«Un mal qui répand la terreur»… économique

Valérie Plagnol, Vision & Perspectives

2 minutes de lecture

L’épidémie de coronavirus venue de Chine fera-t-elle basculer l’économie mondiale dans la récession?

L’épidémie 2019nCov, passée au rang d’urgence sanitaire internationale, compte désormais plus de victimes décédées que le SRAS en 2002-2003, bien qu’à ce stade, le taux de mortalité s’avère plus faible qu’alors (2% contre 10%). Les autorités chinoises ont décidé de prolonger les «fêtes du Nouvel An» jusqu’au 9 février prochain, afin de limiter les déplacements vers et dans les centres urbains. Les fermetures de frontières et les restrictions de déplacements se multiplient. Dernière en date, et probablement la plus symbolique, Hong Kong, où les autorités ont été pressées de fermer l’accès au territoire par le corps médical. A l’ouverture le 3 février, les marchés enregistraient la baisse la plus forte depuis 2015; la devise a franchi à la baisse le seuil de 7 yuans pour un dollar et les prix du pétrole ont continué de reculer. De son côté, le Fonds Monétaire International a lancé un avertissement sur l’économie mondiale, du fait du poids de la Chine, près de 5 fois plus important aujourd’hui qu’il y a 20 ans.

Bien entendu il est encore trop tôt pour évaluer les conséquences humaines et économiques du coronavirus, car celles-ci dépendront de l’ampleur, de la sévérité et de la durée de la crise, sachant que le pic de la pandémie n’est pas encore atteint.

La Chine devrait probablement revoir à la baisse ses objectifs
de croissance, et l’inscrire sous le seuil symbolique des 6%.

L’épidémie touche au cœur un corps déjà affaibli sinon malade. Depuis plus d’un an, la Chine est confrontée à une récession industrielle majeure, et tente de dégonfler une crise de surendettement. A ces maux, se sont ajoutés une pandémie de grippe porcine, la révolte de Hong Kong – désormais en récession – des élections hostiles à Taiwan et l’humiliante «phase 1» de l’accord commercial avec les Etats-Unis, que le Président chinois n’a pas voulu signer en personne. La pandémie accroît certainement cette défiance croissante à l’encontre de la Chine et de son gouvernement. Dans le pays même, les critiques à l’encontre des autorités passent la barrière de la censure sur les réseaux sociaux. A l’inverse, peut-on durablement mettre une ville de 11 millions d’habitants en quarantaine et même confiner une province  toute entière sans encourir des mouvements de révolte? L’épidémie devient le prétexte à un contrôle accru de la population.

La Chine devrait probablement revoir à la baisse ses objectifs de croissance, et l’inscrire sous le seuil symbolique des 6%. Mais cela suffira-t-il à crédibiliser des statistiques par trop manipulées? De l’autre côté du Pacifique, le Président Trump a trouvé le parfait bouc émissaire au ralentissement déjà marqué de l’activité et de l’investissement des Etats-Unis. Risque-t-il de perdre un électorat encore majoritairement enclin à croire que l’Amérique se porte au mieux? L’Europe restera-t-elle empêtrée dans ses divergences nationales? Les pays producteurs d’énergie et de matières premières seront à nouveau sous le coup de la baisse de la demande et des prix. Sur le plan conjoncturel, cette épidémie ne fait qu’accentuer la tendance générale au ralentissement déjà en cours de l’économie. Le point bas devait être atteint au premier semestre de 2020. Mais si la crise devait s’étendre et durer au-delà de l’été, l’espoir d’un rebond s’évanouirait. Ce scenario ferait ressurgir les craintes de pénuries, de faillites en cascades et d’un gonflement supplémentaire des dettes privées et publiques.

Les marchés continuent de faire confiance
aux Banques Centrales qui certes veillent au grain.

A plus long terme, la situation soulève d’autres interrogations. Le monde globalisé va-t-il se refermer? Le traitement de la crise a révélé si besoin était le degré d’intégration du monde, dont le revers serait pour certains le franchissement plus fréquent de la barrière des espèces. Après la «guerre commerciale», l’épidémie pourrait contribuer à accélérer les délocalisations hors de Chine et les recompositions des chaînes de valeur. Mais au profit de qui? Les pays de la zone Asie Pacifique? Peut-on imaginer une «ré-industrialisation» en masse aux Etats-Unis et en Europe? Celle-ci sera-t-elle le signe d’une montée en gamme ou au contraire celui d’un repli protectionniste générateur  de hausses des coûts de production? L’Administration Trump semble bien prête à mettre en œuvre de nouvelles barrières douanières en ciblant les produits venus de pays dont les devises seraient accusées d’être sous-évaluées.

Pour le moment, les marchés semblent pencher pour une crise maîtrisée et circonscrite à la Chine, une baisse temporaire des productions et des stocks, suivie d’un rebond et de la poursuite de la transformation économique du pays, tandis que la PBOC1 injecte des liquidités et baisse son taux directeur. Plus encore, les marchés continuent de faire confiance aux Banques Centrales qui certes veillent au grain, mais s’inquiètent de plus en plus de l’efficacité et de l’impact de leurs «remèdes».

Comme dans la fable2, «ils n’en mourraient pas tous mais tous étaient atteints», ce nouveau coronavirus accentue les difficultés de la Chine à transformer son modèle économique, tandis que le reste du monde devra s’adapter à cette nouvelle donne.

 

1 PBOC, People’s Bank of China, banque centrale de Chine.
2 «Les animaux malades de la peste» Jean de la Fontaine.

A lire aussi...