Blockchain: le vrai sujet est celui de la tokénisation des actifs

Yves Hulmann

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Pour Jonathan Piskorowski de BNY Mellon Invesment Management, l’attrait de la technologie des chaînes de blocs va bien au-delà des cryptomonnaies.

Les possibilités offertes par la technologie dite des chaînes de blocs («blockchain») ne cessent de s’étendre à diverses applications Le point avec Jonathan Piskorowski qui est lead portfolio manager pour la stratégie Blockchain Innovation auprès de Newton Investment Management, une société qui fait partie de BNY Mellon Investment Management.

Vous investissez via votre fonds dans des entreprises qui sont actives dans différents domaines d'activités tels que les services financiers, les sciences de la vie, la gestion des chaîne d'approvisionnement ou encore la traçabilité dans l'industrie alimentaire et d’autres. Parmi les diverses applications de la technologie blockchain, sur quels secteurs mettez-vous l’accent en particulier?

S’agissant de l’univers d’investissement dans lequel nous évoluons, il faut tout d’abord souligner que l’usage de la blockchain ne se limite pas à ses applications les plus connues telles que les cryptomonnaies ou les jetons non fongibles, ou NFTs. L’usage de la technologie des chaînes de blocs est beaucoup plus vaste que cela - et il ne cesse de s’agrandir. On peut établir un parallèle entre les développements en lien avec Internet à la fin des années 1990 et ceux de la technologie des chaînes de blocs: aujourd’hui, les applications liées à la blockchain émergent à travers toutes les industries et tous les secteurs afin d’améliorer la vitesse, la sécurité et la transparence d’une large variétés de processus commerciaux.

Comment choisissez-vous les entreprises qui ont un lien avec la blockchain?

Lors de la mise sur pied du fonds il y a trois ans, notre univers d’investissement était composé d’une cinquantaine d’entreprises. Actuellement, notre univers d’investissement est constitué d’environ 200 entreprises. Et le nombre d’opportunités dans ce domaine continue d’augmenter – nous ajoutons régulièrement une nouvelle société à cet univers.

Les investisseurs institutionnels ont besoin de pouvoir montrer qu’ils placent leur argent dans un domaine régulé avant de pouvoir investir, indépendamment même du fait qu’ils soient convaincus ou non de la thématique.

Par secteurs, nous mettons l’accent en particulier sur trois ou quatre domaines d’adoptions de cette technologie. Premièrement, il y a l’utilisation de la blockchain en lien avec le système financier. Il est possible d’utiliser la technologie des chaînes de blocs pour améliorer les services financiers de différentes façons – pas seulement en lien avec les cryptomonnaies mais aussi pour améliorer la vitesse, la sécurité et les coûts pour effectuer certaines transactions, par exemple lors la gestion les opérations de règlement-livraison. On peut également évoquer la gestion des paiements transfrontaliers, des opérations qui sont souvent encore très compliqués aujourd’hui, chères et gourmandes en ressources. C’est le cas aussi pour d’autres types de services tels que les procédures d’enregistrement dans les aéroports. Bref, il y a une multitude de domaines pour lesquels l’usage de la technologie des chaînes de blocs recèle encore un énorme potentiel.

Un deuxième domaine important est celui de la santé. Il existe ici une multitude d’applications possibles pour la blockchain, par exemple pour le suivi, le partage et la documentation des dossiers de patients d’une façon sûre.

Troisième domaine d’application clé: la tokénisation des actifs, à savoir la possibilité de convertir en jetons numériques toutes sortes d’actifs, peu importe qu’il s’agisse d’actifs physiques ou numériques. Ici, aussi, les NFT recueillent, certes, le plus d’attention auprès du public mais ils ne constituent pas l’opportunité clé qui se présente dans ce domaine. Le vrai sujet est la tokénisation des actifs, car celle-ci permet d’apporter des liquidités même dans des actifs qui sont à la base très peu liquides. De l’immobilier aux œuvres d’art, la tokénisation permet d’attribuer un jeton numérique à un actif donné, ce qui facilite ensuite sa transmission sur un réseau basé sur la blockchain. Dès lors que vous parvenez à tokéniser des actifs, il devient ensuite beaucoup plus facile de les transférer d’un propriétaire à un autre. C’est ça le véritable enjeu.

Comment les autorités en charge de la régulation réagissent-elles face à ces développements – ne vont-elles pas vouloir davantage les encadrer?

Bien sûr, les instances de régulation ne vont pas rester les bras croisés – la régulation va augmenter tôt ou tard. Mais c’est aussi une bonne chose pour nous. En effet, les investisseurs institutionnels ont besoin de pouvoir montrer qu’ils placent leur argent dans un domaine régulé avant de pouvoir investir, indépendamment même du fait qu’ils soient convaincus ou non de la thématique. Les instances de régulation prennent leurs décisions en fonction de deux critères: d’un côté, il y a les bénéfices qu’une innovation apporte aux investisseurs; de l’autre, il y a la nécessité de protéger les investisseurs. Personnellement, je pense qu’une régulation accrue des diverses activités en lien avec la blockchain est plutôt favorable pour les entreprises que nous détenons dans notre portefeuille. En l’absence d’une telle régulation, il serait difficile d’attirer de nouveaux investisseurs, surtout lorsqu’il s’agit d’institutionnels qui ont adopté une approche prudente en matière d’investissements dans les actifs numériques.

