La demande pour les placements durables continuera d’augmenter

Yves Hulmann

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Pour Sabine Döbeli, directrice de SSF, il y a encore un important potentiel de progression du côté des investisseurs institutionnels.

Le dernier «Rapport sur l’investissement durable en Suisse 2020», publié lundi par Swiss Sustainable Finance (SSF), atteste une nouvelle fois de la forte progression des montants gérés en Suisse en tenant compte des principes de durabilité. Quels ont été les principales tendances observées l’an dernier en matière de placements durables? Le point avec Sabine Döbeli, directrice de Swiss Sustainable Finance.

«La part de l’investissement durable attribuable aux clients privés
a atteint 21% à fin 2019, contre 12% en 2018.»
Quels sont selon vous les développements les plus importants observés dans le «Rapport sur l’investissement durable en Suisse 2020» comparé au rapport de l’an précédant?

Tout d’abord, on peut observer la progression continue des capitaux qui sont gérés en Suisse en tenant compte des principes de l’investissement durable – ceux-ci ont atteint 1163 milliards de francs à fin 2019, soit une hausse de 62% sur un an - et ils représentent environ un tiers des actifs gérés dans le pays. Ensuite, il y a aussi l’augmentation de la part attribuable aux clients privés qui a atteint 21% à fin 2019, contre 12% en 2018. Par ailleurs, on observe également que les approches d’investissement qui mettent l’accent sur les effets de ces placements dans l’économie réelle ont aussi gagné en importance. Il s’agit notamment du dialogue avec les entreprises sur des enjeux de durabilité (ESG engagement), de l’exercice des droits de vote en lien avec les aspects ESG (ESG voting) ou encore de l’investissement d’impact (impact investing). On voit ainsi que les investisseurs accordent de plus en plus d’importance à l’effet de leurs placements du point de vue de la durabilité plutôt qu’au seul fait d’éviter certains risques. Les investisseurs veulent désormais savoir quelle est l’influence réelle de leurs investissements sur l’économie et la société. S’agissant des domaines qui sont toujours plus souvent évités par les investisseurs, le charbon est aujourd’hui devenu beaucoup plus important comme critère d’exclusion.

La méthode d’évaluation est-elle restée la même d’une année à l’autre pour définir ce qui est durable ou non?

Seul un quart des fonds qui sont considérés comme durables par notre étude portent une dénomination ou un label qui y fait directement référence. Il y a ainsi aujourd’hui beaucoup de fonds qui satisfont aux critères de l’investissement durable sans pour autant revendiquer le fait d’être de type «ESG» ou «vert».

«Cette année, nous avons pour la première fois analysé comment
les différentes approches d’investissement sont combinées entre elles.»
A fin 2019, les fonds de placement durables représentaient 38% du marché suisse des fonds. Est-ce que tous ces fonds sont durables de la même manière ou y a-t-il des nuances sur ce plan?

Bien sûr, un fonds en actions suisses ou globales qui se limite à appliquer des critères d’exclusion n’est peut-être pas exactement aussi durable qu’un fonds spécialisé dans l’investissement d’impact ou dans les obligations vertes. Cette année, nous avons pour la première fois analysé comment les différentes approches d’investissement sont combinées entre elles. Par exemple, certains gérants combinent à la fois les critères d’exclusion avec l’intégration ESG, tandis que d’autres complètent les deux premières approches avec l’exercice des droits de vote en plus. De notre point de vue, cela a du sens d’utiliser certaines combinaisons de critères car cela accroît la crédibilité des placements durables. Si, par exemple, les risques en matière de durabilité sont pris en compte dans le cadre de l’intégration ESG, cela ne veut pas encore dire que cela aura un effet sur le comportement des entreprises. En revanche, quand un gérant exerce activement les droits de vote et entretient un dialogue avec l’entreprise, il peut alors gagner en influence sur cette société et sur sa stratégie en matière de durabilité. Aujourd’hui, plus de 80% des volumes considérés combinent plusieurs approches entre elles.

Maintenant, il est clair que l’investissement d’impact ou l’investissement thématique sont encore plus durables car ces approches appliquent des critères plus spécifiques et plus stricts. Cependant, l’investissement d’impact ou thématique ne joue le plus souvent qu’un rôle de satellite dans les portefeuilles en raison de ses caractéristiques de risque/rendement, surtout pour les investisseurs institutionnels.

