1970: la genèse du marché obligataire

Emily Davidson, T. Rowe Price

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Lorsque T. Rowe Price a créé son département «revenu fixe» en 1971, le monde était très différent. Voici le premier épisode du Voyage dans le temps sur les marchés obligataires.

Avec près de 170 milliards de dollars sous gestion dans l’obligataire, T. Rowe Price peut se prévaloir d'une histoire de 52 ans dans ce domaine. Comment ce segment a-t-il démarré, alors que le marché obligataire n’en était qu’à ses balbutiements? Nous vous proposons un voyage à travers cinq décennies agitées sur le marché obligataire.

Lorsque T. Rowe Price a créé sa division «revenu fixe» en 1971, le monde était très différent.
L'alunissage de la mission Apollo 14 n'avait eu lieu que deux ans auparavant, les gens manifestaient contre la guerre du Viêt Nam et l'étalon-or touchait à sa fin. Le monde était en pleine mutation.

Les marchés étaient beaucoup moins développés qu'aujourd'hui. Dans le domaine des obligations, l'activité se caractérisait par une forte préférence domestique. Que ce soit aux Etats-Unis ou en Europe, les gens ne ressentaient pas le besoin de s'aventurer au-delà des obligations d'Eat de leur propre pays. Toutefois, comme le montre l'histoire, cette tendance allait changer radicalement.

Le siège de T. Rowe Price à Baltimore à l’époque

Source T. Rowe Price

 

D'abord l'inflation, puis la stagflation

Les années 1970 ont été difficiles pour l'économie américaine. L'inflation a explosé, la politique monétaire expansive des années 1960, visant à améliorer la situation sur le marché du travail, ayant entraîné une hausse généralisée des prix. Par ailleurs, la dette nationale a considérablement augmenté en raison de la guerre engagée au Viêt Nam. En 1971, le système monétaire de Bretton Woods s'est effondré lorsque les États-Unis annoncé la fin de la convertibilité dollar-or («choc de Nixon»).

Avec la fin de l'étalon-or, le dollar américain est devenu librement échangeable. Et par conséquent, de plus en plus faible. De 1971 à 1978, la monnaie s'est dépréciée d'environ 30%, ce qui a également affecté les matières premières. Cette tendance a été renforcée par la première crise pétrolière qui a suivi la réduction, pour des raisons politiques, de la production de l'Opep en 1973. D'un peu plus de 3 dollars en 1972, le prix est passé à un pic de 15 dollars en 1975. Parallèlement, le marché boursier s'est effondré entre 1973 et 1974. Après une brève période de calme, la révolution iranienne de 1979 entraîne une seconde crise pétrolière.  

A la suite de ces événements, les citoyens ont commencé à anticiper une inflation fondamentalement élevée et à en tenir compte dans leurs décisions au quotidien. Cela a conduit à une dangereuse spirale salaires-prix dans laquelle les salaires, et donc les coûts des entreprises, ont augmenté plus rapidement, ce qui a alimenté la hausse de l'inflation. Il en est résulté une période catastrophique de stagnation de la croissance économique, associée à des taux d'inflation élevés. La stagflation a prévalu.

Avec la fin de l'étalon-or, le dollar américain est devenu librement échangeable. Et par conséquent, de plus en plus faible.
Source: Pixabay

 

Deux employés pour tout un marché

Dans une période loin d'être calme, le fondateur et homonyme de la société, Thomas Rowe Price Jr, a décidé de se retirer de son rôle actif dans la société à l'âge de 73 ans. Il avait bâti son entreprise avec la ferme conviction qu'elle ne pouvait prospérer que si ses clients réussissaient. Ce credo était également fermement ancré au sein du nouveau département obligataire, qui a vu le jour à Baltimore en 1971.

Chez T. Rowe Price, la gestion des portefeuilles a toujours inclus des obligations et d'autres titres de créance. Mais ce n'est qu'au début des années 1970 que l'intérêt des investisseurs a sensiblement augmenté, ce qui a conduit à la création d'un département distinct. La particularité de l'équipe chargée des titres à revenu fixe au lancement était qu'elle n'était composée que de deux personnes.

Afin de mieux comprendre la situation, il faut remonter dans le temps. On a longtemps considéré que l'achat et la conservation étaient la norme pour les titres à revenu fixe. En effet, les taux d'intérêt étaient bas et la volatilité relativement faible. Dans les années 1950, les portefeuilles obligataires classiques avaient des coupons moyens de 5%. Ce n'est qu'à la fin des années 1960 que la situation a changé. La hausse des taux d'inflation, l'augmentation des rendements et la stabilité apportée par les titres à revenu fixe aux portefeuilles actions en période d'incertitude ont permis à cette classe d'actifs de poursuivre sa croissance.

L’obligataire dans les années 70

Dans les années 1970, les taux d'inflation ont atteint des niveaux que l'on n'aurait pu imaginer dix ans plus tôt. L'objectif était alors de préserver le pouvoir d'achat des investisseurs. On cherchait alors à réaliser systématiquement des rendements le plus tôt possible (recouvrement précoce) afin de pouvoir réinvestir les fonds libérés à des conditions meilleures. C'est ainsi que l'on peut contourner l'inflation. Toutefois, cette approche est compliquée et requiert un haut niveau d'expertise. Il fallait sélectionner des obligations de bonne qualité dans les bons secteurs et évaluer correctement les facteurs influençant les rendements futurs. En même temps, l'approche devait rester suffisamment flexible pour pouvoir réagir aux changements structurels de l'économie.

