L’ASEAN, grande gagnante de la 4e vague de croissance en Asie

Anne Barrat

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«La nouvelle phase de croissance en Asie dépendra des consommateurs de la région et non plus occidentaux.» Avec Markus Schomer de PineBridge.

L’Asie a connu trois grandes vagues de croissance depuis la Seconde Guerre mondiale. La première fut portée par le Japon, la 2e par les tigres d'Asie de l'Est (Hong Kong, Corée, Taïwan et Singapour), la 3e par la Chine. Celle qui démarre, explique un rapport récent signé Economist Impact et PineBridge Investments1, se distingue de ses aînées en ce qu’elle dépendra essentiellement du marché intérieur de la zone APAC, et non plus de la consommation occidentale. Une autre différence majeure de cette 4e vague tient à ce qu’elle ne repose plus exclusivement sur la montée en puissance des classes moyennes et supérieures chinoises mais de sud-est asiatique. Eclairage sur ces évolutions très profondes avec Markus Schomer Chief Economist de PineBridge Investments, un gérant d’actifs international fort d'une grande expertise des investissements en Asie.

«Déjà en 2019, avant la crise sanitaire, deux tiers de la croissance économique mondiale étaient asiatiques.»
Quelles sont les principales leçons du rapport Economist Impact établi en collaboration avec PineBridge Investments?

La première est que d'ici 2040, l'Asie représentera la moitié du PIB mondial et 40 % de la consommation mondiale, dont une grande partie de l'Asie du Sud-Est. Et ce, grâce à la quatrième vague de croissance que connaît actuellement l’Asie, qui conforte sa place essentielle d'un monde de plus en plus multipolaire. De nombreux indicateurs sous-tendent cette position. Par exemple, 480 millions de consommateurs chinois (soit plus que l'ensemble de la population nord-américaine) devraient atteindre les revenus moyens et élevés d'ici 2030. Un autre exemple, celui des dépenses de luxe: alors que les Amériques et l'Europe étaient autrefois en tête des dépenses de luxe, l'Asie a pris la tête en 2020. Une estimation de Bain and Company2 prévoit que la Chine seule passera au premier plan dans moins de cinq ans pour représenter environ 45% de tous les achats de produits de luxe. Un dernier exemple, celui des UHNWI (ultra high net worth individuals, dont la fortune nette dépasse 30 millions de dollars): en 2020, le nombre de UHNWI a baissé partout par rapport à 2019 sauf en Asie (+5,2% à 87’460 personnes) et aux Etats-Unis (+6,9% à 112’250 personnes), ce qui leur permet de représenter respectivement 38% et 29,6% d nombre global d’ultra-fortunés. Même constat du côté de la fortune nette: seuls les Etats-Unis (+7,1% à 13’359 milliards de dollars) et l’Asie (+5,2% à 10’202 milliards de dollars) sont en hausse. Ces chiffres se traduisent par une croissance du pouvoir d'achat des ultra-riches d'Asie, donc de l’influence économique de l’Asie.

L’Asie et pas seulement la Chine?

Oui, et c’est la 2e grande leçon de ce rapport, qui corrobore d’ailleurs ce que nous remarquons dans nos activités quotidiennes de gestionnaire d’actifs spécialisé sur les marchés asiatiques: ces données révèlent une montée en puissance de l’Asie en général, de l’ASEAN en particulier.

Déjà en 2019, avant la crise sanitaire, deux tiers de la croissance économique mondiale étaient asiatiques, la Chine contribuant à hauteur de 39,2%, l’Inde de 16,2%, l’ASEAN de 9,8%, la Corée de 1,1% et le reste de l’Asie de 4,5%. Même pendant la pandémie de 2020, quatre des dix premiers pays mesurés par les dépenses de la classe moyenne étaient asiatiques: la Chine (1er), l'Inde (3e), le Japon (4e) et l'Indonésie (7e). Une classe moyenne en expansion: elle devrait passer de 2 milliards à 3,5 milliards au cours de la prochaine décennie, contribuant à près de 90%de l'augmentation mondiale des consommateurs de la classe moyenne. Cette croissance illustre bien la transition caractéristique de la 4e vague de croissance, un 3e point saillant du rapport: elle n’est plus fondée sur la fourniture de biens à prix cassés rendue possible mais sur le commerce régional de biens, de services et de talents. Le continent connaît une dépendance réduite à l'égard de l'Occident et un nouvel élan au sein d’un équilibre géopolitique mondial en pleine mutation.

«Les freins à un leadership chinois sont principalement de trois ordres, politique, économique, et démographique.»

L'essor de l'Asie ne repose plus sur une seule nation, la Chine, même si cette dernière continue de croître à un rythme soutenu même si moins rapide, mais sur l'ensemble de l’Asie, tout particulièrement de l'ASEAN. Avec une population de 700 millions de consommateurs, cette dernière est appelée à voir son rôle croître dans une zone économique APAC de plus en plus intégrée. Le leadership de cette région, donc du monde entier, sera fragmenté, celui de la Chine que l’on annonce depuis des années pourrait être partagé avec d’autres acteurs en Asie. 

Quels sont les freins à un leadership chinois?

Ils sont principalement de trois ordres, politique, économique, et démographique. Le business model de l’Empire du milieu est très largement fondé sur l’immobilier et l’endettement, sa croissance dépend de celle de la dette, tout comme celui des Etats-Unis il y a une dizaine d’années – et aujourd’hui. Ce modèle doit être adapté, ce que les décideurs politiques chinois s’efforcent de faire s’attelant à la promotion d’une économie plus diversifiée et équilibrée. Il y va de la capacité de la Chine à affirmer son leadership mondial 

Le déclin démographique pourrait-il remettre en cause le passage de leadership de l’Occident à l’Asie?

L'influence croissante de la région intervient à un moment où l'équilibre mondial des pouvoirs est beaucoup moins concentré dans une seule puissance ou alliance qu'à aucun autre moment depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Il y a 6 ou 7 ans, tout le monde s’accordait pour dire que la Chine, et l’Asie dans sa, globalité deviendrait la première puissance mondiale. C’était sans compter sur la stagnation démographique que connaît la région, Inde mise à part. Les deux ou trois prochaines décennies verront la démographie prendre une place prépondérante dans les agendas politiques.

Quid du défi écologique? 

Tous les pays sont sincères lorsqu’ils se prononcent pour une économie Net Zero. La Chine aussi, qui s’est engagée à faire sa part du chemin vers le Net Zero. La vraie question est: les décideurs politiques sont-ils prêts à faire les sacrifices pour y arriver? Plus dur est l’objectif à atteindre, donc la voie à parcourir, plus ambiguë est la réponse. Ce qui est sûr, c’est que, si important soit l’alignement des économies asiatiques sur une trajectoire ambitieuse de réduction des émissions et de transition énergétique, le leadership sur ces thèmes est européen. 

 

1 «Age of Asia: Rise of a Multipolar World», octobre 2021.
2 Bain & Company, «The Future of Luxury: Bouncing Back from Covid-19», https://www.bain.com/insights/the-future-of-luxury-bouncing-back-fromcovid-19/