Les fintechs au service des ODD

Salima Barragan

2 minutes de lecture

Selon Simon Zadek de l’UNCDF, l’avenir de la finance numérique dépendra de la capacité de la communauté internationale à la réguler.

Big data, cryptodevises, paiements par smartphones; la finance numérique a le potentiel pour contribuer à un système financier durable. Pour autant que les gouvernements se penchent sérieusement sur la question du cadre réglementaire des fintechs. Le mandat du Groupe de Travail, dont le Secrétariat siège au Programme de Développement des Nations-Unies (PNUD), vise à redéfinir le rôle des différents acteurs financiers et à émettre des recommandations pour le financement des objectifs de développement durables des Nations-Unis (ODD). «La finance numérique crée de nouvelles opportunités pour atteindre les ODD», explique Simon Zadek, chef du Secrétariat du Groupe de Travail. Entretien.

Comment la finance numérique participera-elle à l’évolution des marchés de capitaux?

La finance numérique va augmenter la qualité des données financières et extra-financières, ce qui permettra de mieux évaluer les risques des produits financiers complexes. Elle permettra également de réduire leurs coûts. Ces possibilités sont particulièrement pertinentes dans le domaine de la finance durable où le volume de données à traiter est considérable. Par exemple, le marché en croissance exponentielle des obligations vertes requiert des données de qualité et transparentes pour s’assurer de la bonne utilisation des fonds. De même, le marché pourra mieux évaluer les risques de transition climatique des portefeuilles, - surtout ceux composés avec des indices d’actifs -, et les fonds de pension pourront réduire leur empreinte carbone avec plus de facilité. Enfin, les banques centrales ont également besoin de données fiables pour monitorer les risques systémiques.

Dans les années à venir, l’ESG deviendra-t-il la nouvelle norme?

Oui, car nous sommes en pleine période de disruption. D’ici quelques années, nous arrêterons de parler d’obligations ESG, pour n’employer plus que le terme d’obligations. Il y a un choix à faire sachant que la finance numérique va réduire les coûts, catalyser l’innovation, accroître la responsabilité des acteurs mais également repositionner le rôle du secteur bancaire à ce qu’il devrait être: servir les citoyens qui sont au final les détenteurs du capital qu’elles prêtent.

«Les discussions sur la Libra ont mis en évidence les dangers
d’une forme de concentration liée aux nouveaux géants du numérique.»
Comment les fintechs vont-elles s’approprier une partie du rôle des banques traditionnelles afin de supporter durablement les économies?

Les banques, qui devraient en théorie être les principales pourvoyeuses de prêts aux petites et moyennes entreprises (PME), jugent que cette activité est trop risquée, qu’elle nécessite trop d’effort de «Due Diligence» et que le taux de défaillance des PME est trop significatif pour entrer en matière. Les banques ne répondent donc plus à leurs besoins financiers. En Chine, Alibaba perturbe le marché des prêts avec la possibilité pour les PME de faire une demande de prêt en 3 minutes via un système d’analyse de leur note de crédit basé sur des algorithmes. Ces entreprises étant les plus grands créateurs d’emploi d’une nation, on comprend bien comment les fintechs ont la possibilité de soutenir durablement le marché du travail.

Quels sont les risques associés à la transition du paysage financier traditionnel vers un système totalement numérique?

Soit la numérisation mène vers un écosystème de fintechs intéressantes avec des institutions plus fortes grâce à des changements réglementaires, soit nous passons à une nouvelle génération de monopoles qui opèrent à travers plusieurs marchés. D’ailleurs, les discussions sur la Libra ont mis en évidence les dangers d’une forme de concentration liée aux nouveaux géants du numérique.

Quel serait l’impact de ce deuxième scénario sur les marchés émergents et comment votre mandat y répond-il?

Ces monopoles donneraient effectivement aux populations la possibilité d’effectuer des paiements à moindre frais, mais elles pourraient perturber les politiques monétaires et macro-économiques de ces pays. La mission du Groupe de Travail est d’instaurer un réel dialogue, lequel est d’ailleurs soutenu par la Suisse, afin de promouvoir un cadre réglementaire international pour les fintechs. Il s’agit d’une opportunité historique afin de structurer les marchés financiers d’ici cinq ou dix ans.

La transition numérique ne crée-t-elle pas des discriminations?

D’un côté, on recommande aux citoyens de maitriser leur finance numérique, mais de l’autre la criminalité cybernétique et les inégalités augmentent. Il faut s’attaquer au problème, surtout auprès des personnes qui n’ont pas accès au monde numérique ou auprès de celles qui n’ont simplement pas les capacités suffisantes pour bénéficier des avantages de la transition. Les infrastructures existent, mais les compétences peuvent faire défaut. Il existe également un biais du fonctionnement du monde digital avec l’implication des algorithmes qui prennent des décisions pouvant entrainer des discriminations de classe ou de genre par exemple. Enfin, les nouveaux chemins éventuels qu’offrent ces moyens technologiques pour les transactions illégales et l’évasion fiscale sont des sujets de préoccupation. La finance numérique offre deux choix: améliorer le système financier pour atteindre les ODD ou accentuer les exclusions. Cela dépendra de la capacité de la communauté internationale à réguler la finance numérique.