L’essor du e-commerce se poursuivra même après la pandémie

Yves Hulmann

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Frank Schwarz, gérant chez MainFirst, observe que les ventes sur Internet ne faiblissent pas dans les pays où les restrictions sanitaires ont été levées.

Le commerce électronique a poursuivi son essor en 2020, profitant des restrictions sanitaires imposées dans la plupart des pays à travers le globe. La part des ventes en ligne est ainsi passée l'an dernier de 16 à 19% du total en raison de la pandémie, estime un rapport de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED) publié début mai. La Corée du Sud est le pays où la part du commerce électronique est la plus importante. Elle devance la Chine, qui est en revanche première d’après le chiffre total des ventes en ligne, et la Grande-Bretagne.

Quelle évolution faut-il attendre lorsque la crise sanitaire touchera à sa fin? Et quel est l’impact sur l’environnement du commerce en ligne par rapport à la vente classique dans les magasins? S’appuyant sur les résultats d’une étude de cas de l’Öko-Institut (Institute for Applied Ecology), un institut allemand spécialisé dans la recherche environnementale, le gérant d’actifs MainFirst souligne que les achats effectués en ligne présentent, dans de nombreux cas, un bilan environnemental d’ensemble plus positif que ceux effectués auprès des magasins classiques. Tour d’horizon des perspectives pour le commerce en ligne avec Frank Schwarz, gérant de portefeuille chez MainFirst.

«La Suisse reste un cas particulier dans le domaine du commerce électronique.»
Le commerce électronique a souvent été critiqué sur le plan environnemental en raison des nombreux renvois de colis effectués par les clients. Or, selon une étude de cas réalisée par l’Institut Öko à Berlin, les achats effectués via le commerce électronique causent, dans l’ensemble, moins de dommages à l’environnement que ceux qui le sont via le commerce stationnaire classique. Pour quels produits est-ce valable?

Le comportement des clients concernant les renvois d’articles commandés varie bien sûr beaucoup selon les catégories de produits. D’un côté, il y a des produits tels que la cosmétique, les médicaments, les livres ou les biens alimentaires qui ne sont que très rarement renvoyés à l’expéditeur. On évalue à moins de 1% le nombre de retours pour ces produits.

De l’autre, il y a certains articles, comme les chaussures de sport, qui affichent le plus haut taux de renvoi à l’expéditeur: pour les baskets, celui-ci atteint 0,7 par article commandé. Malgré tout, l’analyse effectuée par l’Öko-Institut arrive à la conclusion, en tenant compte de multiples paramètres pour le commerce électronique – envoi des marchandises au grossiste, utilisation des serveurs, stockage, préparation des paquets et livraisons à domicile et renvoi d’une partie des articles –, que même dans ce cas, le bilan environnemental global est légèrement plus favorable pour le commerce en ligne que lors d’achats effectués dans des magasins classiques.

S’agissant des commerces classiques, il faut aussi compter l’électricité consommée par les surfaces commerciales, l’éclairage extérieur et bien sûr le déplacement des consommateurs pour se rendre de leur domicile au centre commercial. Dans le détail, l’étude de cas concluait qu’une commande en ligne d’une paire de baskets avait occasionné 919 grammes de CO2, soit un peu moins que les 1270 grammes pour un achat effectué dans un magasin classique.

«A supposer qu’Amazon décide d’entrer sur le marché suisse, la part du commerce
en ligne passerait très rapidement de 9% actuellement aux environs de 15%.»
Pour ce type d’études de cas, n’y a-t-il pas d’importants paramètres à prendre en compte? Si l’acheteur se rend avec sa voiture ou en transports publics au centre commercial; si la livraison est effectuée avec un véhicule électrique ou un camion au diesel, cela influencera fortement le bilan écologique, n’est-ce pas?

Oui, c’est juste. Nous observons toutefois que beaucoup d’améliorations ont déjà été initiées dans le domaine du commerce électronique – par exemple grâce à la mise en place de flottes de véhicules entièrement électriques pour la livraison, en utilisant du courant issu des énergies renouvelables, etc. 

La proportion élevée d’articles renvoyés par les clients reste néanmoins un problème délicat. Des sociétés de commerce en ligne, telles que Zalando, promettent des innovations lors du processus de commande qui permettront de réduire le taux d’articles renvoyés. Faut-il attendre de grandes améliorations sur ce plan?

L’amélioration sera, à mon avis, seulement marginale. On passera peut-être de taux de renvois de 70 à 65%. Il me paraît toutefois peu probable que l’on descende à 60 ou 50% de retour de colis.

Durant le confinement, ou tant que diverses restrictions sont appliquées pour se rendre dans les magasins, le commerce en ligne connaît une progression spectaculaire. Qu’en sera-t-il lorsque toutes ces restrictions seront levées? Les gens ne vont-ils pas davantage retourner dans les magasins plutôt que de passer l’essentiel de leur temps devant leur écran?

