Y a-t-il un Banquier central pour piloter la croissance?

Michel Girardin, Université de Genève

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C'est fou ce que les Banquiers centraux deviennent loquaces quand ils ne sont plus en fonction.

C’est fou ce que les Banquiers centraux deviennent loquaces quand ils ne sont plus en fonction. Exemple: «La croissance économique ne meurt pas de vieillesse. Ce sont les Banques centrales qui l’assassinent». Ainsi parlait Ben Bernanke, l’ex-Président de la Fed au début de cette année. Plus récemment, l’ex-Président de la Banque nationale suisse et son adjoint ont fait les gros titres dans la presse en tonitruant que les politiques monétaires sont devenues inopérantes et que les taux d’intérêt négatifs n’apportent rien de bien positif.

A l’heure où la Réserve fédérale et la Banque centrale européenne rebaissent les taux d’intérêt, les banquiers centraux en place sauront apprécier le parler vrai de leur ex-collègues. Sur le fond, ces derniers ont raison d’insister sur le fait que les politiques monétaires ont atteint leur limite d’efficacité et ce, pour une raison très simple : un peu partout dans le monde, nous sommes tombés dans une trappe à liquidité et les politiques monétaires ne peuvent rien pour n’en sortir.

Comment sommes-nous tombés dans cette impasse? Pour rappel, les politiques monétaires de ces 10 dernières années ont cherché à stimuler la croissance, à coup de baisses répétées des taux d’intérêt et de moult injections de liquidité. En temps normaux, la baisse des taux d’intérêt et surtout, les attentes de baisses futures de ces mêmes taux amènent les individus à réduire leur détention de liquidités et à investir dans les obligations, qu’elles émanent des Etats ou des entreprises. L’investissement ayant trouvé son financement, la croissance peut repartir.

Lorsque nous tombons dans une trappe à liquidité, les Banquiers centraux
peuvent quitter la cabine de pilotage et changer de métier.

La trappe s’ouvre lorsque les taux d’intérêt tombent trop bas, et que tout le monde s’attend à ce qu’ils remontent, ce qui est de nature à engendrer des pertes sur les investissements obligataires.  La préférence pour garder l’argent en cash plutôt qu’en obligations devient alors sans limite et toute mesure expansive de la politique monétaire n’y change rien. Plus personne ne veut financer l’investissement et la croissance reste en berne. C’est la déflation qu’a connu le Japon durant les 2 décennies qui ont suivi l’éclatement de la bulle de la fin des années 1980, une situation qui nous vaut le terme de «Japonisation» pour qualifier la menace actuelle en Europe.

Les modèles d’économie politique sont formels: lorsque nous tombons dans une trappe à liquidité, les Banquiers centraux peuvent quitter la cabine de pilotage et changer de métier. C’est au tour de l’Etat de prendre le témoin des mesures de relance. Il n’est dès lors pas étonnant de voir se multiplier les appels, que dis-je, les injonctions aux gouvernements pour qu’ils activent baisse d’impôt et/ou augmentations des dépenses publiques.

Alors, pour inciter les gouvernements à faire le pas de la stimulation budgétaire, ne voilà-t-il pas que les anciens pilotes de la BNS évoquent l’utilisation possible de la «Monnaie hélicoptère». Quand j’étais étudiant à HEC Lausanne, le professeur François Shaller s’amusait à nous faire croire que les injections de liquidité par les Banques centrales pouvaient se faire par des hélicoptères survolant les villes bourrés de liasses de billets de banque. Il serait bien surpris aujourd’hui de voir que l’argent pourrait tomber du ciel. C’est du moins ce que prônent plusieurs économistes et ex-Banquiers centraux.

Il est plus facile pour une Banque centrale d’éviter que la demande de crédit
ne devienne excessive que de chercher à la doper lorsqu’elle fait défaut.

Soumettre la Banque centrale aux financements de la politique budgétaire est une entreprise à haut risque. Il faudrait que les banquiers centraux se transforment en experts de finances publiques, pour savoir si tel ou tel projet mérite d’être financé. Assurément, certains domaines comme l’éducation, la santé ou les infrastructures ne poseraient pas trop de problèmes s’agissant du bien fondé de leur monétisation mais ... la limite en serait tout de même donnée par le nombre de projets à financer. Vous imaginez à quoi ressemblerait le bilan de la BNS si tous les cantons s’empressaient de lui demander de financer des projets d’une envergure comparable à celle de la traversée de la rade de Genève?

Avec la soumission de la politique monétaire aux besoins de l’Etat, l’indépendance des Banques centrales serait clairement menacée. Et le danger d’inflation, voir d’hyperinflation deviendrait réel. La République de Weimar en 1923, et plus récemment, l’Argentine et le Zimbabwe nous montrent clairement les gros dangers inflationnistes qui existent de monétiser la dette des Etats.

Reste que si nous en sommes aujourd’hui à un stade où les Banques centrales affichent les limites de leur compétence, c’est bien en raison de leur obstination à vouloir baisser les taux jusqu’à ce que la trappe devienne béante.

Karl Marx disait des capitalistes qu’ils creusent leur propre tombe en aliénant les travailleurs. Les Banquiers centraux creusent eux leur propre trappe, qui finit par aliéner leur indépendance.  

Assurément, il est beaucoup plus facile pour une Banque centrale d’éviter que la demande de crédit ne devienne excessive que de chercher à la doper lorsqu’elle fait défaut. Il s’agira de s’en rappeler à la prochaine surchauffe de l’économie mondiale.

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