Comment les entreprises suisses résistent à la concurrence

Salima Barragan

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Selon la BCGE, l’activité soutenue des sociétés contraste avec les indicateurs de sentiment en berne. Avec Valérie Lemaigre.

Cherté du franc suisse, baisse de la confiance des consommateurs, indicateurs du centre de recherche KOF en chute: la réalité des entreprises suisses pourrait-elle être meilleure que les baromètres conjoncturels laissent à penser? C’est en substance ce qu’affirme Valérie Lemaigre, la cheffe économiste de la BCGE. Les investissements massifs des champions nationaux en réponse à la course à l’innovation, notamment dans le secteur de la santé, leur permettent de rivaliser avec leurs pairs américains – mais également européens – malgré la force de la devise helvétique. Entretien.

Comment les entreprises suisses exportatrices survivent-elles à la cherté du franc suisse?

Une grande partie des entreprises, notamment des multinationales, sont liées au dollar américain, notons que les États-Unis sont devenus en 2022 le premier marché d’exportation de la Suisse. Cette nouvelle donne change la vision du franc suisse qui s’apprécie chaque année, en particulier face à l’euro. En 2022 le dollar s’est davantage renforcé que la monnaie helvétique.

En revanche, les PME en lien avec le commerce extérieur sur la zone euro sont plus concernées par la cherté de franc suisse, mais la hausse des coûts de production qu’ont subie les entreprises suisses est inférieure à la majoration des dépenses de leurs concurrentes européennes. En d’autres termes: les sociétés suisses ont gagné en compétitivité, ce qui signifie que leur situation ne s’est pas dégradée.

C’est la qualité des entreprises et des investissements pour être en permanence dans la course à l’innovation des processus et des produits – une restructuration innovatrice – qui fait la différence.
Comment ont-elles gagné de meilleurs avantages compétitifs vis-à-vis de leurs pairs européens?

En réponse au franc suisse cher, les entreprises helvétiques ont investi massivement depuis plusieurs décennies dans l’innovation, dans des processus de restructuration de leur activité, dans le capital ainsi que dans la formation de leurs employés, ce qui leur offre une meilleure productivité permettant de faire face aux hausses des coûts.

Lors de la présentation de vos perspectives annuelles, vous avez constaté que les indicateurs suisses sont, eux, mal orientés…

Les indicateurs d’enquête et de sentiment, tels que le KOF et la confiance des consommateurs sont mal orientés; tous deux en berne. Pourtant, l’activité réelle, c’est-à-dire les exportations, les dépenses d’investissement dans l’équipement et la technologie ainsi que les carnets de commandes sont dans le vert, ce qui démontre une vraie résilience par rapport à ces données.

Comment expliquez-vous le paradoxe, entre la réalité des entreprises et les indicateurs de sentiment en berne d’une part, et le consensus pessimiste des analystes d’autre part?

C’est la qualité des entreprises et des investissements pour être en permanence dans la course à l’innovation des processus et des produits – une restructuration innovatrice – qui fait la différence. Il ne s’agit pas de restructurations pour baisser les couts, mais d’améliorer les processus. Une analyse de la KOF a démontré que le secteur de la santé est celui qui exporte le plus. Les entreprises suisses, bien positionnées dans cette branche, diffusent leurs innovations aux États-Unis.

L’évolution du cours du franc suisse contre le dollar américain va gagner en importance pour déterminer la tendance du franc suisse au détriment du cours bilatéral euro/franc suisse.

La plupart des analystes ont intégré des risques importants dans leurs perspectives économiques. Si ces risques ne se matérialisent pas, la réalité les poussera à réviser leur sentiment.

Quelle inflation et quel taux de change euro contre franc suisse attendez-vous pour cette année?

La tendance voudrait que le taux de change contre euro continue de s’apprécier de 2 à 3% par an, mais cette hypothèse est principalement validée par le concept de valeur refuge de la monnaie dans un contexte de sentiments négatifs. Au contraire, les fondamentaux et les équilibres vis-à-vis de la zone euro et des États-Unis sont en train de bouger. L’évolution du cours du franc suisse contre le dollar américain va gagner en importance pour déterminer la tendance du franc suisse au détriment du cours bilatéral euro/franc suisse.

Après avoir atteint 3,5%, le renchérissement (l’inflation des prix à la consommation) devrait continuer à osciller en raison des tensions avec un retour aux moyennes à long terme proches de 1%.

Peut-on s’attendre, à court terme, à des tensions sociales en Suisse en raison de l’augmentation du coût de la vie et du prix de l’énergie?

Les tensions sur les prix en Suisse n’ont rien à voir avec ceux que les économies européennes ont connus, car le prix de l’électricité progresse de façon plus modérée, moins affecté par les prix du gaz. De plus, la hausse des salaires obtenue jusqu’à présent est inférieure à 2-3%, ce qui signifie que leur progression est maîtrisée, n’enclenchant pas une spirale inflationniste pour l’an prochain.

Le coût de la vie va rester lié aux prix de l’énergie, mais les services par exemple auront moins de raison d’augmenter. Si les conditions en Suisse ne devaient globalement pas alimenter des tensions sociales, les classes les plus fragiles sont pourtant les plus touchées et méritent des actions ciblées pour les soutenir.

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