christine Lagarde et la BCE ont tranché. Le taux directeur de la zone euro est relevé d’un quart de point. Les autorités monétaires avaient à mettre en balance un risque croissant de récession et une inflation qui, à 5,3% en août, dépasse encore l’objectif de 2%. Fallait-il procéder à un 10e relèvement des taux? La BCE a fait le pas parce que, selon le communiqué, l’inflation «devrait rester trop forte pendant une trop longue période». Elle a ainsi répondu aux attentes du marché puisque la probabilité d’une hausse s’élevait à 65% jeudi matin, selon l’AWP. Dorénavant, les autorités prévoient une inflation de 5,6% en 2023, 3,2% en 2024 et 2,1% en 2025. Ce scénario correspond à une révision à la hausse pour 2023 et 2024 et à la baisse pour 2025. En réaction à la décision, les actions et les obligations s’apprécient modérément en Europe et aux Etats-Unis tandis que l’euro baisse sensiblement face au franc et au dollar.

Samy Chaar, chef économiste auprès du groupe Lombard Odier, répond aux questions d’Allnews:

Quelles sont les principales leçons de la décision de la BCE de relever les taux directives?

A l’entrée de la réunion de la BCE, la dynamique de l’inflation et de la croissance était à la baisse, même si la hausse des prix restait excessive. Ce narratif économique est plutôt favorable aux banques centrales et à la BCE en particulier. La décision restait incertaine entre un scénario de pause ou celui d’une dernière hausse qui annoncerait un plafond des taux. La BCE a choisi la 2e option. La hausse des taux est contre-balancée par l’idée selon laquelle la banque centrale a atteint son taux terminal. La BCE change dorénavant de stratégie. Elle veut maintenir les taux au niveau actuel aussi longtemps que nécessaire, comme l’a répété Christine Lagarde en conférence de presse. A moins bien sûr que l’inflation ne se comporte pas comme elle l’attend. 

Est-ce le dernier relèvement du cycle?

Oui. C’est notre scénario.

La première baisse des taux se produira-t-elle en mars, comme l’anticipe le marché?

Nous l’attendons un trimestre plus tard.

«Une hausse des biens énergétiques ne serait pas suffisante pour justifier la poursuite de la hausse des taux.»
Est-ce que, au moment où le pétrole repart à la hausse, le regard de la BCE se portera toujours sur l’évolution de l’inflation sous-jacente ou plutôt sur l’indice global?

La hausse récente du pétrole ne fait pas l’affaire de la BCE. Il faut toutefois se rappeler que les banques centrales sont restrictives parce qu’elles combattent une hausse des prix généralisée. Si les bonnes nouvelles s’accumulent sur l’inflation sous-jacente (hors alimentation et énergie), la BCE ne changera pas sa stratégie. Une hausse des biens énergétiques ne serait pas suffisante pour justifier la poursuite de la hausse des taux. Nous ne sommes pas dans le cadre d’un choc énergétique. Le cours du brut s’est apprécié mais sans attendre un niveau disruptif, par exemple au-delà de 100 dollars le baril. 

La BCE observera l’impact des hausses de taux sur l’économie, avec une croissance en sous-régime et une diminution progressive de l’inflation sous-jacente notamment des services.

Après une 10e hausse de taux et un pétrole à nouveau plus cher, l’économie européenne peut-elle éviter une récession?

Nous prévoyons une croissance en sous-régime ou une légère récession en Europe parce que le mécanisme de transmission de la politique monétaire est plus fort qu’aux Etats-Unis. L’Europe est davantage dépendante des prêts bancaires. Avec une hausse des taux, l’appétit pour les crédits diminue. Quant à la récession, l’important est de savoir si elle provoque une nette détérioration de l’emploi ou non. Une nette hausse du chômage enverrait un message plus fort qu’une légère contraction du PIB. 

L’environnement macroéconomique est favorable à la BCE. Il lui faut dorénavant laisser du temps au temps.

Pourquoi les actions et les obligations applaudissent-elles le relèvement des taux?

Les marchés saluent le changement de discours et de stratégie des deux principales banques centrales de la planète. L’idée d’un plateau pour les taux plaît aux investisseurs. Les marchés l’avaient toutefois anticipée. Mais ils ne devraient être trop complaisants et sous-estimer l’impact des hausses de taux sur l’économie, notamment en Europe.

En quoi vos perspectives devront-elles être changées?

Je pense qu’il n’était pas nécessaire de monter à 4%. Je porte davantage d’attention à la croissance qu’à l’inflation. Le ralentissement des prix américains est un pré-indicateur de l’inflation en Europe et sa tendance est positive. Le risque est maintenant équivalent entre croissance et inflation. Il faut porter attention à l’activité économique. Il est raisonnable de réduire la température du moteur mais il ne faut pas le faire caler.

Que pensez-vous de la hausse du franc face à l’euro et du dollar face au franc?

La BNS devrait suivre avec une dernière hausse de taux puis un plateau à ce niveau-là pour maintenir le différentiel d’intérêts. Si les stratégies monétaires américaines et européennes sont semblables, le comportement économique est différent. L’Europe flirte avec la récession alors que les Etats-Unis pourrait revenir à une situation de sur-régime. 

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