De la personnalité juridique et fiscale des robots

Nicolette de Joncaire

2 minutes de lecture

Une nouvelle conception des rapports entre hommes et machines est-elle inévitable? Conversation avec Xavier Oberson.

Taxer les robots. Depuis des années, Xavier Oberson se passionne et écrit sur ce thème avec un premier ouvrage paru en 2019 en anglais et une traduction française désormais disponible aux éditions Larcier. Il a été critiqué, et même moqué, mais aujourd’hui son nom figure aux côtés de ceux de Bill Gates, d’Elon Musk, de Stephen Hawking et de Robert Shiller parmi les précurseurs d’une nouvelle conception des rapports entre hommes et machines comme en témoigne l’article consacré au sujet sur Wikipedia. Et avec la vague de chômage qui accompagne l’actuelle récession, identifier une alternative aux impôts sur le revenu du travail n’est peut-être pas superflu. 

Pouvez-vous nous rappeler l’origine de votre réflexion?

Avec l’évolution fulgurante de l’intelligence artificielle, les robots pourront se substituer aux humains dans les tâches les plus complexes1. Dans ces conditions, et si contrairement à ce qui a été observé dans le passé, l’innovation n’est pas créatrice mais destructrice d’emplois, il faudra compenser les revenus générés par l’actuelle taxation du travail humain pour permettre aux Etats de continuer à fonctionner. Il conviendra aussi d’assurer un revenu à une vaste portion de la population qui se retrouverait inactive - ce que l’on désigne aujourd’hui sous le nom de « revenu universel ». En bref, il s’agit d’équilibrer la perte fiscale sur les revenus du travail due au remplacement des humains par des robots, d’une part, et de financer le revenu universel, de l’autre, alors qu’une augmentation du bénéfice imposable des sociétés serait insuffisante à y parvenir. Cela d'autant plus que l’imposition des sociétés reste un objet de concurrence fiscale entre pays.

«Rechercher une solution dès à présent me parait nécessaire
car il faut des années pour parvenir à un consensus en matière fiscale.»
L’intelligence artificielle est une nouvelle révolution technologique. Les précédentes n’ont pas détruit le travail. Pourquoi est-ce différent cette fois-ci?

Parce qu’il s’agit de substituer des fonctions beaucoup plus élaborées qu’autrefois. Les opinions sur les conséquences de cette révolution sont partagées, avec des optimistes et des pessimistes. Je ne prends pas parti mais si les pessimistes l’emportent, nous serons confrontés à un immense problème. Rechercher une solution dès à présent me parait nécessaire car il faut des années pour parvenir à un consensus en matière fiscale.

Vous êtes ainsi amené à défendre une taxation des robots?

J’imagine deux phases. Dans une première étape, on taxerait l’usage des robots sur un principe similaire à celui appliqué aux personnes résidant dans des logements dont ils sont propriétaires. Dans la seconde étape, on envisagerait d’attribuer aux robots une personnalité juridique et fiscale. En devenant des «personnes» à part entière, les robots pourraient être imposés comme le sont d’autres entités fiscales, selon le principe de la personne morale applicable aux sociétés ou aux associations. 

Reste encore à définir un robot dans ce contexte car vous ne pensez pas ici aux aspirateurs et autres «robots» ménagers. 

Certes. Dans ce contexte, un robot assujetti devra être doué d’autonomie et d’une capacité décisionnelle indépendante. En dehors de tout aspect physique car qui dit intelligence artificielle ne dit pas humanoïde.

«Les robots devront être taxés en fonction
de leur présence numérique et non physique.»
On l’a vu avec Sophia2 qui «partage» son cerveau avec ses pairs via le cloud, un robot peut être une entité difficile à définir.

Les définitions devront être évolutives. En fonction des avancées de la technologie.

Doté d’une personnalité juridique et fiscale, un robot aura-t-il aussi des droits? Comment sera-t-il représenté vis-à-vis des tiers? Quelles seraient les sanctions applicables en cas de fraude?

Ces points sont loin d’être aussi problématique qu’il apparait à première vue. Les sociétés anonymes ont des droits, sont représentées auprès des tiers et les sanctions leur sont applicables. Le principe est identique même si la pratique reste à développer. Et puis, pourquoi les robots ne se défendraient-ils pas eux-mêmes? Il existe bien déjà des robots-juges qui, soit dit en passant, peuvent montrer autant de subjectivité que les juges humains.

Sur quelle base décidera-t-on du «salaire» d’un robot?

On peut imaginer une première approche basée sur sa capacité contributive en «équivalent humain». C’est évidemment limité car les robots pourront (et peuvent déjà) exécuter des tâches impossibles à réaliser par des humains. C’est le cas, par exemple, des robots dépisteurs de radioactivité utilisés à Fukushima.

Vous évoquiez plus haut les limites de l’imposition sur le bénéfice en raison de la concurrence fiscale entre Etats. Mais comment définira-t-on la présence économique d’un robot?

Les robots devront être taxés en fonction de leur présence numérique et non physique. Sur le même principe que celui qu’on essaie aujourd’hui d’imposer aux géants du numérique. La présence numérique remplacera la présence physique sur laquelle est fondée notre système fiscal conçu au début du XXe siècle.

 

1 Stephen Hawking et Elon Musk ont partagé cette vision depuis 2017.
2 Sophia est un robot à forme humaine mise au point par Hanson Robotics et activée en 2015. En 2017, elle obtenait la nationalité saoudienne.

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