Crise et responsabilité sociale

Nicolette de Joncaire

3 minutes de lecture

«Le rôle des services financiers sera beaucoup plus noble qu’il ne l’a été par le passé» estime Fiona Frick d’Unigestion.

La crise de 2008 est venue des services financiers. Ce n’est pas le cas de celle que nous traversons actuellement et, contrairement à la dernière fois, ce secteur va être un instrument essentiel de la réponse à la crise. Car la transmission aux autres acteurs économiques des moyens mis en place par les autorités est sa fonction première. Les services financiers dans leur globalité ont, cette fois-ci, un rôle à jouer beaucoup plus noble qu’il ne l’a été par le passé. Entretien avec Fiona Frick, CEO d’Unigestion.

Quelle doit-être la place des services financiers dans la crise que nous traversons?

Commençons par dire que, contrairement à ce qui s’est passé en 2008, la finance n’est pas à l’origine de la crise et que nous sommes sortis des complexités – et des aberrations - d’une finance qui se percevait comme un but en soi, pour revenir aux principes beaucoup plus sains d’une finance dont la fonction est de soutenir les acteurs économiques. Par tous les moyens – du crédit, à l’investissement en actions ou au private equity – l’industrie financière est le principal mode de transmission du soutien des états à l’économie réelle. Elle va, de ce fait, contribuer de manière fondamentale à résoudre la crise. Le bon fonctionnement du secteur financier fera partie de la réponse à la crise.

«Pour sortir de cette crise, il faudra de vrais
plans fiscaux; de l’ampleur de celui des Etats-Unis.»
Quel rôle jouent les banques centrales?

Nous avons vu que les baisses de taux de la Fed n’ont eu aucun impact sur les marchés financiers. Par contre, ajouter de la liquidité est efficace, un facteur très important qui contribue à réduire le risque systémique qui est apparu fin mars sur les marchés financiers. Pour sortir de cette crise, il faudra de vrais plans fiscaux; de l’ampleur de celui des Etats-Unis qui se monte à 2'200 milliards de dollars. En Europe, l’effort est plus dispersé puisqu’il se fait pays par pays. Il va falloir un plan fiscal européen coordonné. Mais en fin de compte, c’est aux gouvernements de jouer. 

Faut-il avoir recours aux «corona bonds»?

Ils doivent aider à assurer la liquidité nécessaire pour faire face à la crise du coronavirus et créer un sentiment de solidarité entre les pays de l’Union. Il est essentiel que l’Europe ait un plan fiscal coordonné.

De quel œil voyez-vous la réaction à la pandémie?

Je constate, comme beaucoup et sans ambiguïté, le danger des coupes budgétaires extrêmes dans les dépenses sanitaires de base. En ces tristes circonstances, l’Europe démontre combien un capitalisme plus social et un filet médical adéquat permettent de mieux réagir à une catastrophe de cette ampleur.

Vous êtes une spécialiste du private equity. Cette crise va-t-elle changer votre mode de travail?

Cette crise remet à l’ordre du jour la pyramide de Maslow: priorité aux besoins fondamentaux, à l’alimentation, à la sécurité. Le coronavirus est un avertissement. Alors non, nous n’allons pas modifier nos critères de choix car nous investissons déjà dans des entreprises qui ont réellement un plan prometteur pour l’avenir: les entreprises technologiques, celles qui sont actives dans les services à une population qui vieillit, celle qui bâtissent les services de santé de demain. Cette crise nous rappelle aussi qu’il faut protéger notre planète et encourager l’investissement responsable. La première question qu’un investisseur doit se poser désormais est «mon investissement permet-il de répondre aux besoins essentiels?»

«Il faut repenser certaines chaines de production
inutilement longues et complexes.»
La crise du coronavirus pose la question de l’organisation des chaines de production? Faut-il les repenser?

Sans aucun doute. Sans nécessairement remettre en cause toute la globalisation et certains de ses effets bénéfiques, il faut repenser certaines chaines de production inutilement longues et complexes. A terme, nous serons amenés à voir les choses différemment et à envisager de manière structurelle un minimum à produire sur place.

Est-ce la fin de la globalisation?

Non. La globalisation a profité aux riches mais aussi aux plus démunis– en permettant à plus d’un milliard de personnes de sortir de la pauvreté. Elle a cependant défavorisé les classes moyennes des pays occidentaux d’où la montée en puissance du populisme. Un populisme qui ne réussit pas la gestion de crise parce qu’il construit des slogans, pas des plans. Il faut un retour vers des gouvernements forts qui inspirent confiance par leurs, vues, leur transparence et leurs actions.

Doit-on accepter un contrôle plus étroit des individus, que la technologie permet aujourd’hui?

Le problème n’est pas la technologie, en soi, mais l’existence d’un Etat de droit. Si l’Etat de droit est là, la technologie sera au service de crises comme celle d’aujourd’hui.

A propos de technologie, vous avez développé avec vos équipes ce que vous appelez l’intelligence collaborative. De quoi s’agit-il?

D’une gestion partiellement réalisée par des algorithmes qui libèrent les hommes de certaines tâches, leur permettant de se projeter différemment. On peut aujourd’hui faire des choses impensables il y a encore peu: comme filtrer rapidement d’immenses univers de titres sur des critères complexes. Ce qui ouvre des perspectives complètement nouvelles.

Avez-vous acquis cette expertise à l’extérieur?

Non. Unigestion a développé tous ses algorithmes en interne, sur la base de projets menés avec l’appui de doctorants. Nos recherches ont largement porté sur le «machine learning» que nous utilisons dans tous nos processus de gestion et sur toutes les classes d’actifs: actions, private equity, multi asset et alternatif liquide.

«Nous restons très défensifs avec une part importante en liquide et en or.»
Quelle est votre allocation actuelle?

La première correction a été la plus rapide de l’histoire et le rebond essentiellement technique. Nous attendons encore beaucoup de volatilité à la hausse comme à la baisse. Difficile d’anticiper une fin de crise qui peut durer encore deux ou quatre mois et se soldera forcément par une récession. La stabilisation ne se fera, dans le meilleur des cas, qu’à partir du second semestre. En conséquence, nous restons très défensifs avec une part importante en liquide et en or. Dans un contexte où les entreprises suppriment les dividendes sur actions, nous commençons à regarder de plus près les obligations corporate. Uniquement celles notées investment grade car nous sommes inquiets des niveaux d’endettement de certaines entreprises et donc pas question de toucher au High Yield. Nous regardons aussi les actions défensives qui devraient permettre de se repositionner sur l’equity dans une période d’incertitude. Nous regardons enfin le marché secondaire en PE qui comme à chaque crise devrait permettre d’identifier des investissements attractifs.

Quels sont les secteurs que vous avez conservés en portefeuille?

Nous avons un biais en faveur des valeurs défensives: consumer staples, santé, utilities si elles ne sont pas trop endettées. Nous sommes sortis du transport, des loisirs, du gaming; y compris des entreprises de très bonne qualité.

Et à l’achat?

Il est trop tôt pour faire un pari sur le futur. La visibilité est insuffisante et le restera jusqu’à la fin du confinement. La hausse des inscriptions au chômage aux Etats-Unis est spectaculaire. L’incertitude est trop grande pour rentrer sur les marchés. Donc il faut considérer que les prochains mois resteront volatils à la hausse comme à la baisse tant que l’incertitude demeurera sur l’évolution de la pandémie, son impact sur l’économie et les politiques fiscales et monétaires mises en place. Il faudra être néanmoins capable de réinvestir quand la situation se clarifiera avec une vision d’investissement long-terme.

A lire aussi...