L’enjeu à long terme est de viser la parité absolue

Yves Hulmann

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Pour Orsolya Gal, analyste ESG chez BNPP AM, l’augmentation de la part des femmes dans les conseils d’administration est une évolution positive mais encore insuffisante.

La proportion de femmes dans les conseils d’administration des grandes entreprises continue de progresser dans la plupart des pays du monde. Si l’on prend l’exemple de la Suisse, la part moyenne des femmes au sein des conseils d’administration a atteint cette année 28,5% pour les entreprises comprises dans l’indice SPI 100 qui regroupe les cent plus grandes sociétés helvétiques cotées en bourse, contre 25,4% l'année précédente, tandis que cette proportion a même dépassé pour la première fois le seuil des 30% s’agissant entreprises du SMI (34,4% en 2022, contre 29,6% en 2021), selon des données publiées fin juin par SWIPRA Services, un spécialiste de la gouvernance d’entreprises. Comment la situation évolue-t-elle en Europe et sur le plan mondial? Orsolya Gal (photo), Senior Stewardship Analyst, ainsi que Delphine Riou, analyste ESG en charge de la recherche égalité et croissance inclusive chez BNP Paribas Asset Management (BNPP AM), commentent ces aspects ainsi que les résultats de l’étude «Women on Boards» publiée chaque année par le gérant d’actifs.

Comment observez-vous l’évolution de la représentation des femmes dans les conseils d’administration des entreprises au cours de ces dernières années - en Europe et dans d'autres régions du monde?

Au cours des dernières années, la place des femmes dans les conseils d’administration a globalement progressé, ce qui témoigne d’un changement positif. Cette évolution diffère néanmoins en fonction des zones géographiques et de leur point de départ respectif: en Asie ou en Amérique du sud par exemple, les femmes administratrices étaient encore très peu nombreuses il y a quelques années, tandis que plusieurs pays d’Europe disposent désormais de quotas légaux. Par ailleurs le renouvellement des membres des conseils d’administration s’effectue généralement sur plusieurs années (les mandats d’administrateurs durent généralement de 8 à 10 ans). Si la diversité au sein des organes de gouvernance est inégale selon les régions et avance relativement lentement, il faut néanmoins se réjouir des progrès accomplis qui témoignent de l’efficacité des activités d’engagement, et poursuivre le dialogue avec les entreprises afin de les accompagner positivement.

Dans l’étude «Woman on boards» de BNP Paribas Asset Management, vous évoquez une ambition à long-terme de 40% en 2025. Est-il possible d’atteindre ce seuil dans un délai aussi court – et si oui, dans quels pays ou régions?

Nous avons l’une des politiques de vote les plus strictes de l’industrie et réévaluons régulièrement nos attentes à la hausse, afin d’inciter l’ensemble des entreprises dans lesquelles nous investissons à faire évoluer leurs pratiques. Avoir des changements au niveau du conseil prend du temps. Néanmoins, la diversité fait partie de notre dialogue actionnarial depuis des années, et ce sujet est systématiquement évoqué lors de nos engagements avec les sociétés. Ceci est encore plus accentué – et reçoit un poids plus prononcé – depuis que nos exigences en termes de représentation sont inscrites explicitement dans notre politique de vote depuis 2019, et peuvent faire l’objet d’opposition aux réélections des membres du conseil. En effet, dès 2019, nous votions contre tous les administrateurs masculins si aucune femme n’était présente au conseil. L’année suivante, nous avons renforcé nos exigences avec un seuil minimum de 30% de femmes en Europe, Amérique du Nord, Australie et Nouvelle-Zélande. En 2021, nous avons également ciblé l’Amérique Latine, l’Asie, le Moyen-Orient et l’Afrique (hors Afrique du Sud), qui sont considérés comme des marchés moins avancés sur les enjeux de diversité, avec un seuil de 15% de féminisation des conseils. Ainsi, nous intensifions progressivement nos exigences en matière de diversité en intégrant une approche régionalisée.

«Les femmes représentent en moyenne 25% des conseils d'administration des sociétés dans lesquelles BNPP AM investit, contre 18% pour l'univers plus large des sociétés cotées.»

