ESG: les obligations corporates

Josef Helmes, Aberdeen Standard Investments

4 minutes de lecture

Comment ajouter de la valeur en prenant en compte les facteurs ESG dans l'analyse des obligations corporates?

À quoi peuvent s’attendre les investisseurs en obligations corporates lorsqu’ils intègrent l’analyse environnementale, sociale et de gouvernance (ESG) à leur processus d’investissement? En associant gestion active et engagement actif, les investisseurs ont la possibilité de se comporter de façon responsable tout en gagnant de l’argent.

L’évolution de l’investissement ESG

Les premiers adeptes d’une approche éthique de l’investissement avaient adopté une démarche consistant à exclure les entreprises ne respectant pas un seuil de valeurs déterminé. Dans l’ensemble, les investisseurs avaient accepté qu’en moyenne, cette approche générerait une performance inférieure à celle de l’indice de référence étant donné la taille plus limitée de l’univers d’investissement. En effet, lorsque nous avons lancé le fonds Euro Credit SRI Fund en 2012, en collaboration avec un fonds de pension néerlandais, nous pensions évoluer à contre-courant.

Or, il s’est avéré que le fonds a surperformé l’indice, la sélection de titres de crédit constituant la principale de source de performance. Toutefois, nous en avons tiré un enseignement important: l’analyse ESG, au même titre que l’analyse crédit traditionnelle, est l’un des principaux facteurs permettant de comprendre les risques inhérents à une entreprise.

Une sélection de titres judicieuse au sein d’un portefeuille d’obligations
corporates permet d’éviter les révisions à la baisse des notations de crédit.

Elle est donc intégrée à notre processus d’investissement, et pas seulement parce que nous avons la volonté d’agir de façon responsable. En effet, une sélection de titres judicieuse au sein d’un portefeuille d’obligations corporates permet d’éviter les révisions à la baisse des notations de crédit. Il existe un lien de causalité entre la gestion efficace du risque ESG et celle des risques financiers qui déterminent la solvabilité d’une entreprise.

Engagement actif: actions versus obligations

On considère souvent que la marge dont disposent les investisseurs obligataires en matière d’engagement actif est limitée puisqu’ils ne possèdent pas de droit de vote. Notre société met beaucoup l’accent sur le recours actif au vote par procuration, même si nous ne le considérons que comme l’un des cinq leviers potentiels. Les investisseurs obligataires en ont quatre autres à leur disposition.

  1. Un dialogue constructif peut générer de la valeur ajoutée, que ce soit pour l’investisseur ou pour l’entreprise.
  2. Les investisseurs peuvent clairement énoncer les informations dont ils ont besoin pour évaluer les risques ESG, aidant ainsi les entreprises à améliorer le reporting – et, au passage, la gestion – de leurs activités.
  3. Les gérants peuvent mobiliser le pouvoir des médias pour diffuser leur message plus largement, mettant ainsi une certaine pression sur les dirigeants de l’entreprise pour effectuer des changements.
  4. Les investisseurs actifs peuvent acheter ou vendre des obligations. C’est ce qui différencie fondamentalement les gestions active et passive.

Le droit de vote est le seul levier dont les investisseurs en actions sont les seuls à disposer. Toutefois, les investisseurs obligataires qui prennent place aux côtés des investisseurs en actions peuvent décider d’une approche concertée à l’égard des problématiques de gouvernance.

Les deux catégories d’investisseurs sont également confrontées à différents risques. À l’origine, la catastrophe de Deepwater Horizon avait affecté aussi bien les cours des actions que les prix des obligations de BP. Pour les actionnaires, des dizaines de milliards de valorisation s’étaient évaporés en frais d’indemnisations et de nettoyage. Mais du point de vue obligataire, le paiement des coupons ne s’était pas interrompu et le bilan du groupe restait sain.

Tendances actuelle de l’investissement ESG

Ces dernières années, les investisseurs ont accordé une place de plus en plus importante aux obligations environnementales («green bonds») mais cette année, la croissance du volume d’émissions a stagné. Les obligations environnementales constituent une source de financement pour les projets qui s’attaquent aux défis du changement climatique. Toutefois, il n’existe pas une définition unique pour cette catégorie d’obligations. En effet, le groupe Tianjin SDIC Jinneng Electric Power a eu recours à une émission d’obligations environnementales pour financer une centrale thermique à charbon en 2017, illustrant parfaitement le paradoxe de ces instruments. Certes il s’agit d’un exemple extrême, mais la nature des projets financés par ces obligations implique qu’elles sont plus – et certainement pas moins – exposées aux risques environnementaux. Cela explique en partie la baisse du volume d’émissions.

