Dans «bear flattening» il y a «bear»

Eric Vanraes, Banque Eric Sturdza

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Chronique des taux de la banque Eric Sturdza.

©Keystone
Inversion 5-30, c’est fait!  

Nous nous en doutions tous dès le lendemain du dernier FOMC, l’inversion du 5-30 ans était inéluctable. La majorité des observateurs voue une prédilection pour le 2-10 ans mais au sein de la la communauté des gérants obligataires, c’est bien le 5-30 qui fait figure de benchmark. Cela signifie que la Fed frappe très fort, peut-être trop fort, et que nous nous attendons à une récession dès 2023. Pour l’instant, entraînés par les dit plots de la Fed, les taux courts montent à une vitesse vertigineuse qui affecte également les taux longs dans un sell-off généralisé. La remontée des taux longs est beaucoup moins spectaculaire que celle des taux courts (sinon, il n’y aurait pas d’inversion!) mais elle est tout de même douloureuse.

A court terme, nous ne pouvons pas exclure une poussée du 10-30 ans vers 2,90%-3%.

Nous avions, il y a quelques semaines, expliqué que dans «bull steepening», il y a «bull» et maintenant, nous ajoutons qu’à l’inverse, dans «bear flattening», il y a «bear». Nous sommes toujours de grands adeptes des stratégies barbell qui privilégient le 30 ans. Mais dans un tel mouvement, il est périlleux de conserver des animaux à duration proche de 22 même si les remontées de taux sont faibles comparées à celles de la partie 2-5 ans. Nous avons donc changé notre fusil d’épaule et réduit fortement notre exposition en 30 ans à 2,50%. Comme cela ne nous semblait pas suffisant, nous avons dans le même temps augmenté notre position short en contrats futures sur le 10 ans.

Ainsi, en milieu de semaine dernière, notre duration a été réduite à un niveau jamais atteint par notre fonds, au-dessous de 3 (nous étions descendus à 3,7 en décembre 2019). Il sera temps de revenir sur les taux longs lorsque les marchés auront compris que l’étape suivante sera une véritable inversion dominée par des baisses de taux sur la partie longue. A court terme, nous ne pouvons pas exclure une poussée du 10-30 ans vers 2,90%-3%. Il sera temps de songer à réinvestir à ce moment-là.

Tactique et stratégie

Au début de la guerre en Ukraine, il y a un mois, nous estimions que la meilleure des attitudes à adopter était de faire le point sur notre stratégie à moyen-long terme (et procéder à des ajustements à la marge si besoin) mais de ne surtout pas commencer à mettre en place des tactiques à court-terme visant à profiter de l’évolution du conflit pour tenter d’en tirer un quelconque profit. Il y avait trop de risques car nous avions de grandes chances de commettre des erreurs et de détériorer les bons scores de faible volatilité de nos portefeuilles. Ce que nous avons fait en milieu de semaine dernière, à savoir diminuer fortement la duration en vendant la plupart (mais pas la totalité) de nos positions en 30 ans et en shortant du 10 ans, peut être considéré par certains comme une tactique entrant en contradiction avec ce que nous avions déclaré il y a un mois.

Les dettes seniors Investment Grade en dollars à maturité 2-3 ans sont très attrayantes depuis une dizaine de jours.

Nous ne pensons pas du tout avoir trahi cet engagement car notre conviction était de ne pas prendre des positions agressives au gré de l’évolution de la guerre en Ukraine, du «BFM Trading» en quelque sorte. La décision que nous avons prise n’a rien à voir avec l’Ukraine mais avec la Fed. Six hausses de taux à venir en 2022, un Quantitative Tightening dans les cartons (les contours seront paraît-il dévoilés lors du FOMC du 4 mai), d’autres hausses de taux prévues en 2023 ont fait exploser la courbe des taux. Et ce n’est pas terminé puisque le CPI qui sortira le 12 avril pourrait bien battre tous les records post-GFC en avoisinant 9%.

Investissement Grade en dollars, un must!

Les dettes seniors Investment Grade en dollars à maturité 2-3 ans sont très attrayantes depuis une dizaine de jours. Nous avions longuement évoqué le phénomène dans notre chronique de mardi dernier mais nous nous tenons à revenir sur ce sujet passionnant. Les spreads s’écartent violemment, les taux sous-jacents Treasuries explosent (2 ans à 2,35%, 5 ans à 2,60%) ce qui permet de constituer des portefeuilles de crédits de très bonne qualité, à maturité courte, offrant désormais du 3%-3,30%. Il n’y a pas si longtemps, le High-Yield offrait encore des rendements inférieurs! Plus généralement, nous attirons l’attention des professionnels de l’allocation d’actifs sur ce phénomène: comment un indice de crédits Investment Grade peut-il dévisser à ce point et délivrer des performances négatives depuis le début de l’année qui sont inférieures à celles des indices actions? Que faut-il en conclure? Est-ce le moment de transférer une petite partie de l’allocation equities dans une stratégie «buy and hold» 2-3 ans Investment Grade à 3% voire un peu plus? La question est posée.

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