Plaidoyer (inutile) pour un Brexit en trois étapes

Eric Vanraes, Banque Eric Sturdza

2 minutes de lecture

Chronique des taux de la banque Eric Sturdza.

©Keystone
Inversion de la courbe US et récession

Après les réunions de la BCE puis de la Fed, la semaine dernière a été plutôt calme. En Europe, les fuites sur les modalités du TLTRO 3 qui, finalement, risquent de ressembler comme deux gouttes d’eau à ses prédécesseurs, ont marqué l’actualité du milieu de semaine. La courbe US a poursuivi son inversion et le Bund a flirté avec -0,10%. C’est l’occasion de faire le point sur tout ce que l’on lit à propos de l’inversion de la courbe US. Une courbe inversée des Treasuries débouche-t-elle nécessairement sur une récession? Les avis sont partagés et certains experts affirment que – récession ou pas – les marchés actions performent en moyenne d’environ 15% un an après l’inversion. En fait, tout le monde a raison et tort en même temps. Le sujet doit être, selon nous, abordé en tenant compte de deux thèmes incontournables. 

La clé du succès est de réussir à appréhender
le comportement des marchés dans cet environnement.

Tout d’abord, qu’entend-on par récession? Nous connaissons tous par cœur la définition économique du phénomène mais, justement, économistes et intervenants de marché ne sont pas toujours sur la même longueur d’onde. En tant que gérants d’actifs, ce qui nous intéresse, c’est la performance. Dans notre cas, lorsque nous mentionnons le terme de récession, c’est un peu un abus de langage, un raccourci pour exprimer le sentiment que les marchés vont craindre une récession et évoluer comme si elle allait arriver. In fine, peu importe que la récession ait lieu ou pas, ce qui compte, c’est que nos stratégies soient gagnantes pour nos clients. 

Le deuxième thème (une de nos marottes) concerne les comparaisons historiques. Nous affirmons que désormais toute comparaison historique - et c’est valable quel que soit les sujet – est potentiellement dangereuse car, depuis la dernière crise, le monde n’est plus du tout le même. Les banques centrales ont adopté des politiques monétaires non-conventionnelles pour éviter le chaos et par conséquent, il est risqué et présomptueux d’appliquer à la première inversion de courbe post-Quantitative Easing les recettes du passé. Nous préférons le pragmatisme, étant donné que nous avançons en terre inconnue. Une chose est sûre tout de même: étant donné la violence et la rapidité des changements de cap de la Fed et de la BCE, le risque de récession est sans doute significatif. La clé du succès est de réussir à appréhender le comportement des marchés dans cet environnement. Sacré challenge! 

Un Brexit «Rocardien»

Ente colère et lassitude, le feuilleton Brexit n’en finit plus et le pire est envisagé. Selon nous, une stratégie aurait pu être tentée en s’inspirant de la philosophie de l’ancien Premier ministre français Michel Rocard. Ce dernier avait dû gérer le dossier épineux de la Nouvelle-Calédonie et son idée-phare était que le sujet de l’indépendance de ce territoire était trop sérieux pour être joué sur un seul référendum, un peu comme sur un coup de dés.  En adaptant très librement ce concept, Theresa May aurait pu proposer à son peuple un processus mêlant le respect du verdict des urnes en 2016 tout en tenant compte des conditions particulières dans lesquelles le vote a eu lieu. 

On pourrait avancer l’argument que les Britanniques
revoteraient tous les trois ans.

S’il s’avère impossible de remettre en cause le référendum de juin 2016, on pourrait avancer l’argument que tous les trois ans (par exemple) les Britanniques revoteraient et le Brexit serait validé si et seulement si le oui l’emportait trois fois de suite, par exemple en juin 2016, juin 2019 et juin 2022. Les règles du jeu étant modifiées, il aurait fallu organiser très rapidement un référendum sur ce concept de Brexit en trois étapes. Une fois approuvée cette idée, le Royaume-Uni serait donc resté dans l’Union Européenne jusqu’en juin 2022 minimum, le temps de se préparer en prenant son temps et en toute connaissance de cause d’ici-là. 

Du côté de l’UE, les Français auraient été bien embarrassés de critiquer une idée inspirée par l’un des leurs (surtout leur Premier ministre actuel, Rocardien de la première heure) et les autres membres, moins jusqu’au-boutistes et anti-Anglais, auraient pu accueillir favorablement cette tentative de sortie de crise. Ne rêvons pas, il est trop tard pour soulever la table à la dernière minute et désormais, le Parlement britannique a une responsabilité historique pour trouver une solution qui évite le pire. En termes de marchés, il est trop risqué de parier sur tel ou tel scénario. En revanche, nous avons tous bien compris que les experts qui affirmaient que les conséquences pour l’UE seraient minimes se sont trompés. Bien entendu, le coût pour les continentaux (Allemagne et France en tête) sera sans commune mesure avec celui qui frappera le Royaume-Uni. Mais dans l’environnement économique actuel, tel que décrit par Mario Draghi il y a deux semaines, on se serait volontiers passés d’un tel fardeau supplémentaire.     

A lire aussi...