Le processus évolutif de l’éco-responsabilité

Salima Barragan

3 minutes de lecture

«Nous mesurons les démarches responsables des sociétés, indépendamment de leur secteur d’activité», explique Renaud Despierre Corporon de la CPEG.

Depuis sa création en janvier 2014, la CPEG (Caisse de prévoyance de l’État de Genève), qui est née de la fusion entre la CIA (Caisse du personnel de l’instruction publique et de l’administration) et la CEH (Caisse de prévoyance du personnel des établissements publics médicaux), place l’investissement durable au cœur de ses préoccupations. Son responsable de l’Asset Management Renaud Despierre Corporon interviendra lors de la conférence Sustainable et Impact organisée à Genève par NN IP le 21 septembre. «La conciliation de notre devoir fiduciaire et des investissements responsables représente un travail colossal» confie-t-il à Allnews. Entretien

Comment la CPEG a-t-elle vécu les bouleversements récents et l’incertitude sur les marchés?

Nous sommes restés sereins en dépit de la volatilité parce que notre allocation demeure défensive vis-à-vis des autres caisses. La part d’immobilier direct, qui représente près de 25% du portefeuille, ne subit pas les pressions de marchés, sauf si les taux commencent à monter. Nous détenons aussi une exposition importante de 17% constituée d’un prêt de 3.8 milliards de l’État de Genève qui amortit les fluctuations de marché. Le reste est investi en valeurs mobilières. Nous avons également profité des turbulences de marché pour rebalancer certaines positions.

Comment les évènements récents et le renchérissement vont-ils modifier votre vision des placements?

Ils ne changeront pas nos investissements, qui restent dirigés par une allocation stratégique à long terme. Néanmoins, nous surveillons l’inflation de près en raison de son impact sur les placements. La question de «comment éviter de détenir un portefeuille qui va totalement la subir» se pose, mais elle ne modifie pas notre vision à long terme et nous n’avons pas effectué d’ajustements tactiques à cet effet.

La durabilité, qui fait partie intégrante de notre ADN, est ancrée dans l’article 4 de la loi sur la CPEG qui stipule que son activité s’inscrit dans la perspective des investissements responsables.
En revanche, face à la hausse des prix, des assurés pourraient-ils favoriser le capital au lieu de la rente?

C’est un peu tôt pour l’affirmer, car l’inflation n’a pas encore influencé nos assurés, et la limite du capital qu’ils peuvent retirer s’élève à ¼ de son avoir de vieillesse minimal selon la LPP. Cette décision ne devrait pas être affectée par l'augmentation du coût de la vie.

La politique de placement de la BNS ne prend pas en compte la dimension de durabilité. Pourquoi la CPEG a-t-elle pris l’approche opposée?

La durabilité, qui fait partie intégrante de notre ADN, est ancrée dans l’article 4 de la loi sur la CPEG qui stipule que son activité s’inscrit dans la perspective des investissements responsables.

Quel est le coût d’une approche d’investisseur responsable?

Avant même la fusion de la CEH et de la CIA, nous suivons un axe ESG au sens large. Nous avions commencé par des exclusions, puis nous nous sommes orientés sur la politique de votes. Aujourd’hui, nous travaillons sur les mesures climatiques en évaluant l’empreinte carbone de notre portefeuille, sur notre politique d’engagement et sur des investissements à impact. L’approche ESG n’a pas accru les coûts de manière significative, bien qu’elle requière davantage de ressources humaines et de reporting. Elle demeure nécessaire à tout investisseur professionnel afin de prendre en compte les éléments de durabilité. D’ailleurs, ces coûts deviendront à terme entièrement obligatoires de par la législation suisse ou européenne.

Verdir les investissements modifie les performances?

Il y a quelques années, nous entendions parler de prime verte. Mais ce terme est dépassé, car les placements durables sont aujourd'hui à minima sur une prime nulle.

La gestion éco-responsable modifie-t-elle le risque du portefeuille?

Pas forcément, mais à cet effet nous avons mis en place des analyses interne et externe afin de déterminer la faisabilité de l’utilisation du climat VAR (Value at Risk) pour mesurer précisément le risque.

Comment les réglementations passées et à venir promeuvent-elles les investissements responsables?

L’évolution réglementaire européenne, sur laquelle la Suisse s’appuie, nous aide considérablement dans notre travail. Je pense notamment aux classements des fonds d’investissement selon les articles SFDR 6, 8 et 9. Même si tout n’est pas parfait, nous accueillons cette évolution très positivement, car l’univers ESG comporte autant de données que de méthodes de calcul différentes. On s’attend à ce que la Suisse participe aux efforts internationaux qui visent à réguler davantage la finance durable dans un souci d’uniformisation.

À l’instar de la Caisse de pension vaudoise (CPEV), vos assurés font-ils également pression pour verdir vos stratégies de placement?

Nous n’avons été interpellés par aucun groupe d’assurés. Néanmoins, nous avons des discussions et devons répondre à certaines questions qui se portent sur notre positionnement par rapport à notre politique ESG.

Quels sont les points qui reviennent le plus fréquemment?

C’est typiquement sur le carbone, car nous avons décidé de respecter les accords de Paris et d’être neutres d’ici 2050. D’ailleurs, les assurés de la CPEV reprochaient à leur caisse de ne pas prendre en compte cette dimension et de ne pas assez communiquer sur le sujet.

Quelle est votre stratégie en la matière?

Nous travaillons pour un désengagement progressif des énergies fossiles, ce que nous évaluons à l’aide d’une société externe. Nous tâchons de mesurer toutes les performances extra-financières des entreprises selon le point de vue de leur trajectoire carbone. C’est de cette manière que nous pilotons l’ensemble du portefeuille. Nous n’excluons aucun secteur, mais regardons les efforts des sociétés dans leur démarche responsable. D’ailleurs, nous n’avons pas choisi la voie des indices ESG car nous sommes convaincus que nous obtiendrons de meilleurs résultats.