La Fed, reine de l’ambiguïté

Eric Vanraes, Banque Eric Sturdza

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Chronique des taux de la banque Eric Sturdza.

Jerome Powell, président de la Réserve fédérale américaine. ©Keystone
Une patience réaffirmée

Les minutes du dernier FOMC du 29-30 janvier étaient attendues avec un grand intérêt de la part des investisseurs. Elles ont laissé entrevoir un ton légèrement plus dovish qu’attendu. Certes, les banquiers centraux de Washington confirment qu’ils vont faire preuve de patience et qu’ils vont laisser s’opérer les effets des hausses de taux précédentes. Mais ils rejettent sur l’environnement extérieur les causes de cette patience en les nommant: Brexit, ralentissement en Chine et en Europe. Il n’est pas fait mention d’un quelconque doute sur l’effritement de la conjoncture US que la Fed qualifie de solide. 

En revanche, si la politique actuelle semble être «wait and see», de nombreux membres de la Fed continuent de maintenir un biais légèrement haussier en raison de leurs craintes d’un retour de pressions inflationnistes. Ils ont, semble-t-il, travaillé sur un projet censé faire l’unanimité concernant la politique de réduction de la taille du bilan (Quantitative Tightening). Mais il faudra encore patienter pour avoir accès à leurs conclusions. Et c’est précisément là que le bât blesse car les contours du QT revêtent une importance majeure pour les marchés. A raison de 50 milliards de dollars par mois de réduction, nous devrions donc terminer l’année à -600 milliards et comme le répète Jim Bianco, ce montant astronomique équivaut à deux ou trois hausses de taux. En imaginant que la Fed ne monte plus ses taux mais persiste à maintenir son QT sur ce rythme, ce sera déjà une politique trop restrictive qui précipitera les Etats-Unis en récession. 

Le vrai sujet est la diminution du QT voire son abandon.

Oublions donc nos chamailleries sur la question d’une éventuelle hausse de la Fed du 19 juin ou du 18 septembre, le vrai sujet est la diminution du QT voire son abandon. Les arguments de la Fed sont également inquiétants pour le moyen-terme puisque tous les risques de dégradation de la conjoncture sont extérieurs aux Etats-Unis et que l’inflation inquiète : tous les ingrédients sont réunis pour que soit commise une faute de politique monétaire menant inexorablement à une récession. Les taux US sont légèrement remontés et des points d’entrée sur la partie 10-30 ans sont apparus. 

Un tel aveuglement de la part de la Réserve Fédérale nous conduit à réaffirmer que la courbe s’inversera et que la partie longue offre plus de protection que la partie courte. Cette dernière va prendre en compte le retour d’une probabilité de hausse de taux plus tard dans l’année (il y a 3 semaines le consensus prévoyait une baisse de taux) alors que la partie longue va intégrer le risque de récession grandissant. Un bémol tout de même: nos convictions sont fortes mais il faut rester humble et prêter attention aux arguments des investisseurs qui estiment que les taux longs devraient corriger à cause des twin deficits. C’est un argument recevable et c’est pour cela qu’il faut rester mobile et pragmatique mais devant la peur d’une récession, les taux longs devraient tout de même réagir fortement à la baisse.

Brexit et Trump-Xi donnent du temps au temps

Du côté de la conjoncture internationale (puisque c’est ce qui inquiète Powell et consorts), il semble que la patience soit également de mise. Devant l’impossibilité de trouver une solution digne, l’Union européenne et les Britanniques pourraient repousser la date-butoir du Brexit. De rumeur en fin de semaine dernière, nous sommes passés au stade de la nouvelle puisqu’une telle éventualité a été confirmée hier après-midi par Donald Tusk lui-même. Il semblerait que les Européens, Madame Merkel en tête, regrettent d’avoir confié le leadership de la négociation aux Français. Ces derniers sont sur une ligne dure, un peu trop «anti-Anglais» au goût de Bruxelles et des dirigeants un peu plus conciliants comme les Allemands ou les Néerlandais. Se donner un peu de répit avec le calendrier permettrait également aux continentaux de rectifier le tir si besoin. 

Les obligations sont loin d’entamer une correction.

En ce qui concerne la négociation entre Américains et Chinois sur les droits de douane, Donald Trump semble satisfait de l’avancée des discussions (il mentionne des «progrès significatifs»). Dans ce contexte, il a décidé de reporter une hausse des droits de douane affectant 200 milliards de dollars d’exportations chinoises qui aurait dû prendre effet le 1er mars. 

Ainsi, du côté Brexit et guerre commerciale, nous avons droit à un peu de répit qui favorise les marchés actions au détriment des obligations. Mais ces dernières sont loin d’entamer une correction et le Bund stagne toujours juste au-dessus de 0,1%... La vedette de la séance d’hier en Europe était Italienne: Fitch a confirmé la notation BBB de la dette souveraine transalpine et le taux du BTP s’est détendu. Les spreads et les cours de bourse des banques italiennes ont également profité de la bonne nouvelle. L’Italie reste fermement ancrée dans l’univers Investment Grade et dans le contexte actuel plutôt morose dans la zone euro, il faut se contenter de bonnes nouvelles de ce genre.

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