Notre ambition de 40% de femmes à horizon 2025 est en ligne avec notre philosophie, car nous sommes convaincus que les investisseurs ont un rôle crucial à jouer pour faire progresser la diversité des instances de décision, en exprimant leur position à travers le vote mais aussi via un dialogue soutenu avec les sociétés.

Imposer des quotas minimaux de femmes dans les conseils d’administration, par exemple de 30%, est-ce une mesure nécessaire ou superflue?

Nous pensons que la diversité est source de surperformance financière et de création de valeur durable sur le long terme. Très tôt nous avons donc mis en place des critères de vote spécifiques, à savoir des seuils minimums, sur la diversité hommes-femmes lors des élections des administrateurs dans le cadre des assemblés générales d’actionnaires.

L’étude que nous avons réalisée sur la proportion de femmes membres des conseils d’administration valide selon nous l’efficacité de notre politique de vote et du dialogue actionnarial que nous menons. Pour cela, nous avons comparé les 3500 sociétés dans lesquelles BNPP AM investit au niveau mondial avec les 17’000 entreprises cotées incluses dans la base de données de l’Institutional Shareholder Services (ISS). Les conclusions sont claires: les femmes représentent en moyenne 25% des conseils d'administration des sociétés dans lesquelles BNPP AM investit, contre 18% pour l'univers plus large des sociétés cotées. Nous considérons donc que les quotas minimaux sont un outil pertinent pour faire progresser la diversité, mais doivent s’accompagner d’un effort collectif des entreprises, investisseurs, régulateurs et de la société dans son ensemble.

D’après une étude de Russel Reynolds Associates publiée en mai, cette part atteint plus du tiers pour les grandes entreprises (34,1% au SMI) en Suisse, tandis que SWIPRA est arrivé à une estimation très proche en juin. Le mouvement n’est-il pas de toute façon désormais déjà bien enclenché dans ce sens s’agissant des grandes entreprises?

Nous nous réjouissons de voir que le mouvement est bien enclenché dans certains pays comme la Suisse, qui dispose justement d’une législation, entrée en vigueur en 2020, qui prévoit pour les sociétés cotées d'au moins 250 employés qu'il y ait une part de 30% de femmes dans les conseils d'administration et de 20% au sein des directions. L’enjeu de long terme consiste à viser la parité absolue, aussi bien dans les grandes entreprises que dans les PME, et cela à tous les niveaux de postes à responsabilité. Il y a donc encore selon nous du chemin à parcourir, et nous sommes convaincus que cela avance dans la bonne direction.

Quelles autres mesures justement peuvent à votre avis peuvent le mieux contribuer à augmenter la proportion de femmes dans les conseils d’administration et les directions?

Diverses mesures peuvent contribuer à une meilleure représentativité des femmes dans les organes de décisions, c’est notamment le cas de la formation et des programmes d’accompagnement. Par exemple chez BNP Paribas Asset Management, nous proposons des formations ciblées pour les femmes et nous les invitons à participer à des programmes de développement du leadership, ainsi qu'à des programmes pour se préparer à devenir membre des conseils d'administration. Nous organisons en parallèle des ateliers, des conférences et des e-learnings sur la diversité et l'inclusion pour tous les collaborateurs. Nos initiatives touchent ainsi tous les niveaux de l’entreprise, avec un plan d’action allant du recrutement à la mobilité, en passant par la gestion des talents ou encore la formation et la sensibilisation.

La proportion de femmes progresse dans les conseils d’administration – en revanche, cela semble être moins le cas au niveau des postes de direction (CEO, CFO, etc.). Pourquoi ce décalage existe-t-il?

En effet, la diversité des genres s’est dans un premier temps concentrée au niveau des conseils d’administration et de surveillance. Il faut savoir que lors des assemblées générales, les actionnaires ne votent très généralement que sur l'élection des membres des conseils d’administration, tandis que les membres des comités exécutifs ne sont pas intégrés à ce périmètre, car ils sont élus directement par le conseil. Ainsi, l’impact des actionnaires est plus limité et indirect concernant la composition des instances dirigeantes. Ceci dit, la diversité aux postes de direction commence également à être discutée de manière plus large, et reste évidemment un sujet de dialogue avec les entreprises.

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