Données à transmettre dans l’affaire UBS: conséquences en France

Jean-Luc Bochatay & Alain Moreau, FBT Avocats

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Quelles conséquences pour des milliers de contribuables français suite à la décision récente du Tribunal fédéral autorisant la transmission des données?

Jean-Luc Bochatay et Alain Moreau.

Le 11 mai 2016, la Direction Générale des Finances Publiques (DGFP) avait adressé à l’Administration fédérale des contributions (AFC) une demande d’assistance administrative en matière fiscale concernant environ 40'000 comptes bancaires auprès d’UBS dont les titulaires ou ayant droit économiques (ADE) étaient vraisemblablement domiciliés en France.

La spécificité de cette demande résultait tout à la fois de son caractère «collectif» hors norme et de ce que la DGFP ignorait l’identité des contribuables visés.

UBS s’était opposée à cette demande en invoquant en particulier qu’il s’agissait d’une pêche au renseignements prohibée («fishing expedition») et que le fisc français ne s’était pas engagé à respecter le principe de spécialité, selon lequel les données transmises ne pourraient être utilisées dans la procédure pénale ouverte contre la banque en France.

UBS a recouru contre les décisions de l’AFC
auprès du Tribunal administratif fédéral (TAF) qui lui a donné raison.

L’AFC était d’un avis contraire et a rendu, le 9 février 2018, des décisions finales accordant l’assistance administrative dans 8 dossiers (au nombre des 40'000 comptes susmentionnés).

UBS a recouru contre ces décisions auprès du Tribunal administratif fédéral (TAF) qui lui a donné raison; l’AFC a formé recours contre le jugement du TAF; finalement, le 26 juillet dernier, le Tribunal fédéral (TF) a confirmé le bienfondé des décisions finales rendues par l’AFC.

Les informations qui seront communiquées par l’AFC se limitent à l’identité, la date de naissance et l’adresse du titulaire du compte et/ou de l’ayant droit économique, ainsi qu’au solde du compte au 1er janvier des années 2010 à 2015. 

Pour pouvoir transmettre les données à la DGFP, l’AFC doit nécessairement rendre une décision finale spécifique (ce qu’elle n’a pas encore fait pour l’immense majorité des 40'000 comptes précités) ou obtenir de la personne concernée son consentement écrit à la transmission des renseignements en France.

Toute décision de l’AFC doit être notifiée à la personne concernée, soit auprès d’un représentant en Suisse, si le contribuable français en a désigné un, soit par voie postale à l’adresse française connue de la personne concernée ou, à défaut, par publication officielle dans la Feuille fédérale.

La décision finale de l’AFC sera susceptible de recours (avec effet suspensif) auprès du TAF, dans un délai de 30 jours.

La situation est totalement inédite
pour les Services centraux de l’administration fiscale.

Certes, le TF a tranché deux questions de principe, nécessaires à permettre la transmission des données au fisc français; cela étant, chacune des décisions finales que rendra l’AFC concernera un cas particulier pour lequel des motifs d’opposition à la communication des informations vers la France ne peuvent être exclus d’emblée.

Que faut-il anticiper du point de vue français? Au vu du nombre de contribuables visés, la situation est totalement inédite pour les Services centraux de l’administration fiscale. A titre de comparaison, l’affaire HSBC ne concernait que 3000 contribuables. 

Il apparaît vraisemblable que l’administration fiscale sera contrainte de faire procéder à un traitement manuel et individualisé des données reçues. Quoi qu’il en soit, après une première analyse des dossiers, les Services centraux adresseront aux contribuables concernés un courrier type d’invitation à régulariser leur situation. En cas de non réponse, une mise en demeure leur sera envoyée.

Les données appelées à être transmises portent sur les années 2010 à 2015. L’administration fiscale étendra vraisemblablement les années soumises à redressement aux années 2016 à 2018. Le champ des impositions restera celui inhérent à toute procédure de «régularisation», à savoir l’impôt sur les revenus générés par le compte, l’impôt sur la fortune jusqu’au 1er janvier 2017, mais également, le cas échéant, les droits de donation ou de succession. Quant aux pénalités, il ne faut pas s’attendre à des atténuations: les pénalités de 40% seront donc la règle! Comme les amendes pour défaut de déclaration de compte à l’étranger, réduites aujourd’hui à 1500 euros sur les quatre dernières années (mais 20’000 euros en cas d’interposition de trust).

Les dossiers donnant lieu à des rappels d’impôts
supérieurs à 100’000 euros pourront entraîner d’éventuelles suites pénales.

L’origine des avoirs va devenir une question centrale. En effet, en présence de comptes étrangers non déclarés, l’administration peut taxer tout crédit non justifié comme s’il s’agissait d’une donation octroyée par un tiers et donc taxable au taux de 60%. Dans le cadre des futures procédures contentieuses, l’administration ne manquera pas d’user de cette prérogative, en pratique difficilement contestable, à défaut de preuves matérielles tangibles sur l’origine des fonds.

Par ailleurs, les dossiers donnant lieu à des rappels d’impôts supérieurs à 100’000 euros pourront entraîner d’éventuelles suites pénales; et cela sans violation du principe de spécialité susmentionné. Compte tenu des enjeux financiers et de réputation qu’entraîne une procédure pénale, toutes les mesures possibles doivent être mises en œuvre pour l’éviter.

Seule une régularisation «spontanée», c’est-à-dire avant toute intervention personnalisée de l’administration, permet encore d’atteindre cet objectif (en pratique, avant la réception du courrier type précité). En effet, le législateur a opportunément prévu une exception à la transmission du dossier fiscal au procureur en cas de régularisation spontanée de la situation fiscale d’un contribuable par le dépôt de déclarations fiscales rectificatives. Cette régularisation prend la forme du dépôt d’un dossier fiscal complet, accompagné de la documentation bancaire nécessaire au calcul des impositions.

Au surplus, l’expérience nous montre qu’en cas de régularisation spontanée, la question de l’origine des fonds, si elle reste posée, ne constitue pas (à ce jour) un motif de taxation à 60% des crédits non justifiés. Gageons que cette pratique restera celle de l’administration dans les mois à venir.

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