La stratégie de recouvrement précoce a bien fonctionné lorsque l'inflation était en forte hausse. Mais les experts obligataires devaient également être préparés à l'éventualité d'un ralentissement. C'est pourquoi nos analystes ont concentré leurs recherches sur les évolutions des facteurs d'influence. Cela comprenait, par exemple, l'évaluation continue des publications des banques centrales, ce qui constituait à l'époque un véritable avantage concurrentiel. Leurs propres analyses étaient complétées par des évaluations d'experts externes.

Le programme d'investissement était principalement orienté sur l'anticipation des développements futurs, plutôt que sur la simple analyse des rendements historiques. Il s'agissait d'estimer les probabilités d'un large éventail de scénarios optimistes et pessimistes. Nos experts utilisaient déjà des ordinateurs à cette époque afin d’améliorer la précision de leurs anticipations. A l'aide d'un logiciel spécial, des simulations de rendement pouvaient être réalisées et évaluées par rapport à un indice obligataire passif. Une liste de titres de créance classés par ordre d'attractivité a été créée. L'étape suivante consistait à définir des portefeuilles cibles correspondant à des échéances, des risques de crédit et des rendements spécifiques. Cela permettait de se conformer au mieux aux objectifs d'investissement et aux besoins individuels des clients.

Les experts de T. Rowe Price utilisaient déjà des ordinateurs à cette époque pour améliorer la précision de leurs prévisions.
Source: Pixabay

 

A cette époque, l'approche structurée, disciplinée et informatisée avait certainement une valeur de rareté. De plus, l'évaluation du gestionnaire de portefeuille a continué à jouer un rôle décisif chez nous. C'est précisément là que réside notre véritable avantage par rapport à nos concurrents. La compréhension des objectifs d'investissement et de la propension au risque des clients est et reste la base de la gestion de portefeuille. Afin de rester toujours au fait des dernières évolutions, nous avons misé dès le départ sur des collaborateurs expérimentés et avons investi en permanence dans leur formation continue.

D'une somme marginale à 3,2 milliards de dollars

En 1971, l'un des deux employés du département des titres à revenu fixe était George Collins, un ancien nageur de classe mondiale et ancien militaire. Lors de son lancement, son service représentait moins de 5% des actifs gérés par T. Rowe Price, par rapport à la part dominante investie en actions. George Collins plaisantait en disant certains jours que la décision la plus difficile à prendre était de savoir s'il fallait jouer deux ou trois parties de basket après le déjeuner. Cependant, il a joué un rôle déterminant dans la croissance des activités de T. Rowe Price dans le domaine des titres à revenu fixe.

George Collins, l’un des deux employés à l’origine de l’obligataire, devenu responsable du département

Source: T. Rowe Price

 

La première opération majeure a eu lieu en 1972, lorsque Northwestern Bell est devenu client. Il s'agissait d'un contrat de 25 millions de dollars, ce qui était énorme pour l'époque. En 1973, T. Rowe Price lance son premier fonds obligataire et acquiert un client au Moyen-Orient. Au cours de cette période, dix employés gèrent des obligations à moyen et long terme ainsi que des obligations du marché monétaire pour une valeur totale de plus de 1,5 milliard de dollars américains. Il s'agissait à la fois de portefeuilles à revenu fixe purs et de mandats mixtes. Les clients étaient à la fois de grandes entreprises du Fortune 100, ainsi que des entreprises de taille moyenne, de grandes universités et des fonds de placement.

En 1976, l'équipe lance un fonds monétaire à haut rendement qui surperforme les rendements de ses concurrents et devient un best-seller, même face à une dynamique d'inflation croissante. En 1982, les actifs gérés dans ce seul fonds ont atteint 3,2 milliards de dollars, une somme incroyable pour l'époque.

Contrairement à ses pairs, George Collins n'a pas été tenté par les taux d'intérêt élevés (10-12% en 1979) pour prendre des paris à grande échelle sur les obligations à long terme. Ce fut une décision judicieuse. Lorsque les taux d'intérêt ont brièvement grimpé à 20%, les gestionnaires qui s'étaient engagés trop tôt se sont retrouvés sur la sellette. L'une des particularités dont George Collins s'est servi à plusieurs reprises est sa surveillance étroite de la banque centrale. Il avait engagé deux économistes spécialement à cette fin. Cette «surveillance de la Fed» n'était pas encore une pratique courante à l'époque.

En bref, les années 1970 et le début des années 1980 ont été une période tumultueuse pour les gestionnaires obligataires. Ce qui s'est avéré difficile pour d'autres a été un baptême du feu pour T. Rowe Price. Sous la direction de George Collins, T. Rowe Price a su surmonter cette épreuve.  

Lors du prochain épisode, vous découvrirez…

A la fin des années 1970, les marchés obligataires se développent des deux côtés de l'Atlantique. Les taux d'intérêt sont tout simplement trop élevés pour être ignorés. Les banques centrales ont compris que des taux plus élevés étaient nécessaires pour lutter contre l'inflation.

En août 1979, le légendaire Paul Volcker est finalement nommé à la tête de la Réserve fédérale américaine. Il s'est appuyé sur une politique monétaire extrêmement restrictive pour mettre fin à l'inflation. Il y est parvenu, mais au prix fort. Dans le second épisode de notre série, vous découvrirez les conséquences de cette politique monétaire et l'évolution du secteur des titres à revenu fixe chez T. Rowe Price dans les années 1980.