Retour des rendements négatifs sur les TIPS long

Eric Vanraes, Banque Eric Sturdza

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Chronique des taux de la banque Eric Sturdza.

© Keystone
Taux longs US: «U-shape» à l’envers

Au cours de la semaine dernière, nous avons assisté à une tentative des taux longs de repartir à la hausse mais ce fut un coup d’épée dans l’eau, malgré des signaux techniques inquiétants. Le 10 ans US est revenu proche de son niveau d’équilibre de 0,75% et a même débuté la semaine hier matin sous les 0,70%. Le comportement plus remarquable dans ce contexte est sans doute celui des TIPS longs: après une incursion en territoire positif au cours de la semaine dernière (les 16 et 17 juin avec un plus haut à +0,04% le 17), ils sont repassés en rendement négatif pour retourner à -0,10% hier matin. Ce n’est pas la première fois que le 30 ans indexé inflation repasse au-dessus de 0%. Les 5 et 8 juin derniers, il s’était aventuré au-dessus de +0,10% avec un pic le 5 juin à +0,16%. Avec un rendement réel de -0,10% aujourd’hui, l’emprunt de référence TIPS 2050 a donc vu son cours bondir de 102-15 à 110-24. Ces mouvements récents nous confortent dans notre analyse: la duration pure en Treasuries est encore utile et à l’intérieur de cette classe d’actifs, un panachage taux nominaux / taux réels est toujours d’actualité. Au cours de la semaine dernière, nous avons simplement augmenté notre exposition en Italie 2029 en dollars. Offrant un rendement de 3% tandis que son alter-ego en euros s’affiche à 1,35% (soit environ 2,15% une fois hedgé en dollar), c’est sans doute une belle opportunité.

Si le risque devient gratuit,
pourquoi ne pas en prendre à l’infini?
Théoriquement, spread = risque

C’est ce qui est écrit dans tous les bons manuels universitaires. On nous aurait menti? Les programmes de plus en plus agressifs des banques centrales en faveur des crédits rendent la lecture du risque complètement biaisée. Nous l’avions déjà expérimenté à l’occasion du premier QE de la BCE lorsque le spread de Renault SA (constructeur automobile noté BB+ à l’époque) était passé bien en-dessous de celui de RCI Banque, sa filiale bancaire notée BBB et beaucoup plus sûre. Le premier jouissait simplement du privilège de figurer sur la liste de Mario Draghi. Le marché fourmille d’exemples de ce type aujourd’hui et le fait de se retrouver sur la liste des emprunts éligibles est un gage de liquidité (c’est vrai), de plus-value à court-moyen terme (un peu moins vrai) et de relativement bonne qualité (c’est totalement faux). Aujourd’hui, si vous êtes CFO d’une grande société émettant des emprunts corporates, votre crainte n’est plus de passer de A- à BBB+ mais de ne pas être estampillé CSPP / PEPP à la BCE ou SMCCF à la Fed! Notre opinion est simple: non, on ne nous a pas menti. Le spread est toujours fonction du risque encouru mais les banques centrales ont fixé le prix du risque à zéro. Par conséquent, les dés sont pipés mais la théorie n’est pas bousculée. Si le risque devient gratuit, pourquoi ne pas en prendre à l’infini?

Emergents: le bon moment?

Cela nous démange depuis plusieurs semaines: nous sommes de plus en plus attirés par les crédits Investment Grade originaires de pays émergents. Ils ont plus souffert que leurs homologues européens et américains, ils se sont redressés depuis fin mars mais pas de manière spectaculaire et ils n’ont pas la chance de figurer sur les listes d’achats de la Fed et de la BCE. Nous pensions jusqu’à maintenant qu’une telle stratégie était prématurée et qu’il fallait sans doute l’envisager pour la rentrée de septembre. Aujourd’hui, en Europe et aux Etats-Unis, les marchés de crédits sont au milieu du gué: si les marchés actions entament une correction, les spreads vont s’écarter (un peu tout de même malgré les banques centrales) et nous pourrons revenir dessus, sur les hybrides en priorité. Mais si les marchés à risque poursuivent leur marche en avant en mode «V-shape recovery», les spreads classiques resteront très/trop chers et revenir sur les émergents de grande qualité sera une option à envisager bien avant septembre. Nous estimons toujours qu’une telle démarche est prématurée mais en cas de poursuite du rally actions/crédits nous pourrions envisager un retour sur ce marché dès le début du mois de juillet. Seul bémol (et de taille!): avec Pascal Perrone, nous tenons depuis de nombreuses années une liste de crédits émergents Investment Grade que nous connaissons très bien et dans laquelle il suffirait de piocher quelques noms pour construire un portefeuille dans cette classe d’actifs. Jusqu’à 2019, nous ne tenions absolument pas compte de critères ESG pour établir cette liste. Désormais, nous utilisons des critères très contraignants et de facto notre fameuse liste s’est réduite drastiquement. Il s’agit peut-être d’une raison supplémentaire pour anticiper le mouvement car des émetteurs émergents de qualité et ESG-compatibles ne sont pas si nombreux et il n’y en aura pas pour tout le monde!

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