Braver le statu quo

Nicolette de Joncaire

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A quoi ressemblera la finance suisse du futur? Les réponses de Zeno Staub, directeur général de Vontobel.

 

Traditionnellement discrète et classique, la banque Vontobel s’est récemment distinguée par des campagnes publicitaires qui ont surpris, voire provoqué. Le décryptage de son directeur Zeno Staub.

L’image projetée par Vontobel dans ses récentes campagnes est insolite. Quel message cherchez-vous à véhiculer?

Ce que nous cherchons à transmettre est «l’esprit Vontobel», ce qui constituera le futur pour nos clients, ce qui fera la différence: une volonté de créativité, d’entrepreneuriat, de sens des responsabilités, de confiance. Nous avons longtemps été classiques et discrets, mais il faut avoir le courage de braver le statu quo. Il est évident que certaines des images utilisées pouvaient choquer, celle du chimpanzé toutes dents dehors notamment. Nous avons voulu «faire fort», en décalage avec l’image sage de la banque suisse.

Quel est l’avenir de la finance suisse à vos yeux?

Celui de savoir percevoir, pour les investisseurs, ce qui n’est pas intégré dans les prix du marché. Celui d’oser avoir des opinions et des convictions. Battre le marché n’est possible que si l’on pense différemment, si on ne se plie pas au consensus. Cela ne signifie en rien qu’il faut systématiquement être anticonformiste et encore moins faire n’importe quoi pour se distinguer. Pensez-différemment ne veut pas dire être téméraire, manquer à ses devoirs de diligence ou se comporter sans morale. Bien au contraire. Mais il faut oser, quitte à parfois se tromper. Les meilleurs investisseurs savent que seules 55 à 65% de leurs décisions s’avèreront justes.

«Le modèle suisse tel que
nous l’avons connu est dépassé.»
Alors quels seront les services du futur?

Etre un bon dépositaire de la richesse ne suffit plus. Offrir performance et fiabilité ne suffisent plus non plus. Le modèle suisse tel que nous l’avons connu est dépassé. Il faut comprendre le client, ses objectifs, ses contraintes, ce que représente la richesse à ses yeux. Pour certains, elle est synonyme de sécurité, pour d’autres de prestige, pour d’autres encore de transmission aux générations futures. Son sens est différent pour chacun. Au banquier de converser avec le client et de transformer ses objectifs en solutions. C’est dans ce but que nous avons transformé notre ligne de produits, pour mieux la segmenter et pouvoir nous inscrire dans les attentes de notre clientèle.

A quoi ressemblera la banque de demain?

Les bureaux et les succursales ne disparaitront pas mais les points de contact seront largement digitaux. Ce qu’il faut est amener de la pertinence, de l’expertise, du savoir-faire à ces points de contact. C’est ce dont ont besoin les clients et ce qu’ils réclament. C’est la raison pour laquelle nos collaborateurs reçoivent plus de 20 jours de formation au cours de leurs premiers 18 mois.

Quels en seront les rendements?

Les marchés ont beaucoup évolué. Il y a vingt ans, générer des rendements élevés en toute sécurité était possible. Nous avons transité du plus grand bull market obligataire de tous les temps à des rendements nuls en moins de deux décennies. Du rendement sans risque au risque sans rendement.

Certains disent que la gestion passive représentera demain 70% de la gestion. Qu’en pensez-vous?

Il existe trois types de gestion. Celle où on laisse le marché décider, celle où on réfléchit une fois pour établir des règles automatisées – parfois simplistes - comme certains produits de smart beta par exemple - et celle où on réfléchit tous les jours. Nous appliquons largement cette dernière et s’il ne reste qu’une part de 30% à la gestion active, nous saurons y faire notre place.

«Le concept  de coût marginal nul n’est pas applicable dans sa globalité
au Wealth management qui est synonyme de complexité.»
Il est beaucoup question d’économie des réseaux et de solutions à coût marginal nul ou quasi-nul. Sont-ils envisageables dans le wealth management?

Le modèle d’économie des réseaux – applicable par exemple au moteur de recherche de Google – implique que chaque nouveau membre du réseau contribue à la valeur ajoutée de l’ensemble avec un coût marginal faible ou nul. Il existe des tentatives dans le domaine financier comme Motif Investing, une société d'investissement thématique axée sur la technologie. Toutefois, de mon point de vue, le  concept n’est pas applicable dans sa globalité au Wealth management qui est synonyme de complexité et exige une intervention humaine. Il me parait donc difficile, voire impossible, d’y atteindre des coûts marginaux nuls. Au mieux, les solutions seront hybrides, comme c’est le cas de notre plateforme de produits structurés.

Le public semble toutefois estimer que l’information est gratuite.

Tout dépend de ce qu’on entend par «information» et ne pas la confondre avec le «bruit». La diffusion des nouvelles est peut-être gratuite mais la connaissance ne l’est pas. Pour paraphraser Enrico Fermi, je dirais qu’aujourd’hui le public est «confus, mais à un niveau supérieur». L’analyse qui se traduit en décision a un coût. Ce n’est pas à moi de vous l’apprendre mais la recherche et la formulation d’un avis éclairé ont une valeur et il faudra toujours que quelqu’un la rétribue, faute de quoi elles disparaitront. C’est la raison pour laquelle nous menons des campagnes publicitaires dans la presse écrite régionale en Suisse: pour soutenir la production de contenu.