Karma d'entreprise

Salima Barragan

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Selon Katherine Davidson de Schroders, le mauvais comportement à court terme des entreprises se répercutera sur les actionnaires.

Le fonds géré par Katherine Davidson de Schroders investit dans des actions d’entreprises internationales qui répondent aux critères de durabilité du gestionnaire d'investissement allemand. Il tenait la quatrième place du classement des meilleurs managers de Suisse pour février de Citywire. «Le mauvais comportement à court terme des entreprises se répercutera sur les actionnaires», nous explique en substance Katherine Davidson lors d’une discussion consacrée à sa stratégie. A cette occasion, nous avons également abordé la question épineuse du dilemme social des entreprises technologiques. Entretien.

A quoi attribuez-vous la surperformance ajustée au risque du fonds par rapport à ses pairs et à son benchmark?

Au cours de l'année écoulée, le fonds a surperformé à la fois sur une base absolue et relative. Notre performance a résisté à la crise du COVID-19, notamment lors du mouvement de ventes du printemps dernier. Bien que nous ayons bénéficié d’un poids nul dans les valeurs cycliques de l'énergie et des matériaux, cette performancea été principalement déterminée par la sélection des titres. Les entreprises durables, qui ont été en mesure de s'engager auprès de leurs parties prenantes, y compris des actionnaires et qui ont aussi été capables de conserver le soutien de leurs propriétaires durant la période volatile, ont été plus résilientes. Nos participations ont également tendance à présenter des bilans solides grâce à leur approche à long terme, ce qui a permis de réduire les mouvements de prix à la baisse.

La discussion s’intensifiera à mesure que de meilleures conditions
économiques donneront aux travailleurs un plus grand pouvoir de négociation.
Quels compromis faites-vous entre les rendements et les critères ESG?

Pour être clair, nous ne voyons pas de compromis à faire sur un horizon à long terme. En fait, nous pensons que seules les entreprises ayant des relations solides avec leurs parties prenantes seront en mesure de fournir des rendements constants aux actionnaires: c’est une sorte de karma d'entreprise. A court terme, une entreprise peut être tentée de maximiser ses bénéfices en exploitant certaines parties prenantes, par exemple en payant le strict minimum aux employés et en sous-investissant dans leur formation. Mais sur le long terme, cette attitude érodera sa résilience et l'exposera à des coûts plus élevés ainsi qu’à des risques secondaires, ce qui finalement, aura un impact sur ses actionnaires. L'entreprise en question sera incapable d'attirer et de retenir les meilleurs talents, bloquant l'innovation et la productivité. Elle connaîtra probablement une rotation du personnel coûteuse et un risque accru de grèves, ainsi que des gros titres négatifs dans la presse, associés aux mauvais traitements infligés aux travailleurs. Nous pouvons tous nous remémorer des exemples de ce genre de dégâts au cours de ces dernières années. En comparant notre discipline à une stratégie d'actions traditionnelle, on constate des rendements ajustés au risque plus élevés, une meilleure régularité des performances ainsi qu’un risque de baisse plus faible.

Quels changements allez-vous prochainement apporter à votre allocation?

Contrairement aux fonds thématiques, nos allocations par pays et par secteur sont un pur produit dérivé de notre processus de sélection de titres de style bottom-up et dépend donc de l'attractivité des investissements que nous voyons dans chaque secteur, à la fois sur la base de la durabilité et de la valorisation. Cela dit, il est rare que nous détenions des titres dans l'énergie ou les matériaux en raison des défis de durabilité auxquels ces secteurs sont confrontés. Nous sommes néanmoins surpondérés sur les entreprises industrielles, mais il s'agit d'une sélection éclectique de sociétés exposées à différents marchés finaux tels que le recyclage, les énergies renouvelables, le recrutement et la logistique.

Quelles sont vos perspectives dans un monde post-pandémie?

Nous attendons (et espérons!) un retour à une sorte de normalité durant l'été. Le marché devient plus concentré sur les pressions inflationnistes et les rendements obligataires. La reprise économique maintiendra la pression sur les entreprises et les investisseurs face à transition vers le zéro-émission. La pandémie a également mis sur le devant de la scène la question des droits des travailleurs. La discussion s’intensifiera à mesure que de meilleures conditions économiques donneront aux travailleurs un plus grand pouvoir de négociation. L'année 2020 a marqué le début d'un nouveau contrat social entre les entreprises et la société, mais c'est en 2021 qu'il entrera réellement en vigueur.

Les effets psychologiques des médias sociaux peuvent être néfastes,
avec des modèles économiques qui se nourrissent de la dépendance et de la polarisation.
Un documentaire récent, le dilemme social, tire la sonnette d’alarme sur la dangerosité des réseaux sociaux et dépeint certaines entreprises technologiques comme des destructeurs du tissu social. Quel est votre avis?

C’est un sujet passionnant, mais la réalité est plus nuancée. Je reconnais que les effets psychologiques des médias sociaux peuvent être néfastes, avec des modèles économiques qui se nourrissent de la dépendance et de la polarisation. Mais cela ne signifie pas que les entreprises technologiques et leurs produits sont tous toxiques, car les médias sociaux peuvent être bénéfiques et agréables du moment qu’ils sont consommés avec modération comme beaucoup d’autres choses. Il y a effectivement beaucoup à faire en termes de réglementation, mais aussi d'éducation.

Les détracteurs ont ainsi accusé certaines entreprises technologiques d'être responsables de la dépendance et de dépression chez les jeunes, ainsi que de la montée de l'extrémisme. Pourquoi Alphabet, que vous détenez dans votre portefeuille, échappe-t-il à ces reproches?

Alphabet, la maison mère de Google, n’est pas une plateforme de médias sociaux purs. Son principal produit est la recherche, dans laquelle elle a beaucoup investi, et qui apporte une valeur ajoutée considérable à notre vie quotidienne. Les régulateurs, notamment en Europe, exigent qu'Alphabet rende la publicité plus transparente et qu’elle ne donne pas la priorité à ses propres services, ce qui a empêché les abus de pouvoir les plus flagrants. Par ailleurs, les autres services de l'entreprise comme Android, Mail, Maps, Meet sont davantage des utilitaires que des activités, donc la dépendance n’est pas un problème. Alphabet est également l'un des meilleurs lorsqu'il s'agit de fournir aux utilisateurs un accès aux données et une transparence sur la façon dont elles sont utilisées. Le domaine le plus problématique est YouTube, qui s'apparente davantage à une plateforme de médias sociaux en ce sens qu'il héberge du contenu généré par les utilisateurs et qu'il a la même incitation à polariser les gens, bien que les preuves à cet égard soient mitigées. Mais l’année dernière YouTube a modifié son algorithme de sorte que les vidéos qui ont été à la limite de la suppression aient moins de chances d'être recommandées. Cela dit, nous passons beaucoup de temps à surveiller et à débattre de la conduite et de la culture d'Alphabet, suivons les portails d'employés tels que Glassdoor et les blogs d'employés, et sommes à l'affût des signaux d'alarme qui pourraient suggérer que l'éthique commerciale de l'entreprise se détériore. Ce que nous n’avons pas constaté pour l’instant .

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