S’agissant des investisseurs institutionnels, environ 30% des capitaux institutionnels en Suisse sont gérés selon des critères de durabilité. Est-ce peu ou beaucoup?

Clairement, c’est encore trop peu. De notre point de vue, nous trouvons que tous les actifs gérés de manière institutionnelle devraient intégrer des critères de durabilité. Et je suis convaincue que les choses vont davantage s’orienter dans cette direction.

«Il existe des solutions de placement passives qui sont aussi durables.»
Les investisseurs institutionnels, même s’ils soulignent souvent l’importance que revêt la durabilité à leurs yeux, sont aussi soumis à une pression croissante pour réduire les coûts. Ils recourent ainsi toujours davantage à des fonds passifs ou à des ETF à faibles coûts. Peut-on à la fois investir de manière passive et de manière durable?

Ce n’est pas en soi une contradiction. Premièrement, car il existe des solutions de placement passives qui sont aussi durables. Par exemple, il y a des ETF basés sur des indices qui tiennent compte des critères de durabilité ou alors des fonds ou mandats spécialement adaptés à partir d’indices. Maintenant, les produits passifs et durables sont tout de même un peu plus chers que les produits purement passifs. C’est toutefois leur but d’atteindre un meilleur profil risque/rendement en utilisant les critères ESG.

Deuxièmement, on peut aussi agir en tant qu’actionnaire actif et ainsi exercer une influence sur les entreprises et leur stratégie en matière de durabilité – à savoir en exerçant de manière active les droits de vote que l’on détient et en entretenant un dialogue avec ces entreprises.

Maintenant, il est certain qu’en tant qu’investisseur actif, on peut influer de manière plus directe sur les aspects liés à la durabilité et ainsi gagner davantage en influence sur les entreprises.

La lutte contre le changement climatique figure parmi les motivations les plus importantes pour les gérants d’actifs dans le domaine des placements durables, indique l’étude. Est-ce que cela restera ainsi ou les conséquences économiques liées à la crise du coronavirus vont-elles prendre le dessus en 2020?

A court terme, il est certain que les effets de la crise résultant de l’épidémie de coronavirus domineront les débats. Je ne pense toutefois pas que les thèmes liés au changement climatique seront relégués au second plan. Même maintenant, on voit déjà que les enjeux climatiques reviennent sur le devant de l’agenda. En Suisse, le Parlement discutera ces prochains jours de la loi sur le CO2 qui prend position à deux endroits au moins sur des sujets liés au secteur financier. Et même, de manière plus générale, toutes les discussions en rapport avec les programmes de relance conjoncturelle lient aussi ceux-ci à des critères de durabilité ou climatiques. C’est le cas aussi dans l’UE, au Royaume-Uni ou Canada.

«En mars, les fonds durables ont été soumis à moins de volatilité
et de pertes que les placements conventionnels.»

Hormis les aspects environnementaux, je m’attends également à ce que la crise du coronavirus replace davantage le «S» des critères ESG au centre de l’attention.

En termes de flux d’investissement, on a aussi pu observer en mars que les fonds durables ont été soumis à moins de volatilité et de pertes que les placements conventionnels et qu’ils ont aussi moins subi de retraits d’argent. Je m’attends ainsi plutôt à ce que la demande pour les placements durables continue à augmenter.

Mardi, différents prix seront attribués dans le cadre des Swiss Sustainable Funds Awards qui auront lieu à Genève. Qu’attendez-vous de ce type de cérémonies?

L’attribution d’un tel prix apporte de nombreux avantages. Premièrement, cela accroît la visibilité de cette thématique auprès du grand public. Deuxièmement, il crée un cadre de discussion au sujet de la qualité des fonds durables. Troisièmement, cela induit une forme de compétition autour de cette thématique qui permet aussi aux différents acteurs de la branche de s’inspirer ce qui se pratique chez leurs concurrents. C’est pourquoi nous saluons la tenue de ce prix et estimons qu’il constitue une étape bienvenue pour approfondir la discussion au sujet des placements durables. Au demeurant, Swiss Sustainable Finance est aussi partenaire de ce prix.

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