Les réglementations locales entraînent aussi
des changements de comportement chez les investisseurs.

L’impact investing suscite aussi de plus en plus l’intérêt des investisseurs. Il s’agit d’une démarche qui consiste à acheter les titres d’entreprises dont l’intention est d’avoir un impact social et environnemental positif en plus de générer de la performance. Là encore, il n’existe pas une définition unique de l’impact investing, ce qui freine sa progression. Nous tenons compte des indicateurs de performance clés associés aux Objectifs des Nations-Unies en matière de développement durable pour mesurer les progrès des entreprises que nous suivons.

Les analystes quantitatifs intègrent de plus en plus les notations ESG des fournisseurs de données indépendants à leur processus d’investissement. Certaines études universitaires ont montré que les facteurs ESG n’avaient pas totalement été intégrés dans les prix des actifs, et qu’ils pourraient donc offrir une source persistante (mais pas permanente) de surperformance. Nous avons toutefois identifié des exemples de notations totalement incohérentes. Par exemple, un fournisseur de données considère les banques russes comme étant moins risquées que les banques américaines, ces dernières ayant été éclaboussées par plus de scandales. Or, cela s’explique simplement par le fait que les banques américaines sont autrement plus grandes que leurs homologues russes, et que la liberté de la presse étant muselée en Russie, les scandales sont beaucoup moins médiatisés.

Les réglementations locales entraînent aussi des changements de comportement chez les investisseurs. En France, le Parlement a voté une loi en 2015 exigeant de la part des investisseurs institutionnels qu’ils publient l’empreinte carbone de leurs portefeuilles. Le mois dernier, l’État de Californie a adopté un projet de loi contraignant les deux principaux fonds de pension de pays – le California Public Employees’ Retirement System et le California State Teachers’ Retirement System (systèmes de retraite des fonctionnaires et des enseignants californiens) – à tenir compte des «risques financiers liés au changement climatique» lors de leurs décisions d’investissement à compter de 2020.

Stratégie d’investissement

Deux tendances macroéconomiques influencent notre stratégie. La première est la normalisation des politiques monétaires. La Banque centrale européenne est actuellement en train de réduire la voilure de son programme d’achat d’actifs – dit «programme d’assouplissement quantitatif (QE)» – avant d’y mettre un terme à la fin de l’année. Entre 10 et 15% de ces achats ont concerné des obligations corporates, ce qui a stimulé ces titres qui sont éligibles au programme en question. Cette réduction par la Banque centrale devrait avoir un effet négatif sur l’équilibre de l’offre et de la demande, et nous nous montrons donc prudents à l’égard de cette classe d’actifs.

L’expérience montre qu’une hausse progressive
n’entraînera pas d’élargissement des spreads de crédit.

Deuxièmement, nous restons prudents à l’égard des obligations italiennes en raison des risques politiques. Les débats sur le budget, qui auront lieu durant le mois de septembre, seront décisifs. Nous sommes particulièrement sous-exposés aux obligations non-financières, segment sur lequel les émissions de qualité supérieure génèrent un rendement inférieur à celui des emprunts d’État équivalents, même dans le cas des entreprises du marché domestique.

La normalisation de la politique monétaire devrait entraîner une hausse du rendement des emprunts d’État. Toutefois, la hausse des taux d’intérêt devrait être progressive, notamment à cause de la situation délicate en Italie. L’expérience montre qu’une hausse progressive n’entraînera pas d’élargissement des spreads de crédit.

Nous favorisons les obligations hybrides, segment sur lequel la sélection de titres est primordiale. Orsted, un opérateur danois de parcs éoliens offshore, offre un rendement intéressant tout en affichant un profil de crédit solide. Nous détenons une position de longue date sur cette entreprise, et les investisseurs obligataires ont bénéficié d’une amélioration de sa notation ESG. La cession par l’entreprise de son activité d’exploration pétrolière et gazière a permis de réduire le niveau de risque cyclique associé aux prix de l’énergie. Elle a également permis d’éliminer le risque pour l’entreprise de voir ses actifs bloqués en cas de changement de la législation concernant l’extraction pétrolière et gazière.