Le risque ne doit pas brider l’audace

Yves Hulmann

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L’Afrique sub-saharienne offre de multiples opportunités, souligne Denis Agboton, co-fondateur de HOONEX, un gérant de fortune indépendant basé à Fribourg.

Au bénéfice d’une autorisation délivrée par l’Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (Finma) depuis quelques mois, le gérant de fortune indépendant HOONEX, basé à Fribourg, propose ses services à une clientèle aussi bien suisse qu’africaine. Entretien avec Denis Agboton, son co-fondateur et Chief Operating Officer (COO).

HOONEX a obtenu une autorisation de la Finma il y a quelques mois. Quel travail cela a-t-il représenté pour l’obtenir?

Cela a représenté un important travail de préparation mais qui a été bénéfique pour nous. En tant que gérant indépendant, cela vous oblige à documenter l’ensemble de vos activités et à organiser l’ensemble de vos processus de façon très systématique. C’est une démarche qui présente aussi un grand avantage: nous pouvons en effet expliquer clairement ce que nous faisons. Tout est présenté sur notre site internet www.hoonex.ch

Comment se compose votre base de clients?

Notre clientèle est à 80% d’origine sub-saharienne. Par rapport à d’autres profils de clients; il s’agit généralement de personnes qui ont déjà réalisé un parcours entrepreneurial important au cours de leur carrière et qui ont des projets d’investissements. Ce sont des clients qui souhaitent obtenir des conseils dans toutes sortes de domaines, pas seulement qu’on leur présente une solution de placement prédéfinie et souvent inadaptée à leurs perspectives.

Vous avez fait vos études à Genève et effectué une partie de votre carrière dans la même ville. Pourquoi avoir choisi d’établir votre société à Fribourg plutôt qu’à Genève ou Lausanne par exemple?

C’est aussi une question que je me suis aussi posée: vaudrait-il mieux rester à Genève ou me placer dans un endroit un peu plus en retrait? Au final, avec mon associé, nous avons trouvé intéressant d’établir la société à Fribourg, qui est aussi la ville des ponts. Au sens propre – vu le nombre de ponts qui relient les différentes parties de la ville – tout comme au sens figuré compte tenu de la position centrale de Fribourg entre la Suisse romande et alémanique. Enfin, quand des clients viennent nous voir au siège de HOONEX, peu importe qu’ils arrivent de Genève ou de Zurich, ils traversent un véritable paysage de carte postale. Nous allons les chercher à la descente du train et ils sont en général très contents d’avoir pu traverser une partie de la Suisse. C’est un premier aspect de «welcoming», comme on dit parfois.

Souvent, la transmission de l’entreprise ou plus généralement de la fortune n’est pas préparée. Il n’y a pas de partage du savoir qui a été accumulé par la direction de l’entreprise.
Quel est le profil usuel de vos clients?

Comme déjà évoqué, une grande partie de nos clients, soit environ 80% sont d’origine sub-saharienne, à quoi s’ajoutent environ 20% de clients nationaux. Il s’agit le plus souvent d’entrepreneurs présents dans un domaine d’activité internationale, des gens qui voyagent beaucoup pour leurs activités professionnelles et qui ont une exposition importante à d’autres marchés et monnaies que celui de leur pays d’origine. Lorsqu’ils se rendent en Europe, c’est le plus souvent dans des pays comme la France, le Royaume-Uni ou le Luxembourg – la Suisse n’est en général pas leur première destination. Cette situation augmente l’ampleur des efforts de séduction pour les convaincre de venir en Suisse pour y consolider leur fortune. Ici le métier de la gestion de fortune a une très longue histoire et c’est une activité qui a été constamment règlementée.

Pour les gérants qui ont une importante clientèle en provenance des pays émergents, on entend parfois dire que les clients asiatiques sont par exemple beaucoup plus enclins à prendre des risques que les Européens. Y a-t-il une particularité ou des attentes spécifiques de la part des clients africains?