L’exemple de la Chine est intéressant à cet égard. Lorsque les gens ont pu retourner librement dans les centres commerciaux, les achats en ligne ont néanmoins continué de progresser. Une fois que les restrictions liées à la pandémie seront entièrement levées, les gens vont certes retourner plus souvent dans les magasins mais cela ne va pas stopper l’essor du commerce en ligne. Le seul domaine où la part du commerce en ligne restera, à mon avis, encore marginale pendant de nombreuses années est celui des denrées alimentaires.

«Dans des pays comme l’Australie ou la Nouvelle-Zélande, déjà ‘sortis’
de la pandémie, les commandes de repas livrés à domicile ont continué de progresser.»
Sur la base des tendances observées ces dernières années, quelle sera la part du commerce en ligne par rapport aux ventes totales au cours des 5 ou 10 prochaines années?

Il y a eu plusieurs phases distinctes concernant l’évolution du commerce en ligne. Pour passer d’une part de 0 à 10%, il a fallu 10 ans. Pour passer de 10 à 20%, il n’a fallu que trois mois dans certains pays au printemps 2020. Maintenant, pour passer d’une part de 20 à 30 ou à 40%, cela n’arrivera pas si vite et ne se produira pas partout de la même manière. Actuellement, le record du monde est certainement la Corée du Sud avec environ 45% des achats qui sont effectués en ligne. En Chine, cette part se situe aux environs de 25%, tout comme au Royaume-Uni, tandis qu’aux Etats-Unis est de l’ordre de 20%. L’Europe en est encore loin: en Allemagne, cette part est d’environ 13%, en France aux alentours de 10-11%, en Italie et en Espagne de seulement quelque 5%. En Suisse, elle se situe aux environs de 9%.

Comment expliquer cette part relativement faible en Suisse?

A maints égards, la Suisse reste un cas particulier, un «Sonderfall» comme le dit en allemand, dans le domaine du commerce électronique. Cela peut s’expliquer par de nombreux facteurs: d’une part, le pays est multilingue, ce qui complique la tâche à des distributeurs issus des pays voisins et il y a de nombreuses réglementations spécifique à la Suisse dont il faut tenir compte. D’autre part, les géants du commerce en ligne internationaux comme Amazon, par exemple, préfèrent se concentrer sur de grands marchés. Toutefois, à supposer qu’Amazon décide d’entrer sur le marché suisse, on peut estimer, sans prendre beaucoup de risque, que la part du commerce en ligne passerait très rapidement de 9% aux environs de 15%.

En termes d’investissements, quelles sociétés sont les plus à même de profiter de l’essor du commerce électronique?

Il y a, d’un côté, des géants globaux comme Amazon ou Alibaba qui continuent de progresser dans le monde entier. Dans une perspective d’investissement, il y a de nombreuses entreprises présentes sur des segments plus spécifiques, ou agissant sur un plan plus régional, qui disposent également d’un potentiel de croissance très intéressant. En Allemagne, HelloFresh, une société spécialisée dans la livraison d’ingrédients alimentaires à domicile, continuera certainement de progresser à un rythme. Il ne s’agira plus nécessairement de taux de croissance des ventes de 100% comme en 2020 mais peut-être de 40 ou 50%. Il est intéressant de regarder l’expérience faite dans des pays comme l’Australie ou la Nouvelle-Zélande qui sont déjà «sortis» de la pandémie: dans ces pays, les commandes de repas livrés à domicile ont continué de progresser. En Chine, on peut aussi citer Meituan Dianping qui livre 40 millions de repas par jour.

«Certaines sociétés très réputées telles que Adidas ou Nike
ont doublement profité de l’essor du commerce électronique.»

Il y a aussi des entreprises qui se concentrent sur un seul segment spécialisé, comme celui de la livraison de médicaments. C’est le cas par exemple de Shop Apotheke en Allemagne ou de Zur Rose s’agissant de la Suisse.

Il ne faut pas non plus oublier les entreprises qui ne vendent pas elles-mêmes des articles en ligne mais qui interviennent en arrière-plan: par exemple, Shopify, une société canadienne qui met à disposition l’infrastructure pour les plateformes d’e-commerce. Sans oublier la gestion du trafic des paiements: PayPal profite énormément du commerce en ligne, tout comme les émetteurs de cartes de crédit tels que Visa. L’essor de la publicité en ligne profite aussi beaucoup à Facebook et à Google.

Qu’en est-il des entreprises disposant de marques haut de gamme: le commerce en ligne ne les expose-t-il pas à une forte pression sur les prix?

Pas nécessairement. Au contraire, on voit même que certaines sociétés très réputées telles que Adidas ou Nike ont doublement profité de l’essor du commerce électronique. D’un côté, elles ont réussi à développer leurs propres canaux de distribution qui a permis de compenser la diminution des ventes en magasins durant la pandémie. De l’autre, elles ont pu réduire leurs coûts dans l’immobilier, vu qu’elles ont moins besoin de surfaces de vente, et diminuer leurs frais de personnel. C’est le cas aussi pour des marques comme Estée Lauder ou L’Oréal qui vendent des produits cosmétiques haut de gamme.

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