Une gestion exempte de biais cognitifs

Yves Hulmann

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Si l’IA est utile pour certaines tâches, les attentes envers cette technologie sont parfois exagérées, juge Daniel Seiler, directeur de Vescore.

 

Spécialiste des techniques de gestion quantitatives, Vescore, une boutique de Vontobel, a effectué en vingt ans un parcours qui a pris de nombreux détours. A ses débuts, l’entité, qui a donné naissance aujourd’hui à la société gérant un peu plus de 10 milliards d’euros d’actifs, a démarré en tant que spin-off issue de l’institut de banque et finance de l’Université de Saint-Gall. L’idée était de mettre à disposition des investisseurs les résultats de la recherche, explique Daniel Seiler, directeur de Vescore. «Nous pensions que les modèles statistiques reposant sur les fondamentaux économiques avaient une utilité pour les investisseurs», relate le docteur en économie. Aujourd’hui, la société compte parmi les différentes boutiques appartenant à Vontobel.

Selon l’expert, beaucoup de connaissances issues de la théorie économique ne sont toujours qu’en partie utilisées dans les processus d’investissement. Il cite l’exemple du ratio entre l’«information» et le «bruit». «Beaucoup des données des marchés qui varient fortement peuvent être considérées comme du bruit. La part des informations qui sont véritablement explicables d’un point de vue économique ne représente environ qu’un cinquième des données disponibles», cite-t-il à titre d’exemple.

«Nous pratiquons une approche
à la fois quantitative et active.»

Partant de cette approche, Vescore a d’abord conçu un logiciel consacré à l’allocation d’actifs tactique globale («tactical asset allocation») qu’elle vendait à des entreprises. Suite à l’éclatement de la bulle Internet, la société a toutefois décidé d’utiliser elle-même cette technologie plutôt que de la commercialiser auprès de tiers, poursuit Daniel Seiler.

Une approche à la fois quantitative et active

A l’heure où presque tous les gérants recourent aujourd’hui aux méthodes quantitatives en soutien de leur processus de décision, en quoi se distingue l’approche de Vescore de celle des autres sociétés? Daniel Seiler évoque deux différences. D’une part, la société pratique une approche purement quantitative: dans son cas, c’est la «machine» qui prend la décision – à la différence d’autres instituts qui s’appuient certes sur les techniques quantitatives dans leur processus d’investissement mais où finalement une personne prend la décision. D’autre part, les autres instituts, qui s’appuient essentiellement sur une approche quantitative, l’utilisent en général dans le cadre d’une approche d’investissement passive. C’est l’inverse chez Vescore: «Nous pratiquons une approche à la fois quantitative et active», résume le spécialiste.

Pas influencé par les biais cognitifs

Peut-on appliquer une approche «contrarian» au moyen de méthodes purement quantitatives? Oui, assure l’expert: «Le but est de pouvoir capturer la prime de risque lorsque celle-ci est favorable». Dans le domaine des actions, la prime de risque correspond au rendement excédentaire du marché par rapport au taux sans risque. Cette prime varie au fil du temps en fonction des changements de l’environnement économique. En général, dans un marché baissier, la prime de risque tend à être plus élevée que dans un marché haussier. «La prime de risque est élevée lorsque les intervenants sur le marché ont peur. Les primes sont souvent beaucoup plus élevées dans un environnement de marché jugé plus risqué», poursuit Daniel Seiler. C’est précisément dans ce genre de situations qu’une approche purement quantitative se révèle payante. «La machine n’est pas affectée par le sentiment de peur qui règne ou non sur les marchés. Elle n’est pas influencée par les biais cognitifs», souligne Daniel Seiler.

L’intelligence artificielle pour la finance: potentiel et limites

S’agissant des processus autonomes d’investissement, que pense-t-il des développements actuels dans l’intelligence artificielle pour le domaine de la finance? Daniel Seiler rappelle qu’il faut distinguer deux approches en matière d’autonomisation des processus d’investissement: d’une part, il y a les modèles linéaires, où l’ensemble des décisions peuvent être programmées et contrôlées par les personnes qui les conçoivent. «Nous comprenons ces modèles et ils correspondent à ce qui est nécessaire dans un domaine comme la gestion des risques, par exemple», illustre-t-il. D’autre part, il y a les modèles non linéaires, comme l’intelligence artificielle, qui apportent de très bons résultats dans certains domaines et pour certaines tâches – même si l’on ne comprend toutefois pas toujours exactement comment ils sont parvenus à ces résultats.

Grâce à l’intelligence artificielle, il est possible d’interpréter
plus rapidement certaines tendances.

Il cite les progrès obtenus à l’aide de techniques comme le «natural language processing», une approche qui permet de comprendre certaines instructions ou d’analyser le contenu de textes. «Les résultats obtenus sont souvent bons, même si l’on ne comprend pas nécessairement pourquoi la machine est parvenue à un résultat positif ou négatif», explique-t-il. Par exemple, on peut demander à la machine d’évaluer si les perspectives d’investissement publiées par un institut sont devenues plus positives ou plus négatives qu’auparavant. Cette approche peut être utilisée pour évaluer si un rapport d’activité est plus positif ou plus négatif que le précédent.

Exploiter l’analyse des émissions de lumière depuis l’espace

En termes d’investissements, l’intelligence artificielle peut, selon l’expert, être ainsi avantageusement utilisée pour obtenir des informations à partir de données disponibles mais qui sont très difficiles à interpréter par l’homme. Avec quelles applications pratiques? Il cite l’exemple des recherches effectuées à partir de l’analyse des émissions de lumières vues de l’espace servant à mesurer l’évolution de l’activité économique. «Il s’agit là d’une information qui est publique mais qui est très difficile à évaluer. Grâce à l’intelligence artificielle, il est possible d’interpréter plus rapidement certaines tendances. Pour ceux qui savent exploiter ces données, cela permet d’avoir un coup d’avance», illustre-t-il.

Pour autant, relativise Daniel Seiler, il ne s’agit pas d’avoir des attentes exagérées au sujet de l’intelligence artificielle qui n’est pas toute puissante. Cette technologie est très efficace dans des domaines spécifiques – par exemple, le jeu de go ou les échecs – mais elle n’est pas encore tout à fait à la hauteur pour évaluer des situations où un très grand nombre de paramètres entrent en jeu. Par exemple, conduire un véhicule de manière autonome reste un véritable défi pour les systèmes basés sur l’intelligence artificielle car il faut être capable d’évaluer un très grand nombre de situations parfois complètement imprévisibles.

Potentiel de croissance supplémentaire

Qui sont les investisseurs les plus intéressés aux techniques de gestion purement quantitatives utilisées par Vescore? Daniel Seiler cite à la fois les grands investisseurs institutionnels ainsi que les investisseurs professionnels. Actuellement, la société se concentre avant tout sur l’Allemagne, l’Autriche et la Suisse. Le directeur estime néanmoins qu’il y a un important potentiel de développement pour la société aussi aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne ainsi que dans certains pays d’Asie.