Les marchés de taux défient la Fed et les chiffres de l’emploi

Eric Vanraes, Banque Eric Sturdza

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Chronique des taux de la banque Eric Sturdza.

©Keystone
Le 30 ans et le 10 ans sous 2,9% et 2,5%

Que se passe-t-il? Le début de semaine dernière était tendu, les marchés actions montaient, la Fed était attendue au tournant mercredi soir et les chiffres de l’emploi vendredi ne nous garantissaient pas une fin de semaine tranquille. Nous nous attendions à beaucoup de scénarios mais celui que nous a joué le marché obligataire était difficile à imaginer. Tout d’abord, la Fed nous a dit qu’il était urgent de ne pas monter les taux à cause du faible niveau d’inflation mais également urgent de ne pas les baisser car les statistiques économiques étaient toujours vigoureuses. Bref, urgent de ne rien faire mais du coup, la perspective d’une baisse de taux en fin d’année s’évanouissait. 

En outre, comme le faible niveau d’inflation était jugé temporaire par Monsieur Powell, il n’était pas interdit de songer de nouveau à une petite hausse des Fed funds au cours du quatrième trimestre. A une époque, cela aurait suffi pour déclencher une correction significative sur le marché obligataire mais curieusement, les taux longs n’ont pratiquement pas bougé, laissant la partie courte se tendre légèrement. Ce mouvement d’aplatissement est finalement significatif. Jusqu’à 5 ans, les taux ont évolué en fonction des anticipations de modification des taux directeurs et au-delà, sur les anticipations d’inflation à long terme. 

Les marchés mettent sérieusement en doute la conviction de la Fed
concernant la nature temporaire de la faible inflation.

Visiblement, les marchés mettent sérieusement en doute la conviction de la Fed concernant la nature temporaire de la faible inflation et penchent plutôt pour un scénario au cours duquel nous resterions structurellement en-dessous du niveau de 2%. Mercredi soir, nous pouvions tenter de justifier un tel comportement: certains marchés étaient fermés, le 1er mai étant férié dans de nombreuses régions du globe, et des investisseurs attendaient peut-être les chiffres de l’emploi vendredi pour se positionner. Mais vendredi après-midi, le doute n’était plus permis: quelque chose d’étrange se passait. 263'000 créations d’emplois, un taux de chômage à 3,6%, au plus bas depuis 50 ans, une inflation salariale à 3,2%... Tout était en place pour un mini-krach obligataire. Résultat: le 30 ans est passé de 2,94% à 2,92%, le 10 ans de 2,56% à 2,53%, le 5 ans de 2,36% à 2,33% et le 2 ans de 2,35% à 2,33%. Pendant ce temps, le S&P 500 passait de 2'930 à 2'945! 

La semaine qui s’annonce risque d’être un peu plus calme, sauf si le Président Trump continue d’utiliser Twitter pour menacer la Chine au beau milieu du processus de négociation sur le commerce. Ce dernier ne semble pas aller assez rapidement à son goût et vendredi prochain, 200 milliards de biens seront taxés à 25% au lieu de 10%. Hier, les taux poursuivaient donc leur détente de vendredi, les taux baissant d’environ 3 à 4 points de base tandis que les marchés actions tentaient de limiter leur baisse. 

Les marchés obligataires sont toujours positionnés
en faveur d’une baisse de taux de la Fed.

Les marchés obligataires n’ont donc visiblement pas envie d’écouter les discours pro-croissance et pro-inflation. Ils sont toujours positionnés en faveur d’une baisse de taux de la Fed. Les plus taquins pourraient leur répondre que la Fed a déjà baissé son taux la semaine dernière, passant l’IOER de 2,4% à 2,35%. En fait, il s’agissait d’un ajustement technique afin de s’assurer que le taux Fed funds se maintiendra bien au milieu de sa fourchette, malgré les pressions haussières dues à l’accroissement des financements des FHLB (Federal Home Loan Banks). Il n’y a donc absolument aucun enseignement à tirer de cette décision purement technique.  

Quelques signes d’amélioration en Europe

La semaine dernière a été extrêmement riche en statistiques économiques. La croissance, stable en zone euro à 1,2%, est passée de 1% à 1,1% en France, de 2,3% à 2,4% en Espagne et de 0% à 0,1% en Italie qui fête donc sa sortie de récession. Le taux de chômage est passé de 7,8% à 7,7% en zone euro, stable à 4,9% en Allemagne, passant de 10,5% à 10,2% en Italie. Enfin, l’inflation décolle tout doucement, passant à 1,7% en zone euro (mais taux core de 0,8% à 1,2%), de 1,3% à 2% en Allemagne, de 1,3% à 1,6% en Espagne et de 1,3% à 1,4% en France. De nombreux autres indices ont été publiés mais ces principaux chiffres nous montrent qu’une légère amélioration sur les trois fronts que sont croissance, chômage et inflation est à constater. Voilà de quoi rassurer Mario Draghi mais également les chefs d’états et de gouvernements qui redoutent le verdict des urnes dans trois semaines à l’occasion des élections européennes. 

Le Bund a préféré évoluer dans le sillage de son homologue américain.

Sur les marchés de taux, il ne s’est pas passé grand-chose car malgré ces relatives bonnes nouvelles macroéconomiques, le Bund a préféré évoluer dans le sillage de son homologue américain. Sur le vieux continent, les taux n’ont visiblement pas envie de monter non plus. Le message est puissant mais pour l’instant les marchés actions font la sourde oreille. Les semaines à venir risquent d’être passionnantes et d’ici quatre semaines, nous saurons s’il faut ranger l’année 2019 dans la catégorie «sell in May and go away»!

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