Faire confiance aux sociétés de croissance

Emmanuel Garessus

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Moritz Baumann, responsable de la recherche pour Albin Kistler, privilégie les groupes qui présentent une nette croissance des bénéfices à long terme.

Moritz Baumann, responsable de la recherche auprès du gérant Albin Kistler, ne cherche pas à déterminer le bon moment de l’investissement mais à sélectionner les titres de qualité dans une optique à long terme. Le gérant recommande actuellement de surpondérer les actions dans les portefeuilles. Moritz Baumann répond aux questions d’Allnews sur ses préférences boursières.

Est-ce que vous partagez l’idée selon laquelle, en 2023, il sera préférable d’attendre avant d’investir en actions jusqu’à un changement de tendance sur les taux d’intérêt ou jusqu’au début d’une récession?

Moritz Baumann: Non, nous ne partageons pas ce point de vue. Nous sommes convaincus que les prévisions à un an sont aléatoires et ne sont pas d’une grande utilité pour les investisseurs. Nous préférons rester investis dans une optique à long terme. L’histoire révèle que trois années boursières sur quatre offrent des performances positives. Pour profiter des gains des bonnes années, l’investisseur doit accepter de parfois subir une performance annuelle négative. Nous ne recommandons pas de chercher le bon moment d’investir. Il faut rester calme si un orage éclate et garder le cap sur la stratégie établie.

Après un mouvement de baisse, la cote change souvent de leaders. On parle d’ailleurs volontiers de changement de régime. Etes-vous resté fidèles aux mêmes actions suisses, aux Geberit, Sika, VAT ou Straumann?

La correction boursière a été causée par la hausse des taux d’intérêt, donc par un ajustement de la valorisation. Elle a surtout frappé les sociétés de croissance, comme Straumann ou VAT, et elle n’a pas épargné des sociétés encore jeunes que les investisseurs ont achetées en vertu de leurs promesses de croissance.

«Les entreprises suisses ont de tout temps été confrontées à un problème de coûts élevés, ne serait-ce qu’en raison des salaires suisses.»

La correction a touché des sociétés de grande qualité, comme Geberit, Sika ou Lonza. Nous sommes convaincus que ces sociétés présenteront encore d’excellents résultats ces prochaines années. Les cours de bourse honoreront leurs progrès opérationnels.

Nous n’attendons pas nécessairement un changement de régime. Les sociétés de qualité dont les bénéfices augmenteront fortement resteront de bons investissements.

Avec des taux d’intérêts et une inflation plus élevés que dans le passé, d’autres sociétés ne pourraient-elles pas être les gagnants de demain?

Les titres généreusement évalués mais qui ne pouvaient pas encore démontrer une forte croissance bénéficiaire, par exemple de nombreuses valeurs technologiques dont la hausse était basée sur des promesses de gains, auront sans doute de le peine. Mais les entreprises de croissance dont les modèles ont fait leurs preuves, comme Sika, profiteront d’une valorisation supérieure à d’autres. Il est crucial de distinguer entre ces deux types de sociétés dans un contexte de taux d’intérêt plus élevés qu’avant le covid.

Quelles entreprises suisses devraient positivement surprendre dans une conjoncture difficile telle qu’on le prévoit pour 2023?

Beaucoup d’entreprises rencontreront des difficultés ces prochains mois. Les résultats trimestriels de très bonnes entreprises pourraient décevoir les marchés si la conjoncture se détériore. Mais n’est-ce pas un phénomène normal? Il est toutefois très difficile de déterminer à l’avance qui surprendra positivement les marchés. Celles qui disposent d’un bilan solide et d’un management capable de garder le cap sur le long terme conservent tous leurs atouts même si leurs bénéfices déçoivent les investisseurs un ou deux trimestres.

Quels sont vos favoris?

Les actions Bucher, Ems-Chemie, Interroll, Inficon, Belimo, Straumann ont beaucoup baissé l’an dernier. Ce sont des sociétés dont nous restons convaincus du potentiel. Leur valorisation devrait s’apprécier en vertu de leur croissance durable et de la solidité de leur modèle d’affaires.

Quel sera l’impact de la hausse des coûts énergiques?

C’est un défi majeur pour les entreprises suisses. Même une entreprise capable de reporter 100% de la hausse de ses coûts sur les prix de vente subit automatiquement une baisse de ses marges. Mais les entreprises suisses ont de tout temps été confrontées à un problème de coûts élevés, ne serait-ce qu’en raison des salaires suisses. Pour elles, il n’y a rien de très nouveau sous cet angle.

«Les investisseurs ne doivent pas être obnubilés par une récession.»
Quelles sont vos préférences boursières au plan mondial?

Nous n’investissons que dans des actions de pays industrialisés (Suisse, Europe, Amérique du Nord) mais pas directement en Amérique latine ou en Chine en raison de l’incertitude associée à ces marchés, par exemple juridique. Nous pouvons profiter de la croissance par exemple asiatique avec des valeurs suisses.

Bucher dépend par exemple du marché agricole. Les plus grands marchés agricoles sont en Amérique du Nord et du Sud, ainsi qu’en Europe. Nous préférons participer à la croissance de ces derniers à travers Bucher plutôt qu’en sélectionnant des actions sur chacun de ces marchés.

Quelle est votre attitude face à la récession qui se profile?

Les investisseurs ne doivent pas être obnubilés par une récession. L’économie mondiale croît presque toujours, même si une récession ne peut pas être exclure. Une contraction de 3 ou 4 ans se produit très rarement. La Suisse connaît une croissance pratiquement ininterrompue depuis 25 ans. Les économies sont des institutions très stables qui offrent toujours d’intéressantes opportunités aux investisseurs.

Dans quels secteurs est-ce que vous distinguez les meilleures chances actuellement? Préférez-vous ceux ayant un faible multiple des bénéfices (PER), comme les matières premières, ou d’autres comme les semi-conducteurs?

Il est risqué de se limiter à l’observation du PER. Est-il bas en raison d’un cours de bourse modeste ou d’un bénéfice élevé? Nous n’investissons pas dans les matières premières pour des raisons de durabilité.

Dans les semi-conducteurs, une branche d’activité très cyclique, de belles opportunités devraient se présenter. Néanmoins nous préférons privilégier des entreprises peu exposées aux cycles conjoncturels, comme Geberit. Sur le plan plus général, nous préférons nous concentrer sur des entreprises individuelles que sur des secteurs.

Dans quelles actions de semi-conducteurs avez-vous récemment accru les positions?

Par exemple dans Sensirion, dans les composants électroniques, et nous investissons dans Inficon depuis longtemps. C’est un fournisseur de l’industrie des semi-conducteurs. Nous préférons souvent l’exposition au sous-traitant d’une industrie que dans le produit lui-même. Nous prenons l’image de la ruée vers l’or: mieux vaut investir dans les pelles qui équipent les ouvriers que dans l’or.