Le calme avant la tempête

Salima Barragan

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John Greenwood d’Invesco Ltd s'attend à un «moment galiléen».

Certaines théories économiques largement admises seront bientôt mises à l’épreuve. Selon John Greenwood, la transmission de l'accélération monétaire ne passera pas par les taux d'intérêt, mais par la hausse du prix des actifs. Autrement dit, la croissance de l’argent soutiendra les actifs. Ce qui fait dire à l’économiste en chef d’Invesco Ltd, lors de la présentation de ses perspectives pour 2021, que les économies développées sont toujours en zone de prospérité malgré la pandémie. La reprise post-pandémique n’aura par ailleurs rien à voir avec la relance anémique qui suivit la Grande Crise Financière.  Entretien

Dans vos perspectives 2021, vous affirmez que la tempête succèdera au calme. Pour quelles raisons?

Durant le confinement, la vie a été généralement très calme alors que nous étions enfermés à la maison. Avec l'arrivée d’un vaccin - sur lequel nous avons eu des échos encourageants il y a quelques jours -, je m’attends à une poussée importante des dépenses. La pandémie n’a été qu’une météorite qui a frappé et fait dérailler la reprise économique pendant quelques trimestres.

Si le vaccin de Pfizer sort pour le début de l’année prochaine, l’économie sera-t-elle remise sur ses rails plus rapidement que lors de la Grande Crise Financière?

Plusieurs indicateurs cycliques, comme le prix du cuivre ou encore le Baltic Dry Index - qui jauge le fret maritime mondial - pointent déjà sur une poussée des activités à la hausse. Le ralentissement économique dû à la pandémie a été effectivement beaucoup plus sévère que lors de la crise financière mondiale de 2008-2009, mais les réactions rapides des autorités monétaires et fiscales sont incomparables.

La BOJ et la BCE achètent la plupart de leurs titres auprès des banques,
ce qui a pour conséquence de créer peu d'argent frais.
Quelle forme la reprise prendra-t-elle en comparaison de celle qui suivit la dernière crise?

Totalement différente. En 2021, les premiers impacts sur l’activité économique contrasteront avec la reprise après la crise de 2008.  A l’époque, les liquidités injectées par les banques centrales avaient conduit à une reprise anémique parce que l’argent en main publique n’avait pas beaucoup augmenté. Mais aujourd’hui, l'expansion des bilans des banques centrales a accru la base monétaire et M2 à des niveaux jamais vus depuis la création de la Reserve fédérale. Une fois la pandémie surmontée par un vaccin, l'aversion aux dépenses disparaîtra et les liquidités des mesures monétaires et budgétaires pourront commencer à être dépensées.

Comment les politiques monétaires expansionnistes, bien qu’apparemment similaires, peuvent-elles aboutir à des résultats si contrastés?

Les taux d'intérêt bas dans toutes les économies développées n'impliquent pas nécessairement de l'argent facile. Au Japon et dans la zone euro, les taux d'intérêt étaient bas, mais les taux de croissance de l'argent au sens large étaient également très faibles, de sorte que la stimulation nette était minime. En revanche, là où la croissance monétaire était plus élevée - comme aux États-Unis - la reprise économique était plus forte et l'inflation également plus élevée. Aussi, le modèle d'assouplissement quantitatif est différent selon les pays. Aux États-Unis et au Royaume-Uni, la Fed et la Banque d'Angleterre ont acheté des titres à des entités non-bancaires, créant ainsi directement de la monnaie. En revanche, au Japon et dans la zone euro, la BOJ et la BCE achètent généralement la plupart de leurs titres auprès des banques, ce qui a pour conséquence de créer peu d'argent frais. Au Japon et dans la zone euro, les banques commerciales sont tenues d'accorder des prêts afin que la masse monétaire au sens large puisse croître plus rapidement. Cependant, une chose qui est commune à tous les pays cette fois-ci est que les exigences réglementaires - par exemple, sur le capital des banques - ont été assouplies partout, encourageant les banques à prêter plus que la normale. C'est le facteur qui a contribué cette-fois ci à une croissance plus rapide de l'argent.

Il y a suffisamment de fonds prêts à participer aux marchés des actifs risqués
comme les actions et l’immobilier, et plus tard les matières premières.
D’où un très bon comportement des bourses malgré une conjoncture aux abois…

Oui. Beaucoup d’argent a été créé afin que les agents économiques puissent traverser la pandémie grâce aux lignes de crédit des banques et des systèmes intermédiaires.

Voyez-vous l’inflation pointer le bout de son nez?

Oui, mais pas avant 2022-2023. Si Pfizer lance son vaccin début 2021, l’activité économique explosera impactant ainsi les prix des biens et des services. L’inflation sera retardée de six à neuf mois puis les banques centrales changeront de ton. Les risques d’une hausse de l’inflation de cinq pour cent sont non négligeables, mais je doute qu’elle ne soit supérieure à quatre pour cent. Pour l’instant, la transmission de la masse monétaire va créer de l’inflation – non sur les taux d’intérêts – mais sur le prix des actifs.

Quels impacts sur les actifs et sur le dollar?

Les consommateurs et les entreprises qui se montrent aujourd’hui prudents détiennent des liquidités plus élevées qu’en temps normal, c'est-à-dire qu’il y a suffisamment de fonds prêts à participer aux marchés des actifs risqués comme les actions et l’immobilier, et plus tard les matières premières. Quant au dollar, il restera faible.

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