Nous avons développé notre propre système de scoring propriétaire qui détermine quel est le degré de matérialité d’une entreprise par rapport au thème de la blockchain.

Je pense que nous sommes très chanceux d’avoir pu compter sur l’équipe en charge de marchés privés chez Newton Investment Management car il y a tellement d’innovations dans la blockchain qui se passe sur les marchés privés. Les connaissances que nous obtenons de l'équipe du marché privé nous aident à prendre des décisions d'investissement plus éclairées. Deuxièmement, notre connaissance des positions sur le marché privé est essentielle car, à terme, ces entreprises seront introduites en bourse ou rachetées par des entreprises publiques qui figurent dans notre univers d'investissement thématique.

Comment définissez-vous si une entreprise est suffisamment impliquée dans les technologies de chaînes de bloc ou non – y a-t-il un seuil spécifique de chiffre d’affaires à atteindre en lien avec la blockchain?

Nous avons développé notre propre système de scoring propriétaire qui détermine quel est le degré de matérialité d’une entreprise par rapport au thème de la blockchain. Notre travail consiste à vérifier la pertinence de ce score pour chaque entreprise, puis à évaluer quel sera le degré d'impact de la blockchain sur ses revenus, sa structure des coûts, son efficacité opérationnelle ou ses efforts en matière de durabilité et d’après des critères ESG.

Certaines sociétés n’ont-elles pas tendance à vouloir exagérer l’importance de la blockchain dans leur modèle d’affaires, afin de se rendre plus attrayantes aux yeux des investisseurs?

C’est déjà arrivé quelque fois mais pas très souvent. Notre vaste plateforme de recherche thématique chez Newton teste constamment quel est le niveau de signification de ce thème pour une entreprise plutôt que de croire la direction sur parole.

Dans un cas, une entreprise asiatique cherchait à mettre en avant cet aspect, sans que la blockchain ne soit vraiment si importante pour son modèle d’affaires.

Le Bitcoin a quelque chose de vraiment unique – c’est un «animal» très particulier dans le sens que sa valeur dépend de l’usage que son détenteur veut en faire.
Comment estimez-vous le caractère défensif des placements dans les cryptomonnaies en période de crise ou de turbulences sur les marchés financiers?

Je pense qu’il faut distinguer entre le Bitcoin, d’un côté, et les autres cryptomonnaies, de l’autre. Le Bitcoin a quelque chose de vraiment unique – c’est un «animal» très particulier dans le sens que sa valeur dépend de l’usage que son détenteur veut en faire. Pour certains d’entre eux, il s’agit un moyen de paiement, pour d’autres, cela peut être une façon de stocker de la valeur. Les autres cryptomonnaies sont, elles, souvent davantage adaptées à un usage fonctionnel plus spécifique, comme c’est le cas de l’Ether qui est utilisé pour faciliter les transactions sur des plateformes de finance décentralisée (DeFi).

Comment évaluez-vous le potentiel des cryptomonnaies pour les investisseurs institutionnels – garderont-elles une position de niche ou occuperont-elles un rôle plus important dans leur allocation d’actifs à l’avenir?

Comme déjà mentionné précédemment, l’évolution de la régulation jouera à mon avis un rôle très important pour l’adoption des cryptomonnaies par les investisseurs institutionnels. L'engagement des particuliers sur les marchés des cryptomonnaies est assez large à ce stade – il existe une grande variété de plateformes qui permettent au particulier d'investir dans cet espace. Pour un fonds de pension ou un fonds de dotation qui gère les actifs d'une université, la situation est un peu plus compliquée, car ces institutions doivent tenir compte de l'impact qu’aura l'inclusion d'actifs numériques dans le contexte de leurs portefeuilles plus larges. Dans l'ensemble, l'intérêt des institutions pour cette thématique augmente et je m'attends à ce que davantage d'argent soit alloué non seulement aux cryptomonnaies mais aussi aux opportunités liées à la blockchain, à la fois dans les marchés publics et privés.

Début avril, Helveteq, une boutique d'investissement suisse, et l'Université de Zurich ont annoncé vouloir proposer un produit d'investissement neutre en carbone dans le domaine des crypto-actifs. Comment intégrez-vous la dimension de la consommation d'énergie au sein de votre décision d'investissement liée à la blockchain et aux cryptomonnaies?  

Le BNY Mellon Blockchain Innovation Fund investit dans des sociétés publiques qui facilitent ou adoptent la technologie blockchain mais ce fonds ne place pas directement d’argent dans les cryptomonnaies. Les applications blockchain migrent vers des applications dites de preuve d'enjeu (proof-of-stake) à partir de mécanismes de preuve de travail à forte intensité énergétique, ce qui atténue largement l'impact environnemental pour les transactions exécutées sur la blockchain. Les analystes de recherche sur les actions, les gestionnaires de portefeuille et l'équipe d'investissement responsable de Newton évaluent la consommation d'énergie dans le cadre de l'analyse ESG, laquelle a lieu avant qu’une entreprise ne soit ajoutée au portefeuille. Il s'agit d'une partie intégrante du processus d'investissement à travers l’ensemble de la société.

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