Venezuela, un remake de l'Allemagne de 1923?

Philippe Waechter, Ostrum AM

3 minutes de lecture

Le gouvernement Maduro a créé des conditions à même de reproduire l'hyperinflation de la République de Weimar.

Le Venezuela est en crise. Son activité économique se contracte fortement, son inflation s’envole au-delà du raisonnable et la valeur de sa monnaie s’effondre. Les vénézuéliens quittent le pays dès qu’ils peuvent en raison d’une absence de futur.

Les gens ont faim et le poids moyen des vénézuéliens baissent d’année en année. Selon une enquête sur les conditions de vie (ENCOVI), le poids moyen des vénézuéliens a baissé de 11 kilos en 2017 par rapport à 2016, année où déjà ils avaient perdu 8 kilos par rapport à 2015. Voilà une mesure de la crise profonde que traverse le Venezuela. Selon cet enquête, 87% de la population est pauvre contre 48,2% en 2014. Lorsque le prix du pétrole est élevé comme cela était le cas jusqu’à la mi-2014 la situation économique est supportable. En revanche, lorsque le prix de l’or noir s’effondre l’économie vénézuélienne n’a pas les capacités pour créer de nouveaux revenus.

Gardons à l’esprit que le Venezuela est un très gros producteur de pétrole et que c’est le pays qui a les réserves les plus importantes au monde. Le régime politique, au moins depuis Chavez, a été incapable de tirer profit de cette ressource. Pour des raisons politiques, les entreprises étrangères travaillant dans le pétrole et la chimie ont été progressivement découragées de rester et les étrangers ont  été poussés dehors. Toutes ces activités étaient censées être reprises par PDVSA la compagnie pétrolière publique. Cela n’a pas fonctionné au cours des 20 dernières années au moins. Le Venezuela ne tire pas bénéfice de son pétrole. L’investissement est faible et la productivité n’est plus un concept vénézuélien. Le pays a créé sa propre maladie hollandaise pour des raisons politiques. On peut rajouter une corruption sur une grande échelle. Selon l’indice de Transparence International, le Venezuela est au 169e rang sur 180 pays.

Le PIB en volume s’est contracté de 40% par rapport à 2015
et l’inflation a désormais le profil d’une situation d’hyperinflation.

Le PIB en volume, en 2018, s’est contracté de 40% par rapport à 2015 et l’inflation a désormais le profil d’une situation d’hyperinflation. Le prix de la tasse de café avec du lait suivi par Bloomberg reflète cette dérive des prix depuis le début de l’année. Le taux d’inflation est déjà anticipé comme convergeant vers 1’000’000% cette année.

En début d’année, il fallait 10 bolivars «fort», la monnaie du Venezuela, pour un dollar. Le taux officiel était de 250’000 en fin de semaine dernière. Depuis ce weekend, le bolivar «fort» a été remplacé par le bolivar «souverain». Il a été dévalué de 95% par rapport au dollar et il en faut 6'000’000 pour faire un dollar. Sur les billets, 5 zéros ont été effacés. Le salaire minimum a été augmenté de 3’500% pour atteindre 30 dollars par mois et le taux de TVA a été augmenté de 4 points. La principale question est celle de l’efficacité du plan présenté par le président vénézuélien Nicolas Maduro.

La gigantesque dévaluation de la monnaie va se traduire par une hausse impressionnante du prix des importations et s’ajouter à l’hyperinflation existante. La hausse du salaire minimum ne sert à rien car la production a chuté, les importations réduites et les étals des magasins sont vides. Donc cet argent supplémentaire ne trouvera pas de contrepartie dans la satisfaction matérielle. Les vénézuéliens ne seront pas plus heureux après cette hausse.

Les deux principales faiblesses du plan tiennent au manque d’engagement pour le futur tant du côté de la banque centrale que du gouvernement. Le montant de la monnaie en circulation a explosé depuis la fin de l’année 2017 et c’est là, dans une économie exsangue, la vraie source de l’hyperinflation. Aucun vénézuélien ne souhaite détenir cette monnaie car son volume est trop important et n’a quasiment plus de pouvoir libératoire, elle ne peut rien acheter. L’absence de contrepartie productive fait que la valeur interne de la monnaie chute et se lit dans la trajectoire des prix et l’hyperinflation. C’est un mécanisme habituel dans les périodes d’hyperinflation.

Sans engagement de la part de la banque centrale,
il n’y a pas de raison d’attendre une inversion du profil d’hyperinflation.

Je n’ai pas vu dans les mesures annoncées d’engagements de la banque centrale à stopper ces émissions monétaires en excès. C’est une condition au moins nécessaire pour que la situation change et que les anticipations des acteurs économiques, internes et externes, se modifient en profondeur. L’étape d’après est de tenir cet engagement dans la durée. S’il n’y a pas d’engagements explicites de ce type, on ne voit pas pourquoi les vénézuéliens souhaiteraient d’un seul coup détenir à nouveau cette monnaie.

La conclusion la plus pertinente est que sans engagement de la part de la banque centrale, il n’y a pas de raison d’attendre une inversion du profil d’hyperinflation qui caractérise le Venezuela.

Dans les épisodes antérieurs d’hyperinflation, une source de stabilisation, en plus de celle sur la monnaie, est un engagement du gouvernement vis à vis des institutions internationales et des partenaires du pays quant à la politique économique qui sera menée. Ces engagements peuvent être une source de crédibilité s’ils conditionnent la politique économique dans la durée. Cela devient une source de stabilisation car les anticipations et les comportements changent vis à vis du pays subissant l’hyperinflation. C’est un moyen de dire «stop» mais encore faut-il s’y tenir. Si les engagements sont tenus cela modifie rapidement la dynamique des échanges et donc les incitations économiques. Le cadre se modifie rapidement et en profondeur. Thomas Sargent avait discuté des épisodes d’hyperinflation en Europe dans la première partie du XXe siècle, notamment en Allemagne. Les engagements dans la durée étaient essentiels pour sortir de cette situation complexe.

Maduro ne veut pas prendre d’engagements, notamment vis à vis du FMI. En d’autres termes, le gouvernement ne cherche pas à se lier les mains tant sur le plan monétaire qu’institutionnel. Dès lors pourquoi la perception du Venezuela changerait tant du côté des Vénézuéliens eux-mêmes que du côté des investisseurs. Le fait de lier le bolivar souverain à une cryptomonnaie, le pétro basée sur le prix du pétrole, ne change rien. Il suffira de modifier le taux de conversion de l’un en l’autre.

Le gouvernement vénézuélien a créé les conditions pour reproduire ce qui s’était passé en Allemagne en 1923. Les mesures annoncées durant le week-end ne changeront pas la trajectoire de l’économie vénézuélienne. Il faut davantage d’engagements. L’hyperinflation ne va pas se tarir et de plus en plus de Vénézuéliens vont fuir le pays. C’est à eux qu’il faut penser.

Lire aussi: