Vers le meilleur des vieux mondes

Mark Holman, TwentyFour Asset Management

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Pour les investisseurs taux fixes, 2020 s’annonce plus difficile que l’année écoulée et les rendements devraient être plus faibles.

© Keystone

Lors de la rédaction des prévisions 2019, il aurait pu paraître téméraire de recommander des Bunds allemands dont le rendement était alors de 0,24%. Nous n’avions en effet pas anticipé le fait que leur rendement diminuerait encore pour atteindre -0,37% en décembre, en passant par un plus bas à -0,71%. Sur le plan des performances, les Bunds sont ainsi parvenus à générer +6% durant les 11 premiers mois de l’année.

A l’orée 2020, les mêmes tendances de fond sont à l’œuvre: les banques centrales sont clairement revenues en mode «assouplissement», les indicateurs économiques tendent à montrer que le cycle peut encore courir quelque temps sur sa lancée, et les risques géopolitiques qui menaçaient de faire basculer l'économie mondiale en récession semblent s’être légèrement atténués. Cela dit, ce cycle qui ne cesse de se prolonger influence les profils de risque/rendement des titres à taux fixes.

Une grande inconnue: la géopolitique

Le cash ne représente toujours pas une option viable du point de vue de l’investissement. Les limites des politiques monétaires des banques centrales ont été touchées. Les taux de défaut des entreprises devraient s’accroître, le marché se montrant plus regardant vis-à-vis des entreprises les moins bien notées. Dans les mois à venir, l’évolution de l’économie mondiale dépendra en grande partie de l’issue du conflit commercial sino-américain ainsi que de deux élections sur les marchés développés (au Royaume-Uni en décembre et aux États-Unis en novembre prochain).

Les emprunts de l’Etat espagnol sont ceux qui recèlent
le potentiel de valorisation le plus important.

Par conséquent, pour établir une prévision qui porte sur l’ensemble de l’année 2020, il est nécessaire d’émettre des hypothèses fortes en matière géopolitique, tout en sachant qu’elles pourraient ne pas se réaliser, ce qui nécessiterait donc une révision rapide des perspectives des marchés, comme cela a déjà été le cas en 2019. Sur le front du conflit commercial, l’hypothèse retenue est la suivante: les droits de douane n’augmentent pas, mais ils ne diminuent pas non plus de manière significative durant l'année. Aucun progrès n’intervenant après la «phase 1» de l’accord, le thème du conflit commercial restera d’actualité en 2020 et il influencera fortement le sentiment des investisseurs, positivement ou négativement en fonction de l’évolution des négociations.

A très brève échéance se pose la question du résultat des élections du 12 décembre en Grande-Bretagne. La victoire ira probablement aux conservateurs, mais avec une marge probablement plus mince que celle attendue par les marchés. Ainsi le Brexit pourra finalement aboutir, ce qui éliminera une part importante de l’incertitude, même si cette dernière se reportera en partie sur les négociations de l’accord bilatéral qui devra être conclu entre le Royaume-Uni et l'UE. Partant de ce scénario de base, qu'est-ce que  l’année 2020 pourrait réserver aux marchés obligataires?

Les bons du Trésor, l’actif sans risque de choix

En ce qui concerne les Etats-Unis, notre scénario de référence table sur une politique de taux inchangée en 2020. Le principal risque serait celui d’une nouvelle baisse des taux qui pourrait se concrétiser si les négociations commerciales  se détérioraient,  amenant les marchés financiers à vendre les actifs risqués.

Pour ce qui est des bons du Trésor américain, le scénario de base anticipant une stabilisation de la situation économique, leur courbe devrait rester positive et le rendement du dix ans devrait baisser légèrement pour revenir à 1,70% en fin d’année. L'inflation n’étant pas une menace, les bons du Trésor continueront d'être recherchés en tant qu'actif sans risque négativement corrélé. Cela signifie que les rendements ne devraient pas réserver de surprise et rester au-dessous de 2%.

Centre et périphérie convergent

Les Bunds, après nous avoir surpris en 2019, devraient à nouveau afficher des performances positives l’année prochaine. Cette progression devrait cependant rester modeste et leurs rendements pourraient retomber à -0,40% à la fin de l’année prochaine. Les écarts de rendement entre les emprunts d’Etat des pays du centre et ceux de la périphérie devraient rester sur leur tendance  à la convergence. Les emprunts de l’Etat espagnol sont ceux qui recèlent le potentiel de valorisation le plus important. Sauf surprise politique majeure, leurs spreads devraient continuer à se rapprocher de ceux des emprunts allemands.

Le segment des emprunts bancaires recèle
toujours de nombreuses opportunités.
Stabilité sur le marché du crédit

Pour ce qui concerne le crédit, les rendements devraient s’écarter durant l’année, mais l’ampleur de ce mouvement restera limitée. Seul un choc, tel que l’échec total des négociations commerciales sino-américaines, pourrait déclencher un écartement des rendements important. Sur le plan des notations, les écarts de rendement entre les différentes qualités de crédit devraient s’accroître durant l’année. En 2019 déjà, les notations CCC, très cycliques, ont sous-performé et, en 2020, l’aversion aux entreprises notées B et CCC devrait se maintenir.

D'un point de vue géographique, le crédit en livres sterling devrait offrir  les performances les plus intéressantes, à mesure que la prime Brexit disparaîtra. Le crédit en dollars américains arrive en deuxième position, juste devant le crédit en euros. Les notations BBB et BB devraient être les plus attrayantes, car elles offrent un certain surcroît de rendement sans le risque de défaut supplémentaire associé aux notations inférieures.

Les secteurs à privilégier

Le premier est encore une fois celui des obligations subordonnées bancaires. Vient s’y ajouter le segment émergent, mais en croissance, des dettes subordonnées «RT1» (restricted Tier 1) émises par les compagnies d’assurance. Ce segment offre toujours une prime importante et des taux qui sont parmi les plus élevés du marché des obligations de qualité libellées en devises fortes. Le segment des emprunts bancaires recèle toujours de nombreuses opportunités, notamment parce que du fait de l’évolution de la réglementation, on y observe encore des révisions de notation à la hausse. Intéressant sur le plan de sa valeur relative, ce segment devrait rester privilégié malgré plusieurs années de surperformance.

Un deuxième segment, à considérer de manière légèrement plus opportuniste, est celui des obligations européennes adossées à des prêts (CLO): il représente à la fois un gisement de valeur et une source de rendements. A l’heure actuelle, les CLO sont probablement le secteur obligataire le moins aimé des investisseurs rebutés par l’augmentation du nombre de prêts notés CCC ou assortis de clauses de remboursement allégées et qui protègent donc moins bien les détenteurs d’obligations. Pourtant, en 2020, les prêts à effet de levier (et les CLO dont ils constituent la matière première) devraient toujours être influencés par un taux de défaut inchangé et relativement faible. Par conséquent, les craintes des investisseurs paraissent exagérées, d’autant plus que ces derniers peuvent se reporter sur des «cuvées» plus anciennes, moins exposées aux problématiques actuelles. L’évolution des flux de capitaux a été le principal facteur explicatif de la sous-performance de ce segment en 2019. En effet, les investisseurs privilégiant les titres à taux fixes, aux Etats-Unis, les prêts à effet de levier ont enregistré des sorties de fonds sur 46 des 47 premières semaines de 2019.

Les entreprises qui ignorent les contraintes ESG seront
moins bien soutenues par les marchés financiers.

Un troisième secteur qui mérite d'être mentionné est celui des obligations d’entreprises des marchés émergents. Il est intéressant sur le plan de sa valeur relative par rapport au reste du marché et, de ce fait, il a tendance à attirer de nouveaux capitaux. À l'heure actuelle, la dette d’entreprise des pays émergents affiche un spread deux fois supérieur à celui des obligations «investment grade» en dollars, elle présente une valeur relative intéressante, constitue un bon instrument de diversification et tend à bien se comporter durant les phases de faiblesse du dollar américain, ce qui devrait être le cas en 2020.

Ceux qu’il convient d’éviter

La technologie est un secteur dont nous nous méfions, à l'exception peut-être des franchises de services publics les mieux établies. Il s'agit généralement d'entreprises à croissance rapide qui pourraient et devraient être financées par des capitaux propres en raison de la volatilité de leurs bénéfices et de leur vulnérabilité aux phénomènes de disruption.

Le commerce de détail traverse une période de mutation qui remet en question les anciens modèles d'affaires, à l'exception de ceux des meilleurs du secteur. De même, les producteurs d'automobiles et leurs chaînes d'approvisionnement subissent la révolution électrique qui changera tout le profil du secteur.

Enfin, on peut également ajouter les «industries du vice», les entreprises qui ignorent les contraintes ESG et seront donc moins bien soutenues par les marchés financiers, car les investisseurs obligataires désirent, eux aussi, contribuer à la construction d’un monde meilleur.

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