Des banques européennes très solides, mais est-ce suffisant?

Julien de Saussure et Miguel Raminhos, Edmond de Rothschild Asset Management (France)

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La hausse des taux d’intérêt est une aubaine pour les banques européennes. Gare cependant au revers de la médaille.

Depuis la crise financière, les banques européennes ont lutté pour ne pas détruire de la valeur (à savoir, ne pas générer moins de profitabilité que de coût du capital). Le problème a été résolu en un claquement de doigts avec le retour des taux positifs.

Tout d’abord, la masse de liquidité cumulée pendant la période Covid est passée d’extrêmement coûteuse à très rémunératrice. Ensuite, les résultats des banques européennes montrent un réajustement de la rentabilité de l’actif bien plus rapide que celui du coût du passif. C’est d’autant plus le cas pour les juridictions avec des pratiques historiques de prêts à taux variable, comme l’Angleterre ou les pays d’Europe périphérique. La lenteur du réajustement à la hausse des coûts du passif est, en parallèle, bien plus importante que lors des cycles passés et ce pour plusieurs raisons : la première, et la plus importante, est la lenteur avec laquelle les banques reflètent la hausse des taux dans la rémunération de leurs dépôts (appelés deposit beta). En un an, quasiment jour pour jour, les taux directeurs de la zone euro ont augmenté de 3,75%. La rémunération moyenne des dépôts européens a dans le même temps augmenté d’à peine 0,4%.

Pourquoi une si faible transmission? Tout d’abord car, comme nous l’avons indiqué auparavant, la liquidité des banques européennes, à peine sorties de l’ère Covid, est toujours très abondante (la croissance des dépôts était supérieure à 8% en 2020 puis à 4% en 2021) et il y a donc très peu de raisons de se battre pour en attirer davantage. Ensuite, car la base de déposants en Europe est moins sophistiquée qu’aux Etats-Unis, et donc moins portée sur l’optimisation à tout prix. Les nouvelles générations sont habituées à ne pas être rémunérées sur leur compte courant, et sont bien plus vigilantes sur le sujet des commissions. Enfin, dans un contexte d’incertitudes économiques, les entreprises européennes, qui n’ont pas pour habitude de placer leurs liquidités sur les marchés monétaires, sont également hésitantes à bloquer leurs fonds sur des comptes à terme plus rémunérateurs mais moins flexibles.

Un autre point structurel concerne l’allongement progressif des financements de marché, sous le poids de la règlementation. La création de nouveaux ratios prudentiels a forcé les banques à augmenter leur financement de marché sur des maturités plus longues, ce qui va forcément ralentir la hausse des coûts via des refinancements. Tous ces éléments, combinés à une résilience (temporaire?) des taux de défaut, ont rapidement placé les banques européennes dans une situation idéale permettant un retour à des niveaux de profitabilité non observés depuis 2008.

Le plus dur, ce n’est pas la hausse… mais l’atterrissage

La nature ultra rapide et incontrôlée de ce cycle haussier pourrait faire apparaître de nombreux risques, qui commenceraient à se matérialiser une fois le plateau sur les taux atteint.

Ce cycle de taux n’a pas été enclenché par une surchauffe des économies, mais bien par une inflation galopante et difficilement contrôlable. Primes de risque compressées sur les marchés financiers, endettement à taux bas, hausse de l’importance du système bancaire parallèle et des crypto-actifs, mauvaises politiques de gestion actif-passif, surchauffe des marchés immobiliers; autant d’anomalies générées par une très longue période de taux négatifs et susceptibles de se désagréger suite à ce drainage soudain de liquidités.

Au vu des fondamentaux affichés actuellement par les banques européennes (forte liquidité, ratios de solvabilité historiquement élevés, prêts non performants à un point bas, et niveaux de provisionnement prudents), il est difficile d’envisager qu’un de ces risques puisse mettre à mal le système financier européen de façon isolée. C’est cependant le désalignement des planètes qui est le point d’attention du régulateur. La pression politique et la peur du stigma suite à une baisse trop rapide des dépôts va progressivement forcer les banques à augmenter la rémunération des dépôts concomitamment à la stabilisation des taux d’intérêt. Les banques devront donc abandonner une partie des marges générées pendant la période de hausse des taux. Le ralentissement économique combiné à la hausse des coûts de refinancement entraînera sans doute une hausse des taux de défaut, sur les secteurs immobiliers comme sur les prêts aux entreprises, ce qui forcera les banques à enregistrer davantage de provisionnement.

Enfin, l’interconnexion entre les banques et les acteurs financiers non bancaires pourrait entraîner à la fois de fortes pertes (défauts sur prêts ou expositions dérivées) et une fuite des dépôts (la part des dépôts provenant des acteurs financiers non bancaires ayant fortement augmenté ces dernières années, à près de 10% de la totalité des dépôts bancaires). Après les épisodes Credit Suisse, SVB ou First Republic Bank, les dépôts sont plus que jamais scrutés par les marchés, et mieux vaut se situer au centre plutôt qu’aux extrêmes.

En conclusion, si les banques européennes sont mieux armées que jamais pour faire face à ces risques, leur statut de poumon économique les expose forcement, de près ou de loin, à un tel choc de liquidité.  

 

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