Tout d’abord, il n’y a pas une Afrique mais des Afriques. On ne peut pas organiser une relation d’affaires avec des Algériens, des Marocains ou des Tunisiens de la même manière qu’on le ferait avec des clients d’origine sub-saharienne. Il s’agit de mentalités totalement différentes. Si l’on descend maintenant encore d’un cran dans les différences régionales, on peut aussi observer que la clientèle du Nigéria, un pays de plus de 220 millions de consommateurs avec une culture anglophone, a une approche très différente de celle de pays comme la Côte d’Ivoire ou le Sénégal, qui ont une autre histoire, d’autres traditions et une autre manière d’organiser les affaires commerciales. Si l’on se déplace un cran plus à l’Est, le Kenya et la Tanzanie, par exemple, sont des pays qui ont à leur tour une toute autre manière de faire. Le Kenya est un pays extraordinaire avec une croissance élevée et une dynamique d’innovation technologique importante qui le différencie d’autres nations dans la région. Donc, quand on aborde des clients en provenance d’Afrique sub-saharienne, il faut tenir compte de ces spécificités régionales.

Dans quels secteurs sont-ils essentiellement actifs?

Il peut s’agir d’entrepreneurs qui ont des sociétés aussi bien actives dans le Trading de matières premières, le textile, le food processing ou dans l’assemblage de composant électroniques, l’immobilier en Afrique ou en Europe.

L’aspect de stabilité monétaire de la Suisse est-il un critère essentiel aux yeux de vos clients?

C’est un aspect important mais qui n’est plus aussi primordial qu’il y a encore quelques décennies. Beaucoup de nos clients ont en effet déjà une partie de leur fortune investie en dollars en euros. Ils ne viennent pas pour la stabilité du franc suisse en premier lieu. Bien sûr, nous les encourageons à placer une partie de leur argent en franc car c’est une monnaie très stable. Ce qu’ils recherchent souvent aussi, c’est un accompagnement en matière d’organisation et des conseils en matière de technique de financement. Notre travail consiste aussi à accompagner la croissance des entreprises ou des personnes que nous conseillons dans une perspective de transmission successorale. Il ne s’agit pas seulement de mettre leur épargne en sécurité en Suisse.

Quels types de conseils leur apportez-vous en matière d’organisation et de technique de financement?

Chaque situation est bien sûr différente. Dans l’ensemble, notre rôle consiste à aider nos clients à consolider ce qu’ils ont déjà réalisé. Il y a parfois des personnes qui ont réalisé de belles histoires entrepreneuriales en l’espace de 10 ou 15 ans mais quand le fondateur quitte l’entreprise ou se retire, tout s’écroule. Souvent, la transmission de l’entreprise ou plus généralement de la fortune n’est pas préparée. Il n’y a pas de partage du savoir qui a été accumulé par la direction de l’entreprise. Il y a souvent un grand besoin de sécuriser le fonctionnement des entreprises pour l’avenir. C’est pourquoi, nous avons constitué un réseau de fiscalistes et de fiduciaires qui peuvent fournir un appui à nos clients. Notre double positionnement culturel nous permet d’intégrer les spécificités des us et coutumes de nos clients et les traduire en structuration pérenne pour les générations futures.

Vos clients réinvestissent-ils aussi une partie de leur argent dans des entreprises ou des projets en Afrique?

Oui, et c’est généralement tout à leur avantage. Si un client investi, par exemple, 5 millions dans des produits classiques en Suisse, il peut certes obtenir un rendement de l’ordre de 3 à 4% par an. S’il investit le même montant dans des entreprises en Afrique, il peut espérer tripler son investissement en moins d’une décennie. En outre, certains de nos clients, lorsqu’ils ont acquis une expérience suffisante dans un domaine donné sont souvent intéressés à reproduire le même modèle d’affaires dans un pays voisin ou dans un pays qui offre les mêmes conditions. Il y a souvent des gens qui ont mis sur pied des entreprises au Congo qui vont ensuite au Sénégal ou au Togo par exemple, l’inverse étant bien sûr également vrai. La demande de conseil vient de plus en plus d’investisseurs, issus d’autres pays émergents comme l’Inde ou le Bangladesh par exemple, qui ont déjà investi dans un ou deux pays en Afrique. Dans ces cas, nous cherchons à évaluer s’il ne vaudrait pas la peine d’envisager une expansion dans un pays tiers de plus grande taille, avec une main d’œuvre opérationnelle plus importante.

Pouvez-vous citer des exemples à ce sujet?

Pour fabriquer certains produits, il peut être plus judicieux d’envisager une installation au Nigéria ou au Congo (Brazzaville) par exemple. C’est aussi ce type de considérations que nous analysons. Dans tous les cas, les relations économiques sud-sud vont continuer à se développer. Je pense que l’on va aller toujours plus dans cette direction-là. Les relations entre les pays de cette région deviennent toujours plus importantes, les chambres de commerce sont toujours davantage interconnectées. HOONEX observe que le continent africain va doubler sa population d’ici 2050. Dans ce nouvel espace d’opportunités en plein essor, l’industrie de la gestion de fortune suisse aura à mon avis un rôle central.

Quels sont les obstacles auxquels il faut être attentif lorsque l’on investit en Afrique – de quels risques faut-il tenir compte en particulier?

La première chose à considérer est que le risque zéro n’existe nulle part. On parle souvent des situations de conflits et de guerres civiles en lien avec l’Afrique – et c’est bien sûr très regrettable quand de tels événements se produisent. Toutefois, qui aurait pensé il y a un an et demi qu’il y aurait actuellement une guerre de grande intensité en Europe à moins de trois heures de vol de la Suisse. Il y a à peine dix ans, la clientèle russe et ukrainienne était souvent considérée comme celle qui offrait un très grand potentiel dans le domaine de la gestion de fortune. En quelques années, la situation a complètement changé.

Concernant l’Afrique, la perception devrait être relativisée. Les risques d’instabilité politique dans certaines régions, ne devraient pas empêcher de réfléchir à long terme et d’avoir des projets ambitieux. L’instauration de la Démocratie «à l’Occidentale», n’est pas pour HOONEX et ses clients un frein à la croissance. Le risque ne doit pas brider l’audace!

Êtes-vous parfois contacté par des investisseurs suisses ou européens qui ne connaissent pas spécialement l’Afrique mais qui s’intéressent à investir dans de nouveaux marchés émergents?

Ces demandes sont de plus en plus nombreuses. Il y a deux types d’investisseurs: d’une part, il y a ceux qui ont investi avec succès dans certains marchés émergents et qui veulent continuer, De l’autre, il y a ceux qui se sont déjà brûlés les doigts et qui hésitent beaucoup à recommencer. Et ce sont plutôt ces derniers qui m’intéressent car il y a un vrai challenge à pouvoir évaluer ce qui n’a pas fonctionné dans leurs précédents investissements dans les pays émergents et mieux orienter une nouvelle dynamique.

Si l’on revient sur la question des démarches qui ont été nécessaires pour obtenir l’autorisation de la Finma, y a-t-il eu des obstacles ou des difficultés qui ont été particulièrement difficiles à surmonter?

Les règles sont les mêmes pour tous et c’est bien comme cela. Je n’ai pas eu l’impression d’avoir été plus embêté du fait que nous nous occupions d’une clientèle particulière. Il faut respecter les règles dites «KYC» usuelles. Il faut être attentif à tous les risques compliance et réputationnels. Nous avons été bien assistés par des spécialistes pour obtenir cette licence. En fin de compte, je pense que c’est un avantage pour une société comme la nôtre d’être placée sous la surveillance de la Finma.

Comment voyez-vous les possibilités de développement à l’avenir de HOONEX?

L’obtention de la licence de la Finma a permis d’emblée de renforcer la structure de HOONEX de façon à pouvoir «on-boarder» de nouveaux gérants. Notre organisation, pourrait accueillir de nouveaux gérants pour accroître les synergies et accompagner les clients dans les nombreux défis à venir.