Une bonne nouvelle année?

Martin Neff, Raiffeisen

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En raison de la dégradation du climat des exportations, la croissance suisse devrait diminuer de moitié en 2019, à 1,2%.

C’est ce que je souhaite à l’économie suisse. Mais malheureusement, la situation ne semble plus aussi favorable qu’en 2018, une année exceptionnelle. L’année 2019 ne sera pas simple pour notre économie. J’en ai exposé les raisons hier à la conférence prédictive de Raiffeisen. Actuellement, l’économie suisse se porte encore bien. Mais l’économie mondiale vient en revanche de subir un ralentissement. C’est ce que montrent les indices des directeurs d’achat, autrement dit les enquêtes auprès des entreprises, qui sont scrutés de près par l’économie. 

Presque partout dans le monde, le moral des entreprises est dernièrement orienté à la baisse. C’est généralement un signal fiable de l’imminence d’un ralentissement de l’économie mondiale. La dégradation est particulièrement nette en Italie, où les entreprises industrielles annoncent déjà une baisse de leur activité depuis l’automne dernier. La progression de l’économie italienne sera-t-elle vraiment aussi forte cette année qu’en 2018, comme le prévoient actuellement la plupart des prévisionnistes? Cela me semble peu probable. 

En France, les manifestations pèsent sur le moral
et les données économiques pour l’Allemagne sont également moins bonnes.

En France, les manifestations massives de ces dernières semaines pèsent sur le moral et les données économiques qui nous viennent d’Allemagne, qui est habituellement si fiable dans son rôle de moteur de la croissance européenne, sont également moins bonnes désormais. Il est évident que les choses évoluent dans la zone euro. Pourquoi le moral a-t-il tourné ces derniers mois? Le conflit commercial latent qui n’en finit pas, la probabilité grandissante d’un Brexit «dur» et les divergences de la politique intérieure en Italie, en France et dernièrement aux Etats-Unis (mot-clé «shutdown») pèsent sur le moral des investisseurs, tout comme le durcissement des taux d’intérêt aux Etats-Unis.

Pas si mal, mais pas bien pour autant 

Qu’est-ce que cela signifie à présent pour la Suisse? En raison de la dégradation du climat des exportations, nous tablons pour 2019 sur une diminution de moitié de la croissance économique à 1,2%. Encore faut-il l’apprécier correctement, car cette croissance de 1,2% ne semble médiocre qu’à première vue. En 2018, le PIB de la Suisse a certes progressé d’environ 2,5%, mais cette croissance fut exceptionnellement forte et ne devrait pas être considérée comme la norme. Il n’y a rien d’inquiétant en soi dans le fait qu’une économie nationale riche et saturée, dont la croissance démographique ralentit, progresse d’environ 1% par an. Des effets spéciaux qui ont à présent disparu ont en outre favorisé la croissance en 2018. La valeur de 1,2% n’est donc pas spectaculaire. Aussi, notre prévision de croissance n’a-t-elle pas fait de remous lors de la conférence de presse et auprès des représentants des médias sur place, même si nous nous situons à la limite inférieure des prévisions. 

La nouvelle année ne sera néanmoins pas facile. Les représentants des médias ne se sont d’ailleurs pas nécessairement focalisés sur la prévision de croissance et se sont davantage intéressés à notre perspective pour les marchés financiers et à notre prévision concernant le cours de l’euro. Le mois de décembre dernier a marqué la fin d’année la plus mauvaise sur les marchés des actions depuis des décennies et l’année 2018 dans son ensemble a été la plus négative depuis la crise financière. Cela ne signifie pas pour autant que les marchés anticipent une récession. Car l’histoire nous a montré que les bourses font souvent fausse route et tendent à l’exagération. Au vu de tous les facteurs d’incertitudes qui se manifestent actuellement, il n’est cependant pas très probable que la volatilité s’estompe rapidement sur les marchés financiers. Et plus longtemps les marchés financiers se montreront fragiles, plus l’économie réelle en pâtira et plus le franc suisse subira une pression à l’appréciation. Je crois par conséquent que le cours de l’euro se situera plutôt aux alentours de 1,05 ou 1,10 que de 1,15 ou 1,20, comme le prévoient de nombreuses autres banques.

Le gros risque 

L’économie suisse présente encore d’autres faiblesses, par exemple la grande dépendance par rapport à une seule branche. L’excédent commercial du secteur pharmaceutique est incroyablement élevé et ressort à près de 50 milliards de francs. Sans cet excédent, la Suisse qui est connue pour être un pays exportateur afficherait un déficit de sa balance commerciale se chiffrant en dizaines de milliards. Les entreprises pharmaceutiques n’y sont évidemment pour rien, mais leur fort excédent commercial est l’une des raisons du franc fort. 

Les branches traditionnelles de l’industrie
ne progressent pratiquement pas.

En revanche, les branches traditionnelles de l’industrie telles que la construction mécanique ou la métallurgie ne progressent pratiquement pas. La reprise économique des deux dernières années a quelque peu aidé. Hormis l’industrie pharmaceutique, les exportations de la plupart des branches se situent encore nettement en-deçà de leur niveau antérieur au choc du franc et à la crise financière. La prépondérance du secteur pharmaceutique et la croissance tout au plus légère de la plupart des autres branches ne changeront pas en 2019.

Prisonnière d’un dilemme qu’elle s’est elle-même imposée 

Le dilemme auquel est confrontée la Banque nationale suisse ne change pas non plus. La BNS vient d’annoncer aujourd’hui une perte annuelle de 15 milliards de francs. Ce n’est que l’un des effets secondaires de la politique monétaire de ces dernières années. Les distorsions engendrées par les taux d’intérêt négatifs sont douloureuses, alors même que leur utilité est contestée. Aucun retournement de tendance n’est en vue. Non pas parce que je crois que le franc s’apprécierait nécessairement beaucoup en cas de relèvement des taux d’intérêt. Non, c’est loin d’être une certitude, comme nous le montre le passé. Mais il est inquiétant de constater que la fenêtre qui aurait permis une intervention sur les taux en 2019 se referme lentement. C’est du moins ainsi que la Banque nationale l’interprétera, parce que la conjoncture en Europe ralentit et que la Banque centrale européenne (BCE) se montrera donc encore plus prudente que d’habitude. D’autant plus qu’une consolidation des finances publiques dans la zone euro semble s’éloigner de plus en plus. Mais je juge peu probable que la Banque nationale suisse se risque à relever les taux d’intérêt avant la BCE. 

L’immobilisme en matière de taux d’intérêt peut certes profiter aux marchés des actions et aux investisseurs immobiliers, mais pour les épargnants et les personnes cotisant à la retraite, ce n’est qu’une maigre consolation après plus de quatre années en mode de crise avec des taux d’intérêt négatifs. Et plus cet environnement de taux négatifs perdure, plus les turbulences seront fortes. Une bonne nouvelle année en définitive? On le souhaite volontiers, sans trop y réfléchir. Mais en 2019, ce souhait sera